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Quand les mots manquent, le toucher parle : la communication non verbale en soin

26/06/25
Quand les mots manquent, le toucher parle : la communication non verbale en soin

Quand les mots ne suffisent plus — à cause d’une maladie, d’un traumatisme ou d’une barrière linguistique — c’est le corps qui prend le relais. Le toucher devient alors ce lien invisible mais puissant qui permet d’entrer en relation, de rassurer, d’apaiser. Dans nos métiers du soin, où l’on travaille souvent au plus près de l’autre, cette communication non verbale est omniprésente… mais rarement nommée. Elle touche au cœur de la relation soignant-soigné, bien au-delà des gestes techniques. À travers des expériences vécues — de la fin de vie aux cours de massage avec des mamans demandeuses d’asile — je vous invite à redécouvrir le rôle essentiel du toucher dans notre pratique quotidienne.

Mettre en commun

"Je ne savais pas que c’était possible de communiquer autrement que par des mots. Merci !" C’est ce que m’a confié une connaissance après le décès de son papa.

Quelques semaines auparavant, son père en fin de vie avait perdu l’usage de la parole. Cela la rendait triste, car elle aurait souhaité lui dire encore tellement de choses et échanger avec lui. Elle pensait qu’il n’était plus possible de communiquer avec son père étant donné qu’il ne pouvait plus parler. Je lui ai rappelé que même si la parole n’est plus présente, cela ne les empêchait pas de communiquer.

Quand nous sommes face à une personne qui ne parle pas notre langue, nous essayons d’adapter nos gestes et nos expressions pour nous faire comprendre. Ici, c’était la même chose, il fallait repenser la communication différemment.

En tant que soignants, les indications de l’anthropologue Edward Twitchell HALL, concernant les différentes zones de distance, sont intéressantes à prendre en compte et à ajuster, selon les personnes et circonstances rencontrées. En fonction des soins que nous apportons (psychologiques-médicaux-sociaux), nous travaillons souvent dans la zone personnelle (entre 45 et 120 cm) et la zone intime (entre 0 et 45 cm). La zone intime est celle qui mobilise le plus la communication non verbale.

C’était donc cette communication qu’il fallait mettre en place. Un geste, un regard, un sourire, un silence… Il s’agissait de la rassurer sur le fait qu’elle saurait se faire comprendre… Être plus dans le partage émotionnel du moment que dans l’action cérébrale du vouloir dire. D’ailleurs, étymologiquement, le terme "communication" vient du latin "comunicare", qui signifie "mettre en commun", "partager". Communiquer est donc le fait de partager avec l’autre.

La communication non verbale ou le toucher intouchable

Un autre anthropologue, Ashley Montagu, rapportait qu’"il existe une relation entre le toucher et le son, beaucoup plus profonde que nous n’en avons en général conscience. La sensibilité de la peau est telle qu’elle réagit aux ondes sonores autant qu’aux pressions physiques." Qui n’a jamais ressenti à l’écoute d’une certaine musique ou d’un chuchotement dans l’oreille ; un tressaillement de joie, de tristesse ou même de crainte ?

En tant que soignant, notre première mission est d’établir un lien humain et professionnel. Pour que cette relation soit juste, cela demande une approche centrée sur la personne et un certain tact. Avant même de prononcer un mot, notre approche corporelle envoie des messages, qui vont avoir un impact sur la relation. Les expressions de notre visage, le ton de notre voix, notre façon de bouger ou de poser nos gestes sont des moyens de communication qui parlent pour nous sans un mot.

De plus, en fonction de notre vécu, de notre culture, le sens des gestes et expressions peuvent fortement varier. D’où l’importance de s’introduire avec tact, particulièrement lors d’un premier contact et de s’ajuster aux réponses que nous recevons de notre interlocuteur.

Un toucher vital

Le toucher est le premier de nos sens à naître et le dernier à s’éteindre. Il est nécessaire pour notre bien-être physique et mental.

Du peau à peau au toucher-massage en fin de vie, en passant par la main posée sur l’épaule d’un patient ou l’étreinte d’un être cher : la communication non-verbale qu’est le toucher, permet aussi de se construire ou de se reconstruire. Cela va plus loin que la régulation des émotions, l’amélioration du système immunitaire, la diminution de l’anxiété ou encore que l’atténuation de la douleur.

Quand vous êtes en présence d’une personne qui vit un changement de schéma ou de représentation corporelle suite à une agression, une pathologie ou une étape de la vie qui modifie son corps, parfois les mots manquent. C’est la façon dont le regard sera posé, la façon dont vous approcherez, le temps et la façon dont le toucher sera posé, qui feront toute la différence.

Être touché est une façon de se sentir "réellement" exister car en touchant nous sommes immédiatement touchés à notre tour. Intérieurement, cela déclenche des émotions et extérieurement, nous sommes reliés à l’environnement qui nous entoure. Cela aide à une réunification de la personne et cela lui rappelle qu’elle existe toujours dans la société.

La communication par le toucher

Il y a 9 ans au sein d’un centre ADA de la Croix-Rouge, je donnais des cours de massage maman / bébé.

Les cours étaient donnés en français, anglais et j’avais des images pour illustrer mes propos. Il y avait aussi des mamans qui de l’anglais traduisaient dans leur langue. Nos expressions faciales et notre gestuelle nous ont beaucoup aidées !

Mais le moment magique que j’attendais (et appréhendais en même temps) était le rituel à la fin. À chaque fin de cours, il y avait un moment de calme. Je les invitais à ne pas réfléchir aux gestes qu’elles venaient d’assimiler, à ne pas prêter attention aux pleurs. Ne pas regarder l’endroit où elles se trouvent, fermer les yeux et simplement prendre leur bébé contre elles et respirer. Une fois que je sentais qu’elles étaient détendues, je mettais une berceuse.

Pendant les inscriptions, j’avais recueilli quelques informations en discutant avec elles, dont leur pays d’origine. Je m’étais donné comme mission de trouver une berceuse traditionnelle pour chacune des mamans. Les premières notes étaient celles qui contenaient le plus de suspens.

D’abord l’étonnement de reconnaître un son familier, la maman ralentit sa respiration pour se concentrer et vérifier que c’est bien ce qu’elle croit. Ensuite le souvenir de sa propre enfance et de son pays, l’enveloppe de mélancolie et de larmes. Souvent, les bras d’une autre maman l’entourent, ou une main se pose timidement sur l’épaule. D’autres lui offrent une parole ou un regard. De cet instant, naît une solidarité qui donne une certaine force et un apaisement, tant physique qu’émotionnel, à la maman.

Une fois les larmes séchées, place à une douce émotion. La sensation d’avoir pu retrouver une partie de leur vie d’avant, de leur héritage, de ce qu’elles sont, de se sentir un peu plus entières.

Ces instants montrent que même si la communication ne peut pas se faire de manière verbale (car nous ne parlions pas la même langue), elle peut être créée par le toucher. Qu’il s’agisse d’un toucher tactile (la démonstration et transmission de gestes, l’étreinte entre participantes) ou d’un toucher intouchable (la musique qui serre le cœur avant de le remplir ou encore les sourires timides de soutien), communiquer va bien au-delà des mots et toucher va bien au-delà de la peau.

Z.I.K., soignante

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