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Aidant proche : "J'ai tout lâché pour m'occuper de ma fille malade"

15/10/19
Aidant proche:

Amandine, 13 ans, souffre d’une maladie génétique très rare qui provoque différentes formes de handicap. Après avoir appris le terrible diagnostic, Sylvia Cammisuli, sa maman, n’a pas hésité une seconde… Elle a lâché son travail pour s’occuper 24 heures sur 24 de sa fille aînée. Isolement, manque de reconnaissance, sacrifices, remarques blessantes et combats de chaque instant : elle livre au Guide Social un témoignage poignant. Celui d’une mère qui ferait tout pour adoucir le quotidien de sa fille et la voir sourire… Simplement.

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« Cette situation nous a isolés. Beaucoup de gens sont partis, n’ont pas compris notre choix. Ils estimaient qu’on aurait pu faire autrement. En gros, placer notre enfant malade dans une institution », lance Sylvia Cammisuli, aidant proche. « Mais pour nous, c’était clairement hors de question. Nous voulons offrir à Amandine le plus de temps et de présence possible et ce jusqu’à la fin. » Depuis de longues années maintenant, cette habitante de Colfontaine se dédie corps et âme à Amandine, sa fille aînée, âgée de 13 ans. Cette dernière souffre d’une maladie génétique rarissime. « Juste après l’accouchement, elle a immédiatement été conduite au CHU Tivoli car elle était cyanosée. Après une batterie de tests, on nous a annoncé la maladie d’Amandine », se remémore-t-elle non sans émotion. « Aujourd’hui, le diagnostic n’est toujours pas sûr à 100%. Le corps médical pense qu’elle souffre de la maladie de Hirschsprung, qui touche un cas sur 6.000 en Belgique. Mais, ma fille a une forme qui n’a jamais été détectée avant. Cela reste donc encore et toujours un mystère. »

L’adolescente est suivie par une grosse équipe médicale. Elle voit une kinésithérapeute tous les jours et se rend à l’hôpital deux fois par semaine. Au quotidien, elle a besoin de l’aide de sa maman pour effectuer la grande majorité des gestes du quotidien. « Certes, elle sait marcher. Par contre, elle n’est pas en mesure de s’habiller, de mettre un manteau, de nouer ses lacets ou encore de défaire un bouton. Je dois aussi la laver », décrit celle qui est aussi la maman de Lisa, 11 ans. « Face à cette situation, je suis devenue tout naturellement et sans le savoir aidant proche. J’étais frituriste et, rapidement après avoir appris la maladie, j’ai tout lâché pour m’occuper à temps-plein de ma fille. C’était tout bonnement impossible de concilier un boulot avec la prise en charge de mon enfant. Je suis avec elle tous les jours et tout le temps. Mon mari, lui, a gardé son travail. Certaines personnes m’ont demandé pourquoi je ne travaillais plus. Mais c’est totalement impossible ! Qui s’occupera de ma fille ? Il manque de structures pour aider, accompagner les personnes comme Amandine. »

À force de s’occuper de son enfant, Sylvia est un peu devenue aide-soignante, infirmière, kiné ou encore aide à domicile. « J’ai dû tout apprendre sur le tas », concède-t-elle. « Depuis trois ans, Amandine bénéficie de transfert d’immunité. Une infirmière vient chez nous pour effectuer la transfusion. On nous a demandé d’apprendre les gestes afin de pouvoir les réaliser sur notre fille en cas d’absence de la professionnelle. Je peux faire plein de choses mais lui mettre une perfusion me semblait au-dessus de mes forces. Ce n’était pas mon travail... Mais pas le choix… J’ai dû apprendre à le faire. »

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Solitude, incompréhension et sacrifices

Durant longtemps, Sylvia Cammisuli ne s’est pas posée de question sur son statut particulier. Pour elle, cet accompagnement allait naturellement de soi. C’est sa fille. Son enfant. Le mot aidant proche ne faisait donc pas partie de son vocabulaire… jusqu’il y a peu. « Un jour, j’ai un peu craqué. Je me suis confiée à mon médecin qui m’a parlé de l’asbl aidants proches. C’était la toute première fois que j’entendais ce terme. Je ne savais pas qu’il y avait un mot précis pour désigner les personnes, qui comme moi, s’occupent d’un proche », avoue-t-elle.

Grâce à l’association, elle a bénéficié d’une foule de conseils mais également d’un soutien ô combien apaisant. Un réconfort inestimable. Car, outre la solitude, les aidants proches subissent également de plein fouet au mieux l’incompréhension de la population, au pire des réflexions vraiment blessantes. « On m’a déjà dit : ‘Si elle est aussi malade que ça, pourquoi sourit-elle tout le temps ? Et si elle jouait la comédie ?’ Je dois aussi m’entendre dire, tu as de la chance ta fille marche. A un moment, je ne sais plus quoi répondre à ces gens. C’est aberrant… », s’insurge-t-elle. « Franchement, qui aime voir régulièrement un médecin ou subir des prises de sang à répétition ? A 13 ans, on a surtout envie de faire du vélo, de sauter à la corde ! Ma fille ne peut rien faire de tout cela. Certaines réflexions vont beaucoup trop loin. C’est culpabilisant, jugeant. Et puis, honnêtement, que croient-ils ? Moi, j’aimerais juste aller me balader de temps en temps ou encore recommencer à travailler. Être aidant proche, ce sont des sacrifices au quotidien. »

Mais, comment fait-elle pour tenir le coup ? Pour ne pas s’écrouler ? Arrive-t-elle à prendre soin d’elle ? « Ces moments sont très calculés. Mon mari est en congé un samedi sur deux. Dans ce cas-là, il prend le relais et s’occupe d’Amandine. Cela me permet d’aller chez la coiffeuse, un de mes petits plaisirs », sourit-elle. « Nous sommes aussi soutenus par mes beaux-parents. Ils viennent à la maison près d’Amandine afin que je puisse m’occuper de mon autre fille Lisa. Elle a toujours connu sa sœur malade. On essaye avec mon mari de s’occuper de la même manière de nos deux enfants. En grandissant, Lisa a toujours peur pour sa sœur. Parfois elle me fait cette réflexion : tu t’occupes toujours d’Amandine. Je lui réponds qu’elle a plus besoin de moi car elle, elle ne peut pas se laver ou s’habiller toute seule. On essaye de faire le max pour donner toute l’attention possible à Lisa. »

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Sortir de l’ombre… Enfin

Quand elle a appris la mise en place d’un statut officiel pour les aidants proches de Belgique, Sylvia Cammisuli a salué la nouvelle avec une joie non dissimulée. « Un élément est pour moi primordial dans cette réforme : la reconnaissance. Bien plus que la question d’argent. C’est important que notre pays comprenne notre quotidien et reconnaisse qu’on existe », analyse-t-elle, avant de rajouter : « De mon côté, je mène de la sensibilisation à mon échelle. Beaucoup de gens tombent de haut car ils ne connaissent absolument pas le terme aidant proche et tout ce qui en découle. J’ai appris à un neuropédiatre ce que c’était. Il n’en avait jamais entendu parler. Dans les hôpitaux, rare sont les professionnels à connaître les aidants proches. C’est le monde à l’envers. Il est donc grand temps de sortir de l’ombre et que les gens comprennent que c’est du 24h sur 24. Sans répit. »

Le fameux statut officiel pour les aidants proches devait entrer en vigueur le premier octobre dernier, comme annoncé par Maggie De Block, ministre fédérale de la Santé. Mais, il n’en a rien été. La mise en place de la réforme qui offre notamment l’allongement du congé pour assistance médicale accuse du retard. Ce vendredi 11 octobre, le conseil des ministres a donné son feu vert à des projets de loi sur la reconnaissance de l’aidant proche et la possibilité pour celui-ci d’accéder à un congé rémunéré. Ces deux textes de loi doivent encore être transmis pour avis au Conseil d’Etat. Il faudra donc faire preuve de patience. Une situation qui scandalise la maman d’Amandine : « Mais qu’est-ce qu’ils n’ont pas compris dans le rôle de l’aidant proche ? Qu’ils viennent chez nous partager 24 heures de notre quotidien. Cela m’a vraiment mise hors de moi, en colère. »

Elle conclut : « Obtenir enfin une reconnaissance est le principal. L’aide financière, c’est bien mais bon si on devenait multimilliardaires demain cela ne changerait rien à notre quotidien. Il faut mener une sensibilisation autour de ce statut, le faire connaître. Lutter contre les jugements de valeur est aussi une urgence. Le regard des autres est difficile. Au final, c’est parfois cela le plus compliqué à gérer… »

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E.V.



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