Aide-soignante : indispensable mais méprisée par ses pairs et la société ?

Il y a 7 ans, jusqu’à cette matinée cadencée par les moqueries d’une collègue ; je croyais que les clichés et le dénigrement de l’aide-soignante se limitaient à la société. Malheureusement, j’ai appris à mes dépens que ce fléau s’étend également aux soignants eux-mêmes.
L’histoire se répète
Sans commencer à faire un cours sur l’anthropologie de l’art infirmier, nous savons que l’infirmière est l’ancêtre de la profession d’aide-soignante. Mais avant d’avoir le titre honorable d’infirmière, elles étaient garde-malades. Un rôle dénigré, car personnifié par de jeunes femmes ayant peu d’instruction.
La progression de la médecine et les guerres ont rendu nécessaire la formation de ces garde-malades. Ce qui leur a permis d’avoir davantage de responsabilités, de connaissances et un minimum de respect.
Pendant la 1re guerre mondiale, l’infirmière est contemplée, vue comme une héroïne dévouée et courageuse. Ce qui aidera à donner une meilleure image de sa profession. Ensuite, comme la vie ne semblait plus aussi fragile (jusqu’à la prochaine guerre), cette belle image s’est essoufflée.
Cela me rappelle une autre guerre mondiale à laquelle nous avons dû faire face : COVID. Période pendant laquelle les soignants étaient de nouveau vus comme des héros.
En soirée, dans le lourd silence de la peur et de l’inconnu, les applaudissements résonnaient comme des éclats d’espoir et de force. Nous soignants, aide-soignantes, étions solidaires et définis par le gouvernement comme essentiels.
Petit à petit, la vie a repris ses droits et les clichés leur place
L’indifférence nous a placés de héros essentiels à imposteurs accessoires.
L’aide-soignante indispensable aux liens sociaux des plus fragiles, qui était un renfort de qualité dans les différents services, a été remplacée par le cliché de l’aide-soignante qui ne fait que laver le corps fragile des autres. (Soit dit en passant, la toilette est un soin bien plus impactant qu’il n’y paraît. C’est peut-être même le soin le plus dénigré.).
Une fois le masque tombé, c’est comme si les compétences psychosociales et professionnelles étaient tombées en même temps. Nous n’étions plus des soignants parmi les soignants, mais de petites mains retournant à leurs petites tâches de subalternes.
En-tout-cas, c’est comme ça qu’une partie de notre société et certains collègues voient les choses.
"QUE"
"Que", ce petit mot qui fait toute la différence et qui à tendance à m’agacer. D’autant plus quand cela vient d’une soignante ou aide-soignante.
Le sentiment de "n’être qu’une aide-soignante" pourrait être remplacé par l’honneur d’être une aide soignante. Je ne vais pas commencer à vous détailler la fiche de poste de l’aide-soignante. Son rôle est bien plus qu’une liste d’actes qui lui sont confiés.
Par contre j’aimerais souligner que l’humanité apportée dans les soins, n’enlève en rien la technicité et le professionnalisme dont doit faire preuve le soignant. Car c’est souvent ce côté humain que l’on dénigre, que l’on reproche et que l’on retranche au professionnalisme du soignant.
Quand j’entends des phrases de ce genre entre soignants :
- "Vous ne faites que donner la main aux gens."
- "Si tu t’ennuies, tu sais où venir."
- "Tu n’es que aide-soignante, tu ne peux pas comprendre."
- "Vous êtes un peu la femme de chambre des urgences non ?"
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Je me demande si dénigrer et s’auto-dénigrer, ne serait pas simplement un mécanisme de défense ?
Parce que quand on y pense, enfant dans la cour de récré, ceux qui se moquaient des autres, c’était souvent parce qu’ils étaient conscients qu’il leur manquait quelque chose. Des capacités pour avoir de meilleures notes, des amis sincères et non pour la popularité. Le courage d’avoir un style vestimentaire différent, l’estime de soi pour garder la tête haute malgré une différence physique, etc.
Si l’on transpose ça à l’âge adulte, les attaques sont au niveau des valeurs du soignant, son savoir-être et savoir-faire. Finalement, en voyant le dénigrement comme un mécanisme de défense, est-ce qu’on lui donnerait autant d’importance ?
De l’attention, pourquoi pas. Cela permettrait d’initier les soignants dès leur formation, aux mécanismes de défenses qu’ils pourraient avoir ou rencontrer le long de leur parcours professionnel. Tout en renforçant la confiance en soi et l’estime de soi, vitales pour un équilibre. Surtout que le premier outil du soignant, c’est lui-même !
On pourrait de cette façon petit à petit, effacer les préjugés ancrés, pour laisser place à une base de formation soignante valorisée et valorisante. Beaucoup sont certainement en train de se dire, c’est beau de rêver… Mais attendez un peu !
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Je le sais, mais je fais ma part !
Un après-midi d’été, dans l’effervescence des urgences, j’installe un patient. Il me remercie malgré la douleur et l’impatience qui le gagne. Je lui réponds que je fais simplement ma part.
De l’autre côté du rideau, le patient d’à côté dit : "Ha Pierre Rabhi !" Je lui réponds : "Non, moi, c’est Isabelle !" Il rit et me dit que la phrase que j’ai prononcée ressemblait à celle de Pierre Rabhi.
Ensuite, il s’est mis à me conter la légende du colibri :
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : "Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !"Et le colibri lui répondit : "Je le sais, mais je fais ma part."
Puis il termine en me disant : "En réalité, vous êtes un colibri dans l’incendie des urgences."
Je trouve que cette légende amérindienne, résume assez bien le rôle de l’aide-soignante dans la jungle du soin. Nous pouvons sembler ou nous sentir insignifiantes face aux autres professions médicales ou paramédicales. Mais en réalité, nous avons tous un rôle à jouer. Notre rôle est certes différent, mais complémentaire pour que cette chaîne de soins reste solide. Car la force d’une chaîne se mesure à son maillon le plus faible.
D’ailleurs, je crois que cette légende peut tout à fait être la réalité d’un grand nombre de soignants. Voire même de tous ceux qui évoluent dans le domaine de l’accompagnement qu’il soit médical ou éducatif.
Peut-être que les gouttes d’eau que nous apportons chaque jour, finiront par titiller les autres et les pousser à s’activer pour sauver les valeurs humaines qui se consument.
Alors continuons à faire notre part !
Z.I.K., soignante
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