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Au cœur de la pouponnière : le quotidien d’une psychologue auprès des tout-petits

16/12/25 # Psychologue
Au coeur de la pouponnière : le quotidien d'une psychologue auprès des tout-petits

Le Guide Social s’est rendu à la Maison d’Enfants Reine Marie-Henriette, aussi appelée "La Flèche", pour rencontrer Camila Canellada, psychologue en pouponnière. Elle y accompagne des enfants de 0 à 6 ans, souvent marqués par des ruptures précoces. Son travail repose sur une alliance délicate : soutenir les enfants, accompagner les parents et épauler les équipes. Un métier exigeant mais profondément porteur de sens, où chaque petite avancée rappelle l’importance d’un cadre sécurisant pour grandir.

Le Guide Social : Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel ? Comment en êtes-vous venue à devenir psychologue en pouponnière ?

Camila Canellada : Le métier de psychologue m’a toujours attirée. Déjà adolescente, je me voyais bien faire ça. J’ai toujours aimé écouter, aider, comprendre ce qui se joue chez l’autre. Et puis ma maman travaille à la Lice ASBL, un service de soutien à la parentalité. Je pense que ça m’a aussi influencée.

L’intérêt pour l’humain et la relation m’a menée assez naturellement vers des études d’assistante en psychologie à Marie Haps après mes secondaires. Pendant mes études, j’ai fait un stage au SASPE Reine Astrid, à La Hulpe, et j’ai adoré. J’ai eu une maître de stage incroyable, très présente, et cette première expérience a vraiment été fondatrice.

Après mon bachelier, j’ai poursuivi avec un master en psychologie de l’enfant, de l’adolescent et de la famille à l’UCL. En dernière année, une amie qui travaillait déjà ici, à la Maison d’Enfants Reine Marie-Henriette, m’a parlé d’un renfort recherché pour l’espace famille. À l’époque, il n’y avait qu’une psychologue à mi-temps pour tout l’espace. Ils avaient besoin d’étudiants pour soutenir ce travail. J’ai commencé ainsi : d’abord étudiante, puis engagée comme intervenante psychosociale, puis enfin comme psychologue.

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"Avec les petits, on peut vraiment travailler à la base"

Le Guide Social : C’est donc ici que vous avez commencé votre parcours professionnel. Qu’est-ce qui vous a attirée spécifiquement vers la petite enfance ?

Camila Canellada : Les premières années de vie sont un moment charnière. Je me suis dit que tout ce que je pouvais apporter aux tout-petits ne pouvait qu’être positif pour leur développement. Chez les adultes, certaines choses sont déjà plus ancrées, plus difficiles à dénouer. Avec les petits, on peut vraiment travailler à la base.

Le Guide Social : Et comment se déroule une journée type en pouponnière ?

Camila Canellada : Chaque jour est différent. J’ai plusieurs missions : je suis certains enfants de 0 à 6 ans en thérapie. Ils sont accueillis ici 24h/24 et 7j/7. Certains retrouvent leurs parents le week-end ou pour une nuit, mais la plupart vivent ici en collectivité.

La Maison des enfants accueille 34 enfants dans quatre groupes. Les plus grands vivent à neuf, les plus petits à huit. Ils ne vont pas à la crèche, c’est leur maison, même si on ne se considère pas comme leur famille.
Certains arrivent après un passage en service résidentiel d’urgence, parfois après de nombreuses ruptures. L’idée de la thérapie, c’est d’offrir un espace où ils peuvent déposer ce qu’ils vivent, mettre des mots sur leur histoire, ou passer par le jeu selon l’âge.

Une autre partie de mon travail, c’est l’observation en groupe. J’entre dans l’unité de vie et j’observe comment l’enfant évolue, interagit, quelle place il prend. C’est un regard sans jugement, complémentaire à celui des éducateurs qui, à force d’être dans le quotidien, ne voient plus tout ou n’ont pas toujours le recul nécessaire. On échange ensuite en réunion pour comprendre le comportement de l’enfant et lui donner du sens.

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"Le souci ? La fonction de psychologue n’est pas reconnue dans l’aide à la jeunesse !"

Le Guide Social : Votre rôle s’inscrit donc pleinement dans la continuité de celui de vos collègues. Comment s’organise le travail en équipe ?

Camila Canellada : Les équipes éducatives sont présentes auprès des enfants au quotidien. Je fais, pour ma part, partie du pôle psychosocial qui inclut les psychologues, les intervenants psychosociaux, les assistantes sociales et la direction pédagogique. Ensemble, nous travaillons sur le projet de chaque enfant. Chaque semaine, nous avons également une réunion avec chacune des quatre équipes éducatives, pour évoquer l’évolution des enfants, leurs besoins, les difficultés rencontrées.

On travaille aussi beaucoup avec les familles. Et chaque semaine, on a une réunion par équipe éducative (donc quatre réunions au total) pour parler du quotidien, de l’évolution des enfants, des difficultés rencontrées.

Un vrai problème, c’est que la fonction de psychologue n’est pas reconnue dans l’aide à la jeunesse. Il n’y a pas de subsides pour engager des psychologues, seulement des intervenants psychosociaux, alors qu’on travaille avec des enfants qui ont parfois vécu des traumas très lourds.

Le Guide Social : Selon vous, quelles compétences sont essentielles pour exercer ce métier ? Et comment travaillez-vous avec les tout-petits qui ne parlent pas encore ?

Camila Canellada : Ça peut sembler banal, mais l’empathie, la bienveillance et la patience sont indispensables.

On travaille avec des enfants qui ont connu des ruptures, des traumas, beaucoup d’insécurité… Ils rejouent tout ça dans leurs relations ici. Avec les bébés, beaucoup de choses passent par le corps. Je ne suis pas psychomotricienne, mais certains ont besoin de contenance, d’être enveloppés, portés. Le portage symbolique est très important : ce n’est pas juste porter, c’est soutenir, montrer qu’on est là, mettre des mots. L’accompagnement se fait vraiment au niveau corporel.

La parentalité et l’attachement, on les étudie beaucoup, mais le vivre au quotidien, c’est autre chose. Maintenant, je le ressens dans mes tripes.

"Ce qui me touche le plus, c’est tout l’amour qu’ils nous donnent..."

Le Guide Social : Travailler auprès de tout-petits séparés de leurs parents peut être très fort émotionnellement. Certaines visites avec les parents ou les familles sont extrêmement encadrées.

Camila Canellada : Le but est de maintenir le lien dans un cadre sécurisant. L’espace famille est consacré à cela : des salles adaptées selon l’âge de l’enfant, où l’enfant rencontre son parent. On accompagne l’enfant, mais aussi le parent dans ses questionnements. On voit aussi les parents en entretien individuel : on parle des raisons du placement, de ce qui s’est passé, du déroulement des visites, de leurs propres histoires, souvent très douloureuses.

Heureusement, les journées ne sont pas toujours éprouvantes. Il y a aussi énormément de joie ici. Les enfants ont leur personnalité, leurs jeux, leurs rituels, et ils apportent quantité d’éléments positifs. Ce qui me touche le plus, c’est tout l’amour qu’ils nous donnent : un câlin, un bisou, un dessin, un petit mot… Ces moments-là restent. Je garde d’ailleurs tous leurs cadeaux dans une boîte.

Ce qui est le plus compliqué, c’est parfois le travail avec les parents. Beaucoup sont abîmés, en colère, perdus. Ils veulent être avec leur enfant, et c’est normal. Leur souffrance a un impact sur le petit, sur son insécurité. On se sent parfois impuissant. On essaie de garder du recul, de ne pas se laisser happer par leur histoire. On a une équipe extraordinaire : quand quelque chose est difficile, on peut en parler, se soutenir. On décharge beaucoup entre nous, en réunion ou de manière informelle. C’est précieux. Et puis il y a des moments de progrès, de joie, qui nous remettent en route.

Le Guide Social : Qu’avez-vous appris sur vous-même au contact de ces enfants ? Votre regard sur la parentalité a-t-il changé ?

Camila Canellada : J’ai compris que l’amour d’un parent, même lorsqu’il est fragile ou défaillant, reste fondamental pour l’enfant. J’ai appris à prendre du recul par rapport aux réactions des enfants, à ne pas m’arrêter à ce qu’ils montrent en premier.

Comme tout le monde, je viens avec mes propres modèles familiaux, parfois un peu rigides. Les enfants m’ont montré que l’humour, le lâcher-prise et la dérision fonctionnent souvent mieux que la fermeté. J’ai aussi développé une grande patience à leur contact.

La parentalité et l’attachement, on les étudie beaucoup, mais le vivre au quotidien, c’est autre chose. Maintenant, je le ressens dans mes tripes.

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"J’aimerais déconstruire l’idée que ces enfants seraient uniquement malheureux"

Le Guide Social : Pour terminer, avez-vous un message pour celles et ceux qui envisagent de travailler dans ce secteur ?

Camila Canellada : C’est un domaine extrêmement riche. On apprend beaucoup des enfants, de leurs difficultés, de leur accompagnement, mais aussi des parents et des équipes. On découvre ce que signifie vraiment vivre avec des enfants 7j/7, et on travaille souvent avec des équipes formidables.

J’aimerais aussi déconstruire l’idée que ces enfants seraient uniquement malheureux. Le contexte est évidemment complexe, mais tout le monde partage la même intention : leur offrir un cadre sécurisant pour grandir au mieux. Ce sont des enfants accompagnés, entourés, et profondément aimés.

Laura Mortier



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