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Jamila Ammi, d’aide-soignante à députée wallonne : portrait d’une soignante engagée

12/11/24
Jamila Ammi, d'aide-soignante à députée wallonne : portrait d'une soignante engagée

La première impression qui se dégage de Jamila Ammi est un mélange de dynamisme, d’empathie, de sensibilité et d’engagement. Cette maman de deux grandes filles, aide-soignante pendant 30 ans et récemment élue au Parlement Wallon, avec le parti PTB, est revenue pour nous sur son parcours professionnel, les raisons de son engagement politique et ses souhaits pour l’avenir.

Le Guide Social : Pour quelles raisons êtes-vous devenue aide-soignante ?

Jamila Ammi : J’ai toujours eu cette fibre sociale. J’ai commencé il y a une trentaine d’années en tant que garde-malade et j’ai toujours aimé le côté familial des maisons de repos, qu’on ne retrouve malheureusement plus maintenant. J’aime travailler avec des personnes âgées, côtoyer leur sagesse. À refaire, je ne changerai rien.

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La vocation d’une vie : accompagner nos aînés

Le Guide Social : Comment décririez-vous votre ancien métier d’aide-soignante ?

Jamila Ammi : C’est le plus beau métier du monde ! C’est un peu comme s’occuper de personnes qui pourraient être nos parents âgés, c’est les aider comme ils nous aidés. Ces personnes ont contribué à la société, aujourd’hui, c’est à nous de prendre soin d’eux. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont plus actifs qu’ils ne méritent pas le respect. Lorsque j’ai commencé, les cadences n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, on pouvait prendre le temps : on pouvait parfois passer 20 minutes à parler avec un résident.

Aujourd’hui, les choses ont changé, mais pas les personnes ! Ces gens sont des personnes, ce ne sont pas uniquement des résidents, ils ont toute une histoire à raconter. Ils ont travaillé, sont parents, grands-parents, arrière-grands parents. Malheureusement, aujourd’hui, on n’écoute plus leurs histoires, mais on oublie qu’un jour, on sera à leur place. Nous aussi on aura une histoire à raconter et besoin qu’on prenne soin de nous. On ne permet plus aux soignants, y compris aux jeunes soignants de considérer les personnes, on leur fait avoir une montre à la place du coeur.

Le Guide Social : Qu’est-ce que votre ancien métier d’aide-soignante vous a apporté ?

Jamila Ammi : Avant tout de l’empathie. Côtoyer ces personnes qui ont une expérience de vie, de la sagesse, c’est une chance énorme. Ça m’émeut beaucoup d’y penser. C’est aussi un métier avec une grande pénibilité qui n’est pas reconnue. J’en ai ai encore des séquelles physiques, notamment une tendinite au poignet qui me lance jusqu’à l’épaule. On travaille parfois dans des conditions terribles, par exemple en étant seule pour faire la toilette d’une personne qui pèse deux fois notre poids et qui ne bouge pas, ou encore en étant à 3 pour s’occuper de 130 résidents, avec parfois des pathologies très lourdes, la manipulation de machines, etc. Toute cette réalité de terrain m’a apporté mon engagement politique et l’a nourri.

Un métier de cœur, mais des conditions difficiles

Le Guide Social : Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer en politique et quel est votre parcours ?

Jamila Ammi : Ça fait un peu plus de 10 ans que je suis au PTB. J’avais déjà vu des vidéos et j’adhérais au discours. Au début, j’y suis allée pour accompagner une amie, et rapidement, je me suis engagée dans les actions menées. J’y allais jusqu’à 3 soirs par semaine après le travail…

Le Guide Social : En 10 ans, vous avez participé à beaucoup d’actions, concernant tous les secteurs, pas uniquement les soins de santé et de nombreuses vous ont marquée.

Jamila Ammi : Je me souviens notamment lorsque nous sommes allés manifester à Bruxelles contre le système de la pension à points qui ne reconnaît pas la pénibilité de notre métier. J’avais prévenu mon employeur et une collègue a tout de suite proposé de me remplacer en me disant que je me battais pour elle, pour son fils, pour sa fille. Mon engagement s’est construit au fil du temps et des crises successives. Le tournant s’est vraiment produit pendant la crise COVID où on a vu que ce sont les travailleurs de première ligne qui ont fait tourner le pays. Sans les soignants, les accueillantes d’enfants, le personnel d’entretien, de cuisine, etc, le pays aurait été mis à l’arrêt. On aurait pu mettre les 9 ministres de la santé devant un hôpital, rien n’aurait bougé. Nous, les travailleurs, nous avons fait tourner le pays, nous avons pris nos responsabilités.

J’ai fait des semaines où je travaillais de 7h à 19h avec la peur au ventre. Au début nous n’étions pas équipés, et, si, en ce qui me concerne, dans le secteur public, on a rapidement eu des équipements, ce n’était pas le cas de tous ! On a cousu des masques pour une collègue qui travaillait dans une maison de repos du secteur privé et qui n’avait rien pour se protéger. Tout ça a nourri mon engagement et le nourrit encore, car depuis la crise, rien n’a changé, c’est même pire ! Le travail en maison de repos est encore plus pénible qu’avant, même les jeunes travailleurs ne restent pas. Les pathologies des résidents sont de plus en plus lourdes, avec notamment beaucoup de cas psychiatriques qui se rajoutent. J’ai envie de contribuer à changer ça, d’améliorer les conditions de travail et de vie dans ce secteur, mais aussi ailleurs. Dans le secteur des soins, 80% des travailleurs sont des travailleuses, des femmes, dont beaucoup sont mères célibataires et ont des contrats précaires. Ce n’est pas normal non plus. En fait, on ne nous apprend pas la politique, alors que tout le monde devrait savoir comment ça fonctionne et de quoi on parle. Tout est politique : le prix de l’électricité, du pain, la pension, le chômage … Tous ces sujets nous concernent tous, on devrait tous s’en occuper. Pourtant, quand on entend des politiciens parler, si on n’est pas formé, on ne comprend rien !

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Engagement politique : porter la voix des travailleurs

Le Guide Social : En quoi votre métier d’aide-soignante vous aide-t-il dans votre métier de députée ?

Jamila Ammi : Je suis vraiment une personne de terrain. Je peux expliquer ce qu’il s’y passe, porter la voix du terrain et c’est ce que je compte faire. Mon métier d’aide-soignante m’y aide à 200%. Je sais ce qu’est la pénibilité, les contrats précaires, être malade, devoir prendre congé pour s’occuper d’un enfant malade, devoir prendre le bus tard le soir alors qu’il n’y en a presque pas, marcher pendant 20 minutes seule dans la rue le soir après le travail pour aller prendre un bus qui tarde à venir … Tout ça, je sais ce que c’est. Et aujourd’hui encore, je vis avec un salaire d’aide-soignante : je rétrocède le reste. Donc je continue à savoir ce que c’est que de vivre avec les augmentations du coût de la vie.

Le Guide Social : Qu’avez-vous envie de défendre en politique ?

Jamila Ammi : J’ai envie de porter la voix des travailleurs. Par exemple, au niveau des maisons de repos, je veux défendre le personnel des soins de santé et la considération que nous avons pour nos aînés. L’un ne va pas sans l’autre et c’est valable pour tout le secteur des soins de santé. Il faut que les normes d’encadrement soient meilleures. Avec plus de personnel, les cadences seraient moins infernales, le travail plus agréable, on redécouvrirait l’humain qui est au coeur de ce métier. Il faut aussi en finir avec les contrats précaires et mieux encadrer les grands groupes qui ne pensent qu’à faire du fric. J’imagine l’avenir du travail en maison de repos à l’instar de ce que c’était lorsque j’ai commencé à travailler : avoir plus de temps pour s’occuper correctement des gens. De manière générale, il faut plus de respect pour les travailleurs, qui sont la vraie richesse de notre société.

Propos recueillis par MF - travailleuse sociale



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