Neuropsychologue : deux spécialistes du cerveau racontent leur métier
Nathalie Bosquée exerce dans ses cabinets à Liège et à Wandre. Aurore Grumiaux possède son propre centre à Schaerbeek. Toutes deux ont un point commun : elles sont neuropsychologues. Ces thérapeutes sont habilitées à diagnostiquer ainsi que prendre en charge des pathologies liées au cerveau. En effet, ces dommages, parfois sévères, sont susceptibles d’impacter lourdement la vie quotidienne. Leurs champs d’intervention ? Les enfants et les adolescents. Découvrez le témoignage de deux professionnelles, marquées par une profonde volonté d’aider.
Le neuropsychologue, spécialiste du cerveau, a pour mission principale de déceler des pathologies éventuelles. Ce professionnel peut intervenir à tout âge. Trouble de l’apprentissage, dyspraxie, trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral (AVC), démence ou encore déficience intellectuelle… La neuropsychologie, à mi-chemin entre la neurologie et la psychologie, constitue une discipline large et diverse. Nathalie Bosquée et Aurore Grumiaux ont, chacune, choisi de se spécialiser auprès d’un jeune public : les enfants et les adolescents.
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Pourquoi le métier de neuropsychologue ?
« Au départ, j’étais fortement attirée par la médecine », déclare Nathalie Bosquée (à gauche sur la photo). « Cependant, je suis tombée dans les premières années numerus clausus et l’ambiance était horrible, c’était du chacun pour soi. Comme les personnes ont tendance à se confier à moi, je me suis dit ’pourquoi pas la psycho ?’ ». La neuropathie, qui allie à la fois les sciences, la médecine et la psychologie, est alors apparue comme un bon compromis pour elle. « Comme options, j’avais choisi la psycho et la pharmaco », nous fait-elle part.
Aujourd’hui spécialisée dans l’intervention auprès des enfants et des adolescents, Nathalie Bosquée avoue que cela n’a pas toujours été le cas. « Durant tout mon cursus, j’étais plus attirée par l’intervention auprès des personnes âgées. L’enfant, on commençait à peine à en parler », avoue-t-elle. L’évolution de la neuropsychologie a donc eu raison de l’orientation de la spécialiste.
Cette professionnelle n’a pas toujours travaillé en neuropsychologie en raison de la difficulté qu’elle a rencontrée pour trouver un emploi à ses débuts. Elle explique : « J’ai seulement travaillé dans ce domaine au bout d’une petite dizaine d’années. Suite à une épreuve personnelle, j’ai repris un bouquin sur la neuropsychologie des enfants et je me suis ’remise à la page’, puis je me suis lancée dans la profession. » Nathalie Bosquée intervient aujourd’hui auprès des enfants qui présentent des troubles neurodéveloppementaux, troubles de l’attention et troubles de l’apprentissage, ou encore des dyspraxies.
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De son côté, Aurore Grumiaux a toujours vu la neuropsychologie comme une évidence. « Je suis TDAH. Petite, j’étais suivie par un neuropédiatre. Ce dernier m’a beaucoup inspirée », commence-t-elle. « J’ai toujours voulu devenir neuropsy. Je savais aussi que je voulais ouvrir mon propre centre, c’est ce que j’ai donc fait une fois diplômée. J’ai toujours voulu travailler avec les enfants qui avaient la même chose que moi. »
Tout comme Nathalie Bosquée, elle a tout d’abord entamé une première année de médecine, avant de faire du bénévolat dans une école et un stage à l’HUDERF. Après avoir obtenu un master en neuropsychologie et en développement cognitif à l’ULB, elle a décidé d’ouvrir son propre centre. Les matières enseignées ? Neuropédiatrie, psychologie du développement… « Pour les options, j’ai pris tout ce qui avait le terme ’enfant’ », s’exclame-t-elle.
« Avant on disait d’un enfant qu’il était fainéant. Maintenant on sait ce qu’il a »
Leur définition du métier ? « La neuropsychologie est un domaine très vaste et bien particulier. C’est essayer de comprendre les difficultés de l’enfant dans ses apprentissages scolaires, au niveau comportemental et émotionnel pour voir si les difficultés rencontrées seraient éventuellement provoquées par un trouble neurodéveloppemental », détaille Nathalie Bosquée. Elle précise : « Ces barrières peuvent être engendrées par de l’anxiété, les relations familiales, ou encore des événements qui ont traumatisé l’enfant, comme le harcèlement scolaire. Tous ces éléments peuvent complètement chambouler l’enfant, qui devient complètement distrait notamment en classe. »
« Ce que j’explique aux parents : on évalue les fonctions cognitives de leur enfant dans le but de pouvoir mieux les comprendre et mieux comprendre leur fonctionnement pour pouvoir les aider par après », explique quant à elle Aurore Grumiaux. « Cela va plus loin que les chiffres : ce qui est intéressant c’est de voir les forces et les faiblesses de leurs enfants, pour pouvoir ensuite les aider au mieux. »
Les deux interlocutrices ont également partagé leur vision de l’évolution de leur profession. « D’un point de vue économique, cela va être difficile », regrette Aurore Grumiaux. « Les remboursements en Belgique restent compliqués. Avant, on disait d’un enfant qu’il était "fainéant". Maintenant, on sait ce qu’il a. Si on veut que ça évolue en Belgique, il va falloir repenser le système de remboursement. C’est un peu utopique (rires). Je pense qu’en neuropsychologie on va encore découvrir des choses, cela va évoluer. Mais derrière, il faudra que ça bouge un peu parce que ça reste encore difficile d’accès pour certaines personnes. »
Nathalie Bosquée renchérit : « Le Covid a fait énormément de dégâts. La société aussi, parce qu’on est dans une société de performance. Certains enfants ne sont pas prêts aussi tôt pour lire et écrire ». Elle ajoute : « Il y a le problème des écrans aussi. On met l’enfant constamment dès 3 ans devant des téléphones, des tablettes... Il n’y a plus de manipulation fine », dénonce-t-elle.
« Cela dépend des journées, mais je vois au minimum 5 patients par jour »
Une journée type dans leur travail ? « Je reçois des enfants et je fais des bilans. Pour cela, on procède par des tests de QI, de l’attention, de mémoire… Mais ce sont surtout les observations qui nous indiquent comment l’enfant fonctionne », nous apprend Nathalie Bosquée. Elle poursuit : « Je fais ensuite part de mes résultats aux parents et je les conseille au sujet des différents professionnels qui pourraient aider leur enfant (logopède, ergothérapeute, neuropédiatre..). Mais on n’est pas à l’abri de nous tromper dans notre diagnostic. Nous restons humains ! »
Aurore Grumiaux a quant à elle adopté une certaine organisation : « J’ai des journées "tôt" et des journées "tard". Pour une journée "tard", j’arrive au bureau vers 10h, puis j’enchaîne les bilans jusqu’à 15h30 ». La spécialiste passe environ 1h30 par bilan. « Puis, je reçois des patients pour faire des prises en charge hebdomadaires, d’une durée de 45 minutes. Le mardi, je finis à 20h : j’enchaîne remises de conclusions, séances de psychoéducation. Je fais exprès d’adapter mes journées pour finir plus tard, parce que certains parents ne peuvent pas se libérer plus tôt. »
« Le nombre de patients que je reçois par jour est variable. Cela peut aller de 5 à 10 patients », poursuit-elle, avant de détailler : « Cela dépend aussi si je fais des bilans ou des prises en charge. Si je fais 4h30 de bilans, je peux prendre 3 patients alors que des prises en charge, j’en fais 6. C’est le double. Cela dépend des journées, mais je vois au minimum 5 patients par jour. »
La partie administrative représente énormément de temps dans le métier. « Je ne travaille pas en cabinet le vendredi, parce que je ne fais que de l’administratif. Cela demande beaucoup de temps. Sinon, je n’ai pas le temps. »
Nathalie Bosquée, pour sa part, précise : « Lorsque nous rentrons à la maison, il faut encore corriger toutes les épreuves réalisées pendant les heures de passage en cabinet et noter nos observations. » Elle ajoute : « Il reste aussi la partie la plus énergivore en termes de temps : la rédaction du rapport. Les parents sont souvent choqués du prix d’un bilan et tiennent parfois des propos blessants, mais ils ne réalisent pas le boulot que cela représente. C’est un autre aspect du travail, non négligeable. Il faut prévenir les futurs neuropsys. »
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Leurs conseils pour se lancer dans le métier
Vous souhaitez, vous aussi, vous lancer dans cette carrière professionnelle auprès des plus jeunes ? Pour vous guider, Nathalie Bosquée pointe tout d’abord un point incontournable : « Il faut avoir la fibre avec les enfants. » Et de rajouter : « Il est nécessaire de ne pas se contenter uniquement des chiffres. Par expérience, parfois un enfant échoue complètement à une épreuve, parfois non. Il faut bien connaître ses outils et ne pas faire passer de tests uniquement pour faire passer des tests . »
« On m’a donné un conseil qui s’est avéré vrai : une première année pour créer sa patientèle, une deuxième année pour la stabiliser, une troisième année pour être vraiment rentable. Et on m’a dit : ’les deux premières années, tu dois avoir un job alimentaire’. Et c’est ce que j’ai fait », raconte Aurore Grumiaux. Quand elle était jeune diplômée, elle a dû concilier deux jobs en même temps. « Je devais travailler sur le côté pour avoir de l’argent pour vivre, pour financer les formations… Il m’a fallu deux ans pour arriver à en vivre. » Se lancer dans la profession est au début coûteux, notamment pour les professionnels qui ne sont pas salariés. « Il y a beaucoup de choses à acheter, des investissements à faire, il faut payer ses charges sociales, ses formations, il faut acheter son matériel… », détaille-t-elle.
La constitution d’un réseau solide est également un point important à développer. En effet, les patients n’ont pas toujours le réflexe de consulter un neuropsychologue. « 70% de mes patients sont orientés par d’autres professionnels. Soit ils viennent de la logopède, soit d’un centre PMS, soit d’un médecin avec qui je travaille. Quand ils m’appellent, c’est rarement : ’Bonjour, je vous ai trouvée sur Google’ », révèle Aurore Grumiaux. Le bouche-à-oreille a également de l’importance dans les consultations chez le neuropsychologue. Nathalie Bosquée nous dévoile : « Certains parents décident de venir vous voir avec leur enfant, parce qu’ils se rendent compte qu’il y a un souci. Les parents en parlent entre eux à l’école. »
Un dernier conseil pour la route ? Ne pas négliger la formation continue ! Et pour cause : la neuropsychologie est un domaine qui évolue constamment et rapidement. « Les formations sont obligatoires. La maîtrise de l’anglais est aussi nécessaire : la plupart des articles sont écrits dans cette langue. Si on doit attendre les traductions, on est en retard. En master déjà, on devait savoir lire des articles scientifiques en anglais », note Aurore Grumiaux. Pas d’inquiétude donc : la maitrise de l’anglais fait partie du cursus.
« Ce que j’aime le plus dans mon métier ? La petite étincelle dans l’œil de l’enfant »
Aurore Grumiaux témoigne : « C’est vrai qu’on fait toujours les mêmes tests, que c’est répétitif, mais les enfants, leurs histoires sont toujours différentes ». La spécialiste poursuit : « Il y a plein de choses en neuropsy à voir, il n’y a pas que les enfants. Il y a tous ceux qui travaillent avec les adultes, les démences, la réadaptation… Il y a une grande variété de champs d’intervention. » Elle ajoute : « En fin d’année, les patients m’envoient un message avec une photo de leur bulletin ou de leurs examens. J’aime voir qu’ils ont réussi, savoir que tout va bien. »
Nathalie Bosquée conclut : « Ce que j’aime le plus dans mon métier ? La petite étincelle dans l’œil de l’enfant qui n’arrive pas à accomplir quelque chose et qui se rend compte qu’en fait, il en est capable. Ça, ça vaut de l’or. »
Mélissa Le Floch
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