Ancien SDF, l'éducateur de rue écrit un livre pour les futurs travailleurs sociaux
Depuis 25 ans, Denis Uvier, éducateur de rue pour l’ASBL Solidarités Nouvelles, veille sur les SDF de Charleroi. Plus qu’un travail, c’est un sacerdoce… Rien d’étonnant : durant six longues années, il a vécu l’enfer de la rue. Cette expérience a fait de lui un travailleur social hors normes. A 61 ans, il écume les squats de jour comme de nuit, fuit le bureau préférant les contacts sur le terrain et rejette les limites qu’on veut lui imposer. Ce poil à gratter du social écrit un livre sur sa vie et sa vision du métier de travailleur social. Sa piqûre de rappel pour les futurs professionnels du secteur…
Aujourd’hui, encore, Denis Uvier, s’est levé à l’aube. Avant d’arriver à son bureau installé au cœur de Charleroi, l’éducateur de rue a effectué une maraude dans un des coins oubliés de la cité. Cette tournée des squats, il continue à la faire tous les jours ou presque, malgré ses deux décennies de carrière. « Je le fais entre deux réunions. Et quand ce n’est pas possible, j’y vais tôt le matin ou tard le soir », pointe le travailleur de l’association Solidarités Nouvelles. « Le terrain est essentiel dans mon métier : je dois connaître le public que j’aide et la spécificité de chaque parcours. »
L’homme ne compte pas ses heures. « J’ai de vraies convictions. La détresse des oubliés du système, comme je les appelle, me scandalise. Je vais à leur rencontre dans les friches industrielles, les chemins de traverse. Récemment, j’ai découvert un squat inexploré. J’y ai vu les traces d’une présence passée. Cela m’a touché car j’avais raté l’occasion d’aider un homme. Il y a tellement de lieux à visiter. Le problème est immense et il n’y a pas assez de travailleurs sociaux de terrain », rage le Carolo.
« De la galère de la rue à la galère du travail social »
S’il vit aussi intensément son métier, c’est qu’il a expérimenté la même descente aux enfers que ceux et celles qu’il aide aujourd’hui. Tout comme eux, il a aussi connu les galères, l’alcoolisme, le vagabondage et la violence de la vie en rue. Son parcours hors-norme, il a décidé de le jeter sur le papier. Pour se raconter mais surtout pour livrer sa vision du métier aux jeunes qui souhaiteraient suivre ses pas.
« On m’a toujours vu comme un homme fort, toujours debout. Mais j’ai été SDF et j’ai connu l’enfer », pointe Denis Uvier. « A plus de 60 ans, il était temps de relater mon parcours personnel et comment il m’a amené à faire le métier que je fais depuis plus de 25 ans. Je suis sorti de la galère de la rue pour entrer dans la galère du travail social. Je me suis battu toute ma via au nom des autres. »
Il rajoute : « Je veux redonner du sens au métier de travailleur social. Je veux aussi susciter des vocations. J’écris donc pour les écoles, pour les futurs travailleurs sociaux. Ils doivent remettre en question la manière actuelle d’envisager le travail social. Mon message aux éducateurs de rue de demain ? Remettez l’humain au centre de la pratique professionnelle et n’essayez pas de mettre les gens dans des cases. Moi, je milite pour une prise en charge humaine et individuelle. »
Passage de flambeau compliqué…
Ce livre n’arrive pas par hasard. C’est que Denis Uvier pense de plus en plus à passer le flambeau. Et pour cause : l’heure de la retraite approche. « J’avais le droit de prendre ma préretraite en 2018. Mais j’ai décidé d’aller au finish. Il me reste donc encore quelques années à enquiquiner mon monde. Et puis, honnêtement, je m’inquiète de ma succession. »
Et de développer : « L’ASBL va engager un jeune qui va apprendre mon métier. J’ai peur qu’il soit cadré, formaté et qu’il suive les règles sans un pas de côté. Je me dis qu’il faut être un électron libre ! Il faut apprendre les règles, certes mais il faut oser bouger les limites imposées. On m’interdit d’aller dans les squats à la rencontre des SDF. Trop dangereux disent-ils. Hé bien moi je m’en fous, j’y vais ! »
La nouvelle génération de travailleurs sociaux, il veut la former à la désobéissance, à la lutte mais à l’espoir aussi. « Mais est-ce encore possible ? », s’interroge Denis Uvier. « Le boulot social est basé sur la conviction, la vocation. Si c’est simplement un job comme un autre, on perd toute l’essence même du métier. Ce n’est pas un travail d’usine. L’humain requiert autre chose qu’un geste automatique. Non, franchement, le social ne doit pas être un robot ! »
E.V.
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