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Développer le pouvoir d’agir des travailleurs sociaux : pourquoi, comment ?

29/09/23
Développer le pouvoir d'agir des travailleurs sociaux : pourquoi, comment ?

Sentiment d’impuissance, impasses de l’aide sociale, travail social empêché… ces mots résonnent et vous rappelle quelque chose de familier ? Tout droit venu du Québec, le Développement du Pouvoir d’Agir des Personnes et Collectifs (DPA-PC) propose, aux travailleurs sociaux, d’adopter une nouvelle posture pour que chaque jour soit fait de petites victoires autant pour eux-mêmes que pour les personnes en recherche d’une aide sociale.

Le Développement du Pouvoir d’Agir des Personnes et Collectifs (DPA-PC) a été initié par le docteur en psychologie, Yann le Bossé. Il consiste en une nouvelle approche de l’intervention sociale et éducative qui vise à adopter une posture égalitaire dans la relation d’aide et permettre aux personnes concernées par l’aide sociale d’avoir un impact sur ce qu’elles estiment important pour elles-mêmes et leurs proches. En cela, il concerne particulièrement les travailleurs sociaux.

La méthodologie développée consiste à s’intéresser à l’ensemble des conditions individuelles et structurelles qui positionne l’individu ou un collectif dans une situation d’impuissance et prendre appui sur les ressources et les enjeux propres à chacune des parties impliquées. Convaincue de la nécessité de ce renversement de perspective, l’ASBL Le Grain propose une formation de personnes ressources DPA-PC à partir de novembre prochain en collaboration avec deux formateur.trices expert.es Bernard Dutrieux et Valérie Desomer.

Petit tour d’horizon de l’approche DPA-PC

L’objectif principal de l’approche DPA-PC est l’action satisfaisante et émancipatrice. Pour la faire exister, le psychologue a défini 4 points méthodologique d’entretien/ d’échange :

  1. Définir le problème avec les personnes concernées en termes concrets afin d’identifier une situation particulière.
  2. Adopter une unité d’analyse « acteurs en contexte » : dans cette situation particulière qui veut changer quoi et pourquoi ?
  3. Prendre en compte des contextes d’application, des éventuels blocages, obstacles, ressources et compétences internes et externes : qu’est-il est possible de faire ici et maintenant ?
  4. Introduire une démarche d’action conscientisante : quels enseignements pouvons-nous tirer du moment d’échange ?

Le dernier point a pour but de rendre concret le changement défini tout au long de la discussion. Il se matérialise autour d’un « pas proximal » qui correspond à une action à mener dans un temps défini. En effet, l’approche du DPA-PC part du principe qu’un succès mineur produit de la confiance chez la personne qui, grâce à ses compétences et son réseau / ses allié.es, se rend capable d’agir sur sa situation.

Cette approche peut s’appliquer dans le cadre d’un entretien, d’un point de vue individuel mais également pour les collectivités dans l’objectif d’une action collective.

Lire aussi : Assises du Social : usagers et assistants sociaux de CPAS, même combat !

Un développement du pouvoir d’agir pour les travailleurs sociaux

La posture professionnelle qu’induit l’application du développement du pouvoir d’agir soutient la philosophie « ni flic, ni sauveur ». Inscrit.e dans l’accompagnement, le.la travaileur.se social.e endosse le rôle de facilitateur.rice menant vers l’objectif que définit l’individu ou le collectif à ce moment T. Elle permet de définir le problème à une échelle à laquelle il est possible d’agir : contextualiser un problème facilite l’activation des ressources présentes autour d’un objectif à court terme.

Véronique Georis, ancienne directrice d’AMO et actuelle directrice de l’ASBL d’éducation permanente le Grain, nous fait part de son expérience et de son enthousiasme à la diffusion de cette approche à travers la nouvelle formation personne ressource DPA-PC qu’elle propose en novembre prochain.

Le Guide Social : Comment avez-vous découvert l’approche DPA ?

Véronique Georis : Je me suis intéressée au DPA PC, en tant que directrice d’une AMO à Schaerbeek dans l’esprit de répondre à un constat d’impuissance lié aux injonctions de projets dans lesquels on enferme les jeunes. On ne leur laisse pas forcément le temps de se découvrir et de penser à ce qu’ils veulent vraiment.

Dans mon expérience d’intervenante, d’animatrice et de directrice d’un service AMO, je constatais que la pédagogie du projet était devenue une panacée visant à amadouer les jeunes, voire à les exclure par l’obligation d’« avoir un projet ». Imposer des projets ou des initiatives aux jeunes sans analyser leurs véritables besoins avec eux contribue au décrochage socio-scolaire alors que partir de leurs attentes et de leurs engagements fait naître des actions pérennes.

En 2017, j’ai participé à une conférence du docteur en psychologie, Yann Le Bossé, à l’origine de cette approche développée au Québec, lors de son intervention à l’ISFSC. Son discours concernant le renversement de perspectives pour l’action sociale m’a particulièrement touchée. Il m’a semblé que cette approche serait porteuse vis-à-vis du quartier de Schaerbeek tant au niveau des accompagnement individuels et qu’au niveau des actions collectives avec les jeunes. J’ai donc suivi la formation personne ressource, proposée par la fédération des CPAS à Mozet, pour ensuite entreprendre la formation de formateurs en DPA-PC.

« La question centrale est : « Qu’est-il possible de faire ici et maintenant dans la situation où l’on est ? »

Le Guide Social : Comment décririez-vous cette approche ?

Véronique Georis : Elle propose de prendre en compte, avec elles, les contextes des personnes concernées pour résoudre leur problématique sociale. Considérer cet ensemble, permet de formuler une action réalisable à court terme ; cette action nommée « pas proximal » vise à faire un premier pas dans le sens d’une amélioration pour le demandeur et ses proches. Le fait d’entrer en action avec une forte chance de réussite stimule la personne à sortir de son isolement.

Certains et certaines intervenant.e.s peuvent avoir tendance à s’identifier trop aux objectifs soit de l’institution soit des bénéficiaires ce qui bloque la situation. Pour le travailleur social, l’approche permet un décentrement, elle amène à se centrer sur l’accompagnement de la personne plutôt que sur des objectifs prédéfinis.

Le Guide social : Baliser les contextes et les enjeux des différents acteurs est donc primordial dans l’élaboration de l’accompagnement. Qu’en est-il des contextes invariants, sur lequel le jeune ne peut avoir aucune prise telles que les inégalités ?

Véronique Georis : En identifiant les acteurs de la situation et leurs enjeux particuliers (CPAS, écoles, prof’, parents, copains...), on dresse un portrait assez précis de la situation dans laquelle le jeune est pris, permettant d’entamer une réflexion autour de ce qu’il est possible et désirable, tout en conscientisant les enjeux des autres acteurs.

Le mode de questionnement est essentiel : éviter les jugements, les expressions stigmatisantes, les préjugés, toujours garder une ouverture pour pouvoir entamer un cheminement.

La question centrale sur laquelle repose une situation en DPA est : « Qu’est-il possible de faire ici et maintenant dans la situation où l’on est ? »

Cela permet de ne pas rester enfermé dans ses propres désirs qui ne sont pas formulés, ni conscientisés et d’éviter de rejeter sur les autres le fait que l’on y arrive pas, tout en créant de nouvelles possibilités d’action collective. La discussion rend compte de ce que l’on vit en société, que tous les enjeux peuvent être légitimes et que la condition pour retrouver du pouvoir d’agir est de faire ce qu’il est possible ici et maintenant.

Une posture de facilitateur

Le Guide Social : C’est une pratique quotidienne car cette approche est comme une philosophie de la relation…

Véronique Georis : L’une des expériences les plus probantes est le projet ADOMOBILE au sein de l’AMO dont j’étais directrice. C’était au moment du Covid, période d’impuissance très importante mais où l’on pouvait aussi tenter des innovations. Ce projet s’est réalisé en partenariat avec le CPAS de Schaerbeek, un centre de formation de la construction et les bénévoles de l’ASBL la Ruche. Les jeunes se sont mobilisés à travers l’envie de rester actifs durant cette période particulière. Ils ont distribué des colis aux personnes âgées isolées, planté des vignes près des façades...

A travers ces actions, qui font partie de cette ligne stratégique d’évolution, les jeunes ont intégré des apprentissages desquels on ne tient pas forcément compte dans une visée de professionnalisation car on essaye de faire rentrer les gens dans des référentiels et des objectifs pré-établis.

L’axe de conscientisation des compétences acquises par l’action lors de la pratique de l’approche DPA-PC facilite l’identification des apprentissages qui ont été réalisés et fait en sorte que ces apprentissages puissent être transposés dans d’autres contextes que ceux dans lesquels ils sont apparus. En somme, qu’ils deviennent transversaux.

C’est cette dimension très importante du DPA que l’on développe avec l’ASBL Le Grain car nous travaillons particulièrement sur le développement des compétences dans des situations d’engagement volontaire. Le fait de conscientiser les différents apprentissages obtenus tout au long d’un parcours permet que l’action soit porteuse d’avenir et que la personne se voit évoluer.

A la suite de ce projet, le réseau de départ a créé avec Le Grain deux outils qui permettent cette prise de conscience lors d’un accompagnement : le guide Cap’Pass et son jeu de cartes des compétences Skills For Change. Ces outils permettent aux professionnel.les d’identifier avec le jeune, là où il en est, les compétences qu’il a et qu’il met en œuvre et de définir avec lui celles qu’il serait intéressant de mobiliser dans son projet. Nous proposons également des formations à ces deux outils.

Le Guide Social : En quoi cette approche est un plus pour les travailleurs sociaux ?

Véronique Georis : Cette approche leur permet de rester dans une posture de facilitateur par rapport au projet. Bien sûr, ils ont des enjeux et des missions dictés par les institutions qu’il est intéressant d’exposer au jeune car ils font également partie du contexte. C’est donc bien de la facilitation dans l’accompagnement et non pas une posture militante, autoritaire ou « laisser-faire ».

L’objectif appartient à l’individu ou au groupe et le travailleur social accompagne pour l’atteindre. Il faut un entraînement important pour réussir à cela. Moi-même j’y fais attention tous les jours car on a toujours une tendance à vouloir imposer ses propres objectifs, à penser savoir ce qui est bon pour l’autre.

En cela, le DPA est très porteur pour les travailleurs sociaux, particulièrement pour ceux qui travaillent dans les quartiers dits « difficiles ». En effet, ce sont les quartiers qui sont difficiles et non pas les personnes. Il est donc important de bien investiguer les situations dans lesquelles sont les individus.

Le Guide Social : Vous proposez donc d’outiller les travailleurs sociaux au travers d’une formation personne ressource en DPA-PC le 14 novembre prochain.

Véronique Georis : L’année passée, nous avons lancé une initiation test de trois jours au DPA-PC avec un groupe d’éducateurs, de formateurs, de travailleurs sociaux... qui a été très bien reçu et a confirmé la nécessité de répandre cette approche dans le milieu du travail social.

Pour cette année, nous collaborons avec Valérie Desomer et Bernard Dutrieux, tous deux à l’initiative de l’intégration de cette approche auprès des travailleurs des CPAS wallons. Grâce à cette collaboration, l’ASBL Le Grain propose cette année une formation de personnes ressources en DPA PC adaptée à l’éducation permanente. L’objectif est de créer un cadre de diffusion et d’évolution de la pratique de cette approche. Nous souhaitons également réunir une communauté de pratiques une ou deux fois par an pour échanger sur les expériences de chacun et chacune.

Propos recueillis par A.T.

Retrouvez toutes les infos sur la formation sur ce lien !



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