Les soins palliatifs, une autre manière de soigner : et si vous y travailliez ?
Souvent perçus comme un domaine morose, synonyme de mort, les soins palliatifs recèlent une tout autre réalité : celle d’une approche du soin centrée sur la personne, où l’on prend le temps d’écouter et d’accompagner. Sur le terrain, médecins, infirmiers, kinés, psychologues, ergothérapeutes ou bien encore assistants sociaux conjuguent leurs savoirs pour adoucir le quotidien et préserver la dignité. Plongée au cœur d’un secteur exigeant, mais profondément humain, où l’on soigne avec du sens, du temps et une vraie collaboration interdisciplinaire.
On connaît les urgences, la gériatrie, la psychiatrie… mais les soins palliatifs ? Peu d’étudiants en parlent, et rares sont les soignants qui s’y projettent spontanément. Par méconnaissance, surtout. Derrière les clichés d’un secteur « triste » se cache pourtant un champ professionnel riche, en évolution constante, où se croisent médecine, psychologie, travail social et éthique.
Pour Céline Van der Cam, directrice de la Fédération bruxelloise des soins palliatifs et continus, et Simon Elst, infirmier coordinateur et responsable de projets au sein de la FBSP, il est temps de changer de regard. Les soins palliatifs ne se limitent pas à la fin de vie : ils s’intègrent aujourd’hui bien plus tôt dans les parcours de soins, pour accompagner le patient autrement. Un domaine qui gagne à être connu — et qui pourrait bien offrir à certains soignants la place qu’ils cherchent encore.
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Comprendre ce que sont (vraiment) les soins palliatifs
Avant d’être une spécialité, les soins palliatifs sont avant tout une manière d’aborder le soin. « Ce sont des soins prodigués dans un contexte de maladie grave, lorsqu’une guérison n’est plus possible, et dont l’objectif est de préserver la qualité de vie du patient et de son entourage », lance en préambule Simon Elst.
Et de préciser : « L’attention se déplace vers ce qui compte pour la personne. La notion de qualité de vie est profondément personnelle : elle dépend des valeurs, des priorités et du rythme de chacun. »
Cette approche s’applique dans tous les milieux : à domicile, à l’hôpital, en maison de repos, qu’il s’agisse de services spécialisés ou non. Plus qu’un lieu, les soins palliatifs représentent donc une philosophie du soin, où chaque geste vise à préserver ce qui fait encore sens pour la personne accompagnée.
Précisons que cette approche implique, en parallèle, des savoirs spécialisés (pratiques, traitements, outils cliniques...) que maîtrisent les équipes et services experts dans ce domaine. « Concrètement, ce sont donc les équipes spécifiquement formées pour intervenir dans les situations complexes », ajoute-t-il.
Autrement dit, les soins palliatifs sont à la fois :
- une approche particulière, que tout professionnel du secteur Social / Santé peut intégrer à sa pratique ;
- et une spécialité, qui peut faire l’objet d’une formation approfondie et qui est souvent incarnée par les équipes expertes.
Un secteur en pleine évolution
Cette philosophie du soin s’inscrit dans un contexte en pleine mutation. Aujourd’hui, les soins palliatifs ne se limitent plus à la toute fin de vie. Depuis quelques années, ils s’intègrent plus tôt dans les parcours de soins, dès qu’une maladie grave compromet la guérison. L’objectif : améliorer la qualité de vie avec la possibilité de poursuivre ou non les traitements curatifs.
« Pendant longtemps, ces soins étaient consacrés aux toutes dernières étapes de la vie, souvent aux dernières semaines », observe Simon Elst. « Depuis 2016, on cherche à les introduire plus précocement, car on constate qu’adopter plus tôt une approche centrée sur la qualité de vie apporte de réels bénéfices. Cela ne veut pas dire qu’on met fin aux traitements curatifs, mais qu’on peut, bien plus tôt qu’auparavant, intégrer les questions de qualité de vie dans le parcours de soins. »
Cette évolution s’accompagne d’un essor du soin à domicile. « En soins palliatifs, on observe que la majorité des personnes aimeraient, si leur confort peut être garanti, terminer leur vie à domicile », souligne Céline Van der Cam. « C’est donc à la fois pour des raisons humaines et stratégiques que ce secteur connaît un développement croissant. »
Cette intégration précoce et la diversification des lieux de soins traduisent une transformation plus profonde : celle d’une culture du soin qui ne se résume plus à guérir, mais à accompagner dans la durée, en tenant compte des réalités de chacun.
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Une approche profondément interdisciplinaire
Les soins palliatifs reposent sur une conviction forte : aucun professionnel ne peut tout faire seul. La complexité des situations, qu’elles soient physiques, sociales, spirituelles ou bien encore psychologiques, impose une approche interdisciplinaire où chaque regard compte.
« En soins palliatifs, l’une des particularités est la complexité des situations auxquelles on est confronté : des problématiques multiples, profondément multidimensionnelles, qui se manifestent par exemple dans les relations avec la famille ou les proches », pointe Simon Elst. « La fin de vie mobilise de nombreux aspects de l’existence, et chacun d’eux peut soulever ses propres difficultés. C’est pourquoi le travail interdisciplinaire y occupe une place essentielle et centrale. »
Sur le terrain, cette collaboration se traduit par des réunions d’équipe, des concertations régulières et un partage continu d’expertise entre médecins, infirmiers et kinésithérapeutes — très présents dans la plupart des situations palliatives — mais aussi assistants sociaux, psychologues ou encore ergothérapeutes, pour ne citer que ces professions actives dans les soins palliatifs. « L’idée même de l’interdisciplinarité, c’est justement de ne pas cantonner chacun à un rôle précis, mais de permettre à tous de se réunir autour de la table pour réfléchir ensemble à la résolution de situations complexes. »
Notons aussi que dans cette organisation collective, le médecin traitant occupe un rôle central, celui du pivot du parcours du patient, garant de la continuité et du sens du projet de soins.
Trouver du sens dans un métier exigeant
Travailler en soins palliatifs, c’est exercer un métier où la dimension émotionnelle est omniprésente. Les soignants côtoient la fin de vie, accompagnent les familles, gèrent la douleur, les doutes et parfois l’impuissance. Ce quotidien intense suppose une vigilance constante face au risque d’usure, mais il s’accompagne aussi d’un profond sentiment d’utilité et de cohérence : celui de faire un métier porteur de sens.
« Il y a quelque chose de super particulier par rapport aux soins palliatifs, mais qui est très important : cet impact émotionnel sur les soignants, il est tout à fait reconnu », explique Simon Elst. « La première loi belge sur les soins palliatifs de 2002 comprend un paragraphe qui dit que pour pouvoir dispenser des soins palliatifs en Belgique, il est nécessaire d’offrir aux soignants le temps et l’espace pour pouvoir justement prendre leurs émotions en compte et s’en occuper. »
Sur le terrain, cette reconnaissance se traduit par des dispositifs de soutien : supervisions d’équipe, espaces de parole, accompagnement psychologique, support d’infirmières spécialisées. Ces moments permettent de déposer ce qui pèse, de prendre du recul et de renforcer la cohésion au sein des équipes. « Ces espaces servent à prendre soin de soi, du fait qu’on est exposé à des situations difficiles, mais aussi à des questions de finitude au quotidien. Et il ne faut pas le nier, ça a un impact. »
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Pour Céline Van der Cam, cette attention portée aux soignants fait partie intégrante de la philosophie palliative : reconnaître la vulnérabilité du professionnel, c’est aussi préserver la qualité de la relation au patient. « Dans certaines équipes, on peut aussi organiser des supervisions individuelles ou en groupe pour déposer ce qui est trop lourd. Et puis, je pense que le sens même du métier aide à traverser ces émotions : accompagner, préserver la dignité, prendre le temps avec le patient, ça nourrit. »
Ce sens, souvent évoqué par les soignants, agit comme une boussole face à la charge émotionnelle du quotidien. Il protège autant qu’il motive, à condition de rester conscient de ses limites. « Les soignants en soins palliatifs sont souvent très orientés sur un abord philosophique des choses, des réflexions autour de la fin de vie, un investissement qui les nourrit », reconnaît Simon. « Et parfois, ils minimisent le fait qu’une confrontation à temps plein à ces situations ne laisse pas indemne. Souvent, ça tient grâce au sens. Mais si on n’a pas d’espaces pour se regarder dans le miroir, ça peut finir par s’écrouler. C’est à la fois une force et un risque. »
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Les qualités humaines et professionnelles recherchées
Ce sens s’appuie sur des compétences humaines et cliniques bien spécifiques. En soins palliatifs, comme dans les autres domaines du soin, il faut ainsi conjuguer compétences cliniques et qualités relationnelles. Cet équilibre est d’autant plus essentiel ici que le soin ne se limite pas à la technique : il s’agit aussi de prendre le temps, d’écouter, de comprendre et d’offrir une présence réelle au patient et à ses proches. « Dans ce contexte, le rôle des soignants ne change pas fondamentalement ; c’est surtout l’approche qui évolue », note l’infirmier.
Une autre spécificité des soins palliatifs ? La temporalité du soin s’inverse : ce n’est plus le patient qui s’adapte au rythme de l’institution, mais l’équipe qui s’ajuste à son tempo. L’enjeu est, en effet, de laisser de l’espace à ce qui doit advenir, plutôt que de précipiter l’action.
Cette attention à la présence, à l’écoute et au respect du rythme de l’autre redonne à de nombreux soignants le sens profond de leur métier. Loin de l’urgence et de la productivité, les soins palliatifs rappellent que soigner, c’est d’abord être là. « Ce qui est important, c’est vraiment de pouvoir montrer une disponibilité et une présence au patient et à son entourage », confirme Céline. « L’idée n’est plus de ‘faire’, mais de laisser une place à tout ce qui doit se dérouler. On est plus dans le temps long de l’intervention. »
Défis et fragilités du secteur
Derrière la richesse humaine et la cohérence du modèle, le secteur des soins palliatifs reste fragilisé par une série d’obstacles qui freinent son attractivité auprès des (futurs) professionnels.
Premier souci : le déficit d’image. « C’est vrai que les soins palliatifs, ça fait peur, ça a l’air morose de l’extérieur. Or, c’est l’inverse, c’est lumineux. C’est rempli de bienveillance, c’est la vie avec un grand V », martèle Céline Van der Cam, directrice de la Fédération.
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Le sujet reste aussi peu présent dans les cursus des étudiants de la santé, souvent abordé en marge, sans cadre structuré. « C’est très limité, je pense qu’on y consacre à peine quelques heures dans les diverses formations », déplore Simon Elst. « Par exemple, il n’existe aucune obligation, aucun nombre minimal d’heures prévu dans les cursus de médecine ou de soins infirmiers. Il est donc tout à fait possible que le sujet ne soit pas abordé du tout... »
À ces lacunes s’ajoute un manque de moyens structurels, particulièrement marqué au sein des équipes de soins à domicile. Celles-ci doivent répondre à une demande en constante augmentation… sans disposer des ressources nécessaires. « À Bruxelles, faute de gouvernement régional, certaines équipes de soins à domicile ont dû commencer à licencier du personnel faute de financement », alerte Céline Van der Cam. « Et au même moment, la demande ne cesse de croître, en raison du vieillissement de la population et de la chronicisation des maladies. Pour la première fois, des patients ont été placés sur liste d’attente parce que les équipes étaient saturées. C’est un signal des plus préoccupants. »
Simon Elst rajoute : « Les équipes perdent en capacité, alors même qu’elles ne savaient déjà pas prendre tout le monde. On est vraiment dans l’inverse de la bonne tendance. Le fait d’affaiblir des équipes limite les capacités à s’entraider et à maintenir la qualité du soin. »
Pourquoi (et comment) se lancer dans les soins palliatifs ?
Comme vous l’aurez compris, si le secteur des soins palliatifs reste méconnu et parfois mal perçu, il offre pourtant un terrain professionnel riche, où les soignants peuvent exercer autrement : avec du temps, de la coopération et une vraie continuité dans la relation au patient. Les soins palliatifs ne nécessitent pas toujours une spécialisation : c’est avant tout une approche, que chacun peut adopter dans sa pratique quotidienne.
« C’est une discipline où on peut prendre le temps », rappelle Céline Van der Cam. « Partout dans le système de soins, on va vers la rentabilité, la rapidité. En soins palliatifs à domicile, on n’est pas financé à l’acte. Les infirmiers bénéficient d’un forfait palliatif, ce qui leur permet de passer plus de temps auprès du patient lorsque c’est nécessaire. C’est un métier rempli de sens et fondé sur la solidarité entre soignants et patients. »
Entre écoute, solidarité et recherche de sens, les soins palliatifs apparaissent ainsi comme un espace professionnel à redécouvrir — un lieu où le soin se réinvente, au rythme du patient, et où l’envie d’être soignant retrouve toute sa profondeur. Et si (re)donner du sens à votre métier passait, tout simplement, par cette autre manière de soigner ?
Emilie Vleminckx
Rédactrice en chef
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