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Bruxelles Numérique : les parlementaires disent non au texte

12/06/23
Bruxelles Numérique : les parlementaires disent non au texte

Ce 25 mai 2023, Lire et Ecrire et le collectif d’associations Ce Qui Nous Arrive ont organisé un débat autour de l’ordonnance de la numérisation des services publics, portée par le ministre Bernard Clerfayt. 200 personnes étaient présentes pour entendre le positionnement des six parlementaires invité.es pour l’occasion. Après de long mois de mobilisation du secteur associatif, la principale demande concerne la mention d’alternatives humaines aux services numérisés. Retour sur une soirée en demi-teinte.

19h, l’auditoire Pierre Drion de l’ULB est déjà noir de monde. Tous et toutes attendent avec impatience d’entendre les six parlementaires s’exprimer à propos de l’ordonnance « Bruxelles numérique ». Sont présent.es : Farida Tahar (Ecolo), Mohamed Masribatti (Engagés), Françoise de Smet (PTB), Clémentine Barzin (MR), Marc-Jean Ghyssels (PS) et enfin Michäel Vossaert (DéFI, parti dont est issu le ministre Clerfayt).

Pour rappel, les secteurs associatifs et sociaux se mobilisent depuis plusieurs mois pour dénoncer le glissement de leurs missions d’accompagnement social vers un accompagnement administratif. Ils s’inquiètent également de l’éloignement des services publics et des populations. Pour eux, une solution : le maintien des guichets et de permanences téléphoniques de qualité.

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« Nous ne sommes pas contre le numérique quand il représente un soutien à l’accès aux droits »

Introduisant la soirée, Anne Coppieters, directrice de l’ASBL Lire et Ecrire, lance en préambule : « Nous ne sommes pas contre le numérique quand il représente un soutien à l’accès aux droits. » Pour elle, le texte actuel produit le contraire. Il éloigne les publics de leurs droits : « Nous souhaitons une autre ordonnance, une ordonnance où les guichets et l’assistance téléphonique de qualité sont obligatoires. »

S’en suit l’intervention de la sociologue Pétrine Brotcorne qui revendique le numérique comme objet de débat public. Pour elle, l’enjeu de ce soir est « de parvenir à concilier la numérisation avec l’universalité d’accès des services publics. » Elle précise quatre points d’attention à prendre en compte :

  1. les difficultés de l’utilisation du numérique qui touchent toute la population et non pas les plus fragilisés comme on peut le laisser entendre ;
  2. l’écart entre la volonté d’accélérer la numérisation au niveau européen et les revendications des associations et des citoyen.nes ;
  3. l’importance de faire le lien entre la fracture numérique et les inégalités sociales ;
  4. le besoin d’interroger la place qu’occupe le numérique au quotidien qui lui semble être « empêché par le déterminisme technologique associé à l’idée que le progrès technologique est lié au progrès social ».

Le cadre étant défini, Jehanne Berger, journaliste et modératrice, ouvre le débat avec deux consignes claires et concises : les parlementaires ont quinze minutes de temps de parole pour l’ensemble du débat. Ainsi, les réponse attendues se doivent être claires et concrètes.

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Un financement structurel pour les EPN et un accès aux guichets obligatoire

La journaliste énonce la première question : « Quelles sont les propositions de votre groupe pour réduire la fracture numérique et favoriser l’accès aux administrations ? »

Le parlementaire Michael Vossaert (DéFI) débute en précisant : « On doit trouver le bon équilibre entre l’humain et le numérique. » Pour lui, l’ordonnance permet d’instaurer un cadre à une numérisation qui s’impose de manière anarchique, comme l’illustre le secteur bancaire. Il propose de mettre en place « un plan d’appropriation numérique » et insiste sur le fait de former au numérique dès l’école. Il ajoute la nécessité de renforcer les Espaces Publics Numériques (EPN) afin « d’obtenir un service de qualité. »

Après avoir fait l’éloge d’internet et du numérique, Clémentine Barzin (MR) le rejoint sur les deux dernières propositions.

Marc-Jean Ghyssels (PS) considère que l’on prive les citoyens d’un contact avec leurs administrations et se montre convaincu du besoin de proximité : « Il faut des guichets physiques ! » Il préconise une formation au numérique et souhaite le financement structurel des EPN pour « en finir avec un fonctionnement sur appel à projets. »

A quoi acquiesce Farida Tahar (Ecolo). Pour elle, il est temps de « réinvestir dans l’humain. En effet, rien ne pourra le remplacer. » Elle considère indispensable de maintenir et renforcer les guichets pour répondre aux besoins de chaque commune. Elle enfonce le clou en proposant l’obligation de guichets ouverts et le maintien des services téléphoniques de qualité pour l’ensemble des administrations publiques.

Dans la même veine, Mohamed Masribatti (Engagés), qui considère que « nous n’avons jamais autant été connectés et en même temps, si isolés », suggère l’obligation d’ouverture des guichets 20 à 40h par semaine.

Toujours à propos des guichets, Françoise de Smet (PTB) souhaite leur ouverture au public sans rendez-vous, au moins une fois par semaine. Elle poursuit en pointant que « nous basculons dans un monde où le numérique prend le pas sur l’humain » et qu’un renfort global du financement des services publics contribuerait à la lutte contre la fracture numérique. Elle propose également de renforcer les moyens humains au sein des EPN.

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Un non majoritaire pour le texte en l’état

La parole revient à Jehanne Berger qui souligne la volonté de l’ensemble des parlementaires de maintenir voir renforcer la présence physique dans les institutions publiques. Mais qu’en est-il des actes ? D’où sa deuxième et dernière question : « Dans l’état actuel du texte, votre groupe parlementaire votera-t-il pour ou contre l’ordonnance. Si c’est contre, faites-vous de l’inscription des guichets physiques et d’un support téléphonique de qualité les conditions nécessaires à un vote positif ? »

Clémentine Barzin (MR), souhaite une concertation avec les associations pour rédiger un nouveau texte : « Il faut des clarifications concernant les alternatives. » Pour Marc-Jean Ghyssels (PS), le vote sera contre si l’ordonnance reste en l’état : « Il faut une alternative au sein des administrations, que le choix du contact physique soit possible ». Même réponse du côté Ecolo. Farida Tahar affirme « Ecolo ne votera pas pour le texte. Il faut mentionner des financements structurels pour les EPN mais aussi pour les associations qui ne doivent pas faire le travail des services publics. » Elle ajoute : « Avec nos collègues parlementaires, nous travaillons sur une résolution défendant les guichets physiques. » Pour Françoise de Smet (PTB), les alternatives sont trop floues. Elle craint une augmentation du non-recours aux droits. Pour elle aussi, c’est donc non pour un texte dans l’état.

Au sein des Engagés, Mohamed Masribatti confirme que le vote sera également négatif : « Si le but est d’avancer dans la numérisation alors, je veux voter en amont, pour une autre ordonnance sur l’alternative au numérique. » Le tour de parole se conclut avec Michäel Vossaert (DéFI) qui annonce voter pour « par respect pour l’accord de gouvernement », ce qui décroche le rire général de la salle.

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Une fin de soirée en demi-teinte

C’est au tour du public de s’exprimer à propos de ses questionnements et craintes. Les plus équivoques touchent à la suppression des emplois dans l’ombre du numérique, la question de la formation au numérique des personnes âgées ainsi que les problématiques environnementales qu’il suppose. Les interventions à ces questions n’apporteront pas d’éléments significatifs.

Après cette soirée, reste ne laisse présager le maintien ou non des guichets. Cependant, une chose apparaît clairement : le texte en l’état reçoit une forte opposition. Comme l’indique Daniel Flinker, coordinateur du service de recherches de Lire et Écrire, dans son rapport de la soirée : « Sur les 89 parlementaires régionaux, il y a donc 29 élus contre le texte (15 Ecolo, 10 PTB, 4 Engagés), 16 sont possiblement opposés à la mesure (PS), 14 sont dans l’expectative (MR)... et l’on a pas encore demandé l’avis des partis néerlandophones. Il est à présent manifeste qu’un nombre substantiel de parlementaires, peut-être la majorité d’entre eux, s’opposent à la mesure telle qu’elle est formulée. »

A.Teyssandier



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