Chronique d'un psy : le règne du docteur
Alors que la question du remboursement des entretiens psychologiques semble de plus en plus se poser, en tant que psychologue, je m’interroge sur les conditions dans lesquelles un remboursement partiel est envisagé.
Cette semaine, à la lecture du sacro-saint formulaire de remboursement d’intervention psychologique d’une célèbre mutualité wallonne, ce ô combien précieux papier permettant à nos richissimes patients de financer pleinement le traitement de leur dépression chronique, j’ai bien failli tomber à la renverse. D’habitude stoïque, tel un psychanalyste vissé sur son fauteuil, je n’ai pas pu m’empêcher de lever le sourcil gauche, provoquant l’intérêt frénétique de mon patient, ce qui, bien évidemment, le poussa à mettre en mots la formule qui me fit chavirer : « Y’a quelque chose qui va pas, Monsieur ? ». J’aurais voulu me la jouer cool, détaché, neutre, lisse, mais malheureusement devant l’air neurasthénique de mon patient bipolaire mal dosé, j’ai littéralement craqué.
Non, ça ne va pas du tout, Monsieur Vanpieperzeel ! J’arrive déjà difficilement à me contrôler face à l’envie irrépressible de vous secouer lorsque vous me renvoyez platement que rien ne va. J’ai acquis une certaine maîtrise pour vous cadrer lorsque, en pleine phase maniaque, vous vous êtes entêté à vouloir repeindre ma sordide salle d’attente. Mais là, je ne peux plus me taire face à cette ignominie que vous me tendez, de vos mains tremblantes, attendant de moi ce que je ne peux vous offrir : une prescription médicale circonstanciée pour le remboursement de vos 6 séances à raison de 10 euros l’entretien. Je suis psychologue clinicien, Monsieur, je ne peux vous prescrire quoi que se soit. Je n’ai pas de blouse blanche, de stéthoscope, de numéro INAMI ou de cahier de prescription. Derrière ma colère complètement inappropriée se cache un brin d’impuissance et de frustration qui m’obligent lâchement à vous dire que si vous voulez vous faire rembourser vos 60 euros, il va falloir en débourser 30 chez votre médecin traitant…
Il fallait que ça sorte… Vous voyez, je suis du genre idéaliste et farouchement attaché à ma liberté thérapeutique, dans un pays qui défend corps et âme des valeurs démocratiques. Sauf que là, je tombe de haut : mon travail ne vaut d’être partiellement remboursé uniquement que s’il est avalisé par un médecin. Vous rendez-vous compte que si l’on suit la logique de votre mutualité, il n’y a qu’un docteur qui peut vous autoriser à venir me consulter ? Bon d’accord, peut-être qu’il s’agit avant tout d’une histoire d’égo mal placé. Certes, l’idée de dépendre d’un médecin me donne un élan empathique pour mon chat que l’on a dû castrer, mais en dehors de mon nombril, êtes-vous conscient que le dindon de la farce, c’est vous ? Oui, Monsieur Vanpieperzeel, on estime qu’un médecin est plus compétent que vous pour juger si oui ou non, vous allez mal. Pardon ? Oui, Monsieur, on vous prend pour un imbécile. Vous me demandez pourquoi un médecin est plus légitime pour décider ? C’est une bonne question !
Le médecin… Dois-je rappeler qu’il y a un siècle, on avait honte de l’avoir pour gendre alors qu’à l’heure actuelle il est la rockstar des soins de santé. Il est celui par qui tout passe, la toute puissance suprême. Vous savez, Monsieur Vanpieperzeel, pour que je puisse légalement exercer, il me faut impérativement comptabiliser 5 années d’études, suivies d’un troisième cycle de minimum 3 ans pour pouvoir porter légalement mon titre de psychothérapeute. Dans le même temps, avec ses quelques heures de psychologie en début de parcours académique, le médecin est par essence également psychothérapeute. Alors que le professionnel de santé doit se former pour avoir accès à un titre de spécialiste, on considère que le médecin est formé par défaut. Votre toubib est donc également psychothérapeute, tabacologue, assistant social, avocat ou plombier pourvu qu’il trouve le bon code INAMI pour vous faire rembourser. Jaloux ? Moi ? Non, du tout. Je vais même vous confier que d’une certaine manière, je n’aimerais vraiment pas être dans cette position de toute puissance tant j’ai l’impression qu’aucune dictature ne peut se suffire à elle même. Je dramatise ? Oui, clairement. Je connais des médecins qui vont se former à la psychothérapie. On ne s’écarte pas un peu du sujet ? Monsieur Vanpieperzeel, le sujet, c’est vous.
En conclusion, cette semaine, empreint d’un énorme sentiment de culpabilité face à mon pétage de câble, j’ai dû quémander un certificat médical à un ami médecin pour éviter que mon patient ne paie une consultation pour rien. L’ironie du sort ? Mon ami m’a demandé avec l’arrogance du désespoir : « Je mets quoi sur l’attestation ? Je suis pas psy, moi ! »
T. Persons
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