Chronique d'un psy : la chasse est ouverte !
En tant que travailleur de la santé mentale, je m’interroge sur la position de notre ministre de la santé face à la question épineuse du psychothérapeute, ainsi que la notion de danger que cela engendre pour le patient.
Cette semaine, gonflé à bloc par une actualité des plus moribonde, j’ai été saisi par les propos virulents d’une patiente venant me consulter dans un contexte bien particulier : celle-ci a développé une symptomatologie anxieuse à la suite d’un entretien avec une de mes consœurs, prétendument spécialisée en psychothérapie. En effet, depuis qu’elle l’a rencontrée, Madame X ne dort plus. Il faut le dire, elle m’a l’air bien compliquée Madame X. Ambivalente, avec un profil limite borderline, mais surtout, elle est en deuil, Madame X. Elle est triste, elle pleure, elle est désespérée et ne demande qu’une seule chose, qu’on l’écoute.
Je tiens à le préciser, j’ai une éthique. Je fais partie de ces psy qui ne vont jamais ouvertement critiquer un collègue devant leur patient. Par contre, il faut que je le confesse, je change lamentablement la donne autour d’un café, en supervision ou après trois bières avec mes collègues. Oui, il arrive que je me lâche et traite certains de mes confrères de crétins finis, c’est cathartique. J’aurais pu faire l’impasse sur cette histoire si seulement Madame X ne m’avait pas donné les nom et prénom de son bourreau après 2 heures de complaintes, me mettant définitivement en retard dans ma consultation. Qu’on se le dise, à la fin de la journée, j’étais clairement remonté comme un coucou…
J’ai hésité, vous savez. La délation, ce n’est pas mon truc, mais vu le contexte actuel, n’est-il pas grand temps d’empêcher tous ces hérétiques de psychothérapeutes d’avoir accès à nos patients ? Sans crier gare, j’ai donc dégainé mon téléphone portable et appuyé sur la touche numéro une, mon raccourci favori, qui me met en connexion instantanée avec tata Maggie. Il s’en est suivi une discussion d’une demi-heure, avec pour thème favori l’incongruence intellectuelle et la malhonnêteté de tous ces gens. Elle me l’a renvoyé clairement, on les aura ces charlatans, ces sans-diplôme, de tous horizons. Interloqué, je lui ai demandé poliment : mais que va-t-on faire contre ce fléau nauséabond ? Elle m’a répondu, sans langue de bois : on va les traquer, quitte à leur coller un insigne distinctif ou à les forcer à pratiquer dans un quartier-guetto où aucun psychologue ne veut aller. Rassuré d’être enfin compris par ma ministre, je me suis permis d’avoir quelques précisions quant à l’infâme personnage qui a traumatisé ma patiente. C’est à ce moment-là que Maggie est devenue plus distante, finissant par me cracher le morceau tout en prétextant un conseil des ministres extraordinaire pour mettre précipitamment fin à notre discussion téléphonique : on ne peut quasi rien faire contre ma consœur, parce qu’avant d’être psychothérapeute, elle est surtout psychologue clinicienne.
J’ai mis du temps avant de remettre de l’ordre dans mes idées. Cette information est venue ébranler ma manière de voir les choses. Se pourrait-il que des psychologues formés soient tout aussi incompétents que certains psychothérapeutes ? La compétence est-elle à chercher ailleurs que dans le diplôme ? Elle fait quoi Maggie pour éviter que des psychologues cliniciens, orthopédagogues ou médecins complètement siphonnés viennent semer le trouble dans la tête de nos patients ? Pas grand chose...
La peur au ventre, c’est dans les souvenirs de mon grand-père que j’ai réussi à me calmer. De fait, celui-ci, pragmatique au possible, m’a renvoyé cette phrase : si un plombier ne débouche pas bien tes toilettes, tu ne feras certainement plus appel à lui. Loin de moi l’idée de comparer le psy et le plombier, cette métaphore me renvoie à quelque chose de plus profond : et si on se contentait de laisser le patient libre de choisir, en se disant que s’il n’est pas satisfait de la prestation, il ira déboucher ses toilettes ailleurs ?
En conclusion, je me pose une question. Ne pourrait-on pas sortir de cette guéguerre et, plutôt que d’imposer l’acte psychothérapeutique à des professions universitaires bien définies, se poser la question plus pertinente de savoir comment se prémunir des vrais praticiens dangereux, qu’ils soient psychologues, médecins, psychothérapeutes, ou même plombiers…
T. Persons
[ A lire : Chronique d’un psy : Le règne du docteur]
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