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Dénombrer les personnes sans-abri et sans chez-soi pour parvenir à des solutions efficaces

19/03/21
Dénombrer les personnes sans-abri et sans chez-soi pour parvenir à des solutions efficaces

Les statistiques révèlent que le sans-abrisme et l’absence de chez-soi augmentent dans à peu près tous les pays d’Europe. En Belgique, on manque actuellement de chiffres clairs et comparables relatifs à ce phénomène. Or, de telles données sont indispensables pour élaborer une stratégie efficace de lutte contre la problématique. La Fondation Roi Baudouin et des chercheurs de LUCAS KULeuven et de l’ULiège ont pu compter sur l’aide de nombreux partenaires pour effectuer les premiers dénombrements dans les villes d’Arlon, de Liège, de Gand et dans la province de Limbourg. Aux données de ces villes viennent s’ajouter celles de la Région de Bruxelles-Capitale et de la ville de Louvain, qui ont mené un exercice similaire de leur propre initiative.

Qui sont les personnes sans-abri et sans chez-soi ? Quel sont leurs éléments de profil ? Quelle est la part moins visible du phénomène ? Pour répondre à ces questions – et à bien d’autres encore – la Fondation Roi Baudouin et les chercheurs (Prof. Dr. Koen Hermans de LUCAS KULeuven et Patrick Italiano de l’ULiège) se sont associés au Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, ainsi qu’aux administrations locales afin de donner une impulsion à l’organisation de nouveaux dénombrements. Les 29 et 30 octobre 2020, en pleine crise du coronavirus, quelque 120 organisations ont ainsi comptabilisé les personnes qui se trouvaient en situation de sans-abrisme et d’absence de chez-soi dans les villes d’Arlon, de Liège, de Gand et dans la province de Limbourg.

Les données recueillies peuvent être enrichies avec celles de la ville de Louvain, qui a mené un dénombrement identique en février 2020, et celles de la Région de Bruxelles-Capitale, qui est engagée dans une démarche similaire depuis 2008. Le 9 novembre 2020, l’organisation Bruss’help a organisé son dénombrement bi-annuel, en collaboration avec 76 organisations de la santé et du social, 15 CPAS et plus de 230 bénévoles. L’approche bruxelloise permet de suivre l’évolution du phénomène sur le long terme et d’en dégager des tendances.

Lire aussi : De l’urgence à l’insertion : 20 années d’action sociale au service des personnes sans-abri

Résultats marquants

  • L’expérience bruxelloise montre une augmentation de 27,72% du nombre de personnes sans-abri et sans chez-soi dénombrées sur le territoire de la capitale, toutes catégories confondues, par rapport au nombre de personnes recensées en 2018. Lephénomène touche donc davantage de personnes – une tendance aussi observée au niveau européen.
  • Dormir à la rue est une réalité en Belgique. Bien qu’elle concerne davantage les grandes villes, cette réalité est présente partout. Dormir dans des lieux non conventionnels (tentes garages, squat…) est, pour beaucoup, une réalité quotidienne.
  • Les dénombrements à Arlon, Liège, Gand et dans la province de Limbourg ont révélé un sans-abrisme ‘caché’ : il s’agit de personnes contraintes de rester chez des amis ou dans la famille. Les personnes sans-abri et sans chez-soi que nous voyons dans l’espace public ne constituent donc que la pointe de l’iceberg.
  • Depuis 2014, la tendance à l’éparpillement sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale est de plus en plus marquée : les personnes sans-abri et sans chez-soi se déplacent du centre-ville et des pourtours des trois principales gares vers les différentes communes bruxelloises.

Lire aussi : Covid-19 : le bilan des travailleurs de l’aide sociale

  • Autre fait inquiétant : le nombre élevé d’enfants sans-abri ou sans chez-soi. Dans les grandes villes, des enfants passent la nuit à la rue ou dans des lieux non conventionnels. De nombreux enfants se retrouvent aussi en situation de sans-abrisme non visible. En outre, la forte proportion (+/- 1/5e) de jeunes adultes (18-25 ans) dans cette situation, parmi la population dénombrée, est frappante.
  • Une partie des personnes concernées ont un passé en institution (ex. : aide à la jeunesse, psychiatrie, prison…). Le lien entre sans-abrisme ou absence de chez-soi et problématiques de santé est du même ordre : les problèmes de santé mentale et de toxicomanie sont frappants.
  • Une partie importante des personnes recensées se trouvent dans une situation de sans-abrisme et d’absence de chez-soi depuis plus d’un an.
  • Le public cible susceptible de bénéficier d’un accompagnement ‘Housing First’ (approche innovante dans laquelle l’accès au logement des personnes sans-abri constitue la première étape de leur insertion sociale), a été identifié partout.

Vous trouverez tous les résultats et chiffres relatifs aux dénombrements menés dans chaque ville sur cette page web.

Lire aussi : "Construire avec les naufragés” ou l’histoire du sans-abrisme à Charleroi

Quelle suite ?

Les villes concernées peuvent d’ores et déjà utiliser les données disponibles pour ajuster leur politique locale de lutte contre le sans-abrisme et l’absence de chez-soi. C’est déjà le cas de la Région de Bruxelles-Capitale et de la ville de Louvain, qui ont élaboré des plans d’action destinés à lutter contre le sans-abrisme et l’absence de chez-soi.

La Région de Bruxelles-Capitale a l’intention de poursuivre son dénombrement bi-annuel. De son côté, Fondation Roi Baudouin poursuivra, en collaboration avec les chercheurs, ce premier dénombre dans un avenir proche (octobre 2021) et nouera à cet effet de nouvelles collaborations avec quatre autres villes/régions en Wallonie et en Flandre. Nous constatons un véritable soutien en ce sens, d’une part sur base de l’expérience actuelle et d’autre part, des demandes de collaboration spontanées de nouvelles villes.

Lire aussi : Jeunes en errance : "Il faut poursuivre leur accompagnement au-delà de 25 ans"



Commentaires - 2 messages
  • Tout ce qui suit est à lire avec du recul, de manière pragmatique et sans juger S.V.P....

    Dans les années 80, il n'y avait quasi pas de vagabondage en Belgique, alors que notre voisin, la France, en comportait franchement beaucoup... et pas uniquement sous les ponts de Paris.
    Comme assistant social de CPAS (grande ville), quand une personne "sans abri" se présentait, même très marginalisée, je pouvais donner des "dépannages" financiers et j'avais à ma disposition un grand choix de logements garnis, certains étant très corrects et d'autres moins...
    Ces garnis permettaient de trouve un logement très facilement (en quelques jours), même pour des personnes présentant des troubles de comportement liés à l'alcool, par exemple. Evidemment, les logements plus marginaux, où nous ne pouvions en principe "installer" personne, servaient quand même à titre exceptionnel, uniquement pour les personnes qui auraient été refusées ailleurs...
    Le travail social consistait ensuite à aider la personne à vaincre ses dépendances, ce qui permettait de "monter" en grade dans les logements disponibles...
    A cette époque, il n'était pas possible d'accorder un "minimex" sans adresse : c'était un incitant pour se stabiliser qui fonctionnait vraiment très bien... et que nous avons perdu...
    En parallèle, il y avait la loi sur le vagabondage qui permettait à la police d'envoyer à St Hubert les personnes sans logement ET sans revenus, si elle perturbaient l'ordre ou se mettaient en danger...
    Cette loi était un second incitant pour prendre un logement, même "garni"... et accepter la main tendue par les CPAS pour s'installer !
    Les logements "garnis" étaient suivi de près par les propriétaires, en général des pensionnés, et c'était aussi un troisième incitant pour acquérir un comportement social compatible avec le fait de "conserver" son logement...
    Une alternative aux logements garnis étaient les maisons d'accueil, qui permettaient un autre circuit de socialisation pour les personnes incapables de gérer un budget au quotidien... et qui permettaient d'accorder le "minimex"...
    La possibilité existait aussi pour les CPAS de demander aux personnes leur accord pour payer les loyers directement hors de l'aide... Quand une personne perdait systématiquement ses logements successifs en ne payant pas le loyer (très fréquents pour les personnes ayant une addiction), le CPAS mettait comme condition pour re-payer des frais d'installation un mandat non révocable de payement des loyers...
    Ce système, très patriarcal, permettait d'éviter de passer par la case très lourde (et coûteuse) d'administration des biens...
    A St Hubert, établissement "ouvert", les personnes prenaient en général goût à des repas réguliers, à un hébergement chauffé, et se constituaient un pécule de sortie en travaillant, y compris dans les champs...
    St Hubert avait aussi quelques rares "abonnés" qui venaient y passer l'hiver, puis qui vagabondaient dans la discrétion en été, ou travaillaient comme ouvriers agricoles (en noir) pendant la saison, sans vouloir se sédentariser.
    C'était une minorité qui ne s'adressait pas aux CPAS, et qui logeait dans les fermes pendant la saison.
    Quand le CPAS installait une personne, il récupérait ensuite le 1er loyer et la caution, petit à petit, de manière à responsabiliser la personne, qui récupérait sa caution quand elle quittait le logement garni pour se louer un studio ou un appartement... ou quand elle prenait un "garni" meilleur. Elle perdait sa caution si elle n'avait pas respecté son logement : c'était aussi un bon moyen de se socialiser...
    Quand on a aboli la loi sur le vagabondage puis instauré le RIS "de rue"... nous avons avons assisté à une dégradation d'abord lente, puis rapide avec une augmentation du nombre de personnes sans abri, et à travers des comportements qui devenaient de plus en plus "provoquants", rendant les personnes inaptes à intégrer un circuit locatif... ou même les maisons d'accueil .

    Oui, c'était choquant d'avoir une loi "sanctionnant" le vagabondage... mais une société a aussi le droit de dire "pas d'accord" quand une personne met sa santé en jeu... ou présente un risque de délinquance quand elle n'a pas de revenus...
    Le fait de conditionner le RIS à un logement, même si cela a un coté choquant, était très efficace pour stabiliser les personnes, et sauvegarder leur santé pendant la période froide de l'année !
    Terminons sur un autre problème : les communes et les régions ont tout fait pour "supprimer" les logements garnis, et obliger les propriétaires à rénover... En soi, c'est un bien... sauf que les propriétaires ne vont plus prendre le risque de dégradations quand ils ont devant eu des personnes plus marginales... et qu'ils n'ont plus que des logements rénovés à proposer.
    Les logements plus "marginaux" avaient malgré tout un fonction sociale, d'accepter des locataire plus marginaux... En les supprimant, on a mis plus haut la barre que les personnes marginalisées ne franchissent plus...
    Même les logements des pouvoirs publics ont suivi ce mouvement.

    Tout en nuances donc : en enlevant les balises ci-dessus, on a retiré les incitants pour se sédentariser, on a retiré du marché locatif les logements qui acceptaient les personnes marginales, on a enlevé à la société le droit de dire "stop"...

    Je ne prends pas position sur ce qu'il faut faire ou pas, mais je suis pour une réflexion pragmatique, guidée par les personnes "de terrain" et plus par des théoriciens qui ont encouragé la prolifération des sans abris, en croyant améliorer le paysage social.. qui se dégrade...
    Revenir en arrière serait difficile, mais y a-t-il d'autres solutions ? Jusqu'ici, les alternatives n'ont pas vraiment donné de bons résultats, et les pathologies mentales, les assuétudes, s'aggravent, rendant souvent impossible la réinsertion, même dans des structures très tolérantes ou appropriées.

    Frankp samedi 20 mars 2021 15:30
  • Je rejoins le commentaire de Frankp sur l'abolition de la loi sur le vagabondage et sur le fait que le RIS "de rue" puisse être un facilitateur de l'inscription des personnes déjà marginalisées dans une vie "en rue".
    Je voudrais juste ajouter à son propos que le public lui-même a beaucoup évolué depuis plusieurs années. En effet, les "vagabonds" et les "toxicomanes" de l'époque n'existent désormais qu'en une toute petite frange de la population que nous fréquentons désormais (je travaille en maison d'accueil et j'ai une expérience de travail de rue). De plus en plus de jeunes arrivent à l'âge adulte déjà désinsérés et marginalisés, avec des habitudes de vie très marquées par la rue et son système de débrouille.
    Il est désormais extrêmement compliqué également de trouver des solutions de logement pérennes et abordables. Notre métier et les personnes que nous rencontrons ont tellement évolués qu'il est délicat de le comparer même au contexte des années 2000. Tout va beaucoup plus vite, tout est complexifié, tout est organisé de telle sorte que, même pour nous, effectuer une démarche est complexe... alors pour un jeune qui a déjà bien besoin de toutes ses plumes pour voler...!
    Bref, je vous rejoins également Frankp pour qu'une concertation et une prise de décision par les travailleurs de première ligne soit intégrée à leur scoop de fonction. Je pense qu'il serait extrêmement judicieux de la part des décideurs de créer des groupes de travail trans-sectoriels où l'on pourrait mettre en commun les expériences de chacun et où l'objectif de travail principal serait de simplifier l'accès aux structures d'aide ainsi qu'aux administrations afin de toucher un maximum de personnes et ainsi permettre de dégager des solutions de logement alternatives, comme St Hubert à l'époque.
    Au plaisir de discuter de tout cela avec tout qui le désire dans un esprit constructif et bienveillant.

    Dm jeudi 25 mars 2021 09:26

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