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"Je suis tutrice de mineurs étrangers depuis une vingtaine d’années"

03/05/23

En Belgique, les mineurs étrangers non-accompagnés (MENA) sont suivis par un tuteur. Ce métier est très demandeur, plus ou moins éprouvant pour elles et eux. Faire face aux clichés et au stress, être confrontée à la violence institutionnelle dont sont victimes les demandeurs d’asile... Laurence Jenard, tutrice de MENA, nous raconte ce métier particulier.

Les mineurs étrangers non-accompagnés sont des mineurs qui ont fui leur pays, sans leur famille proche. C’est un public que connait très bien Laurence Jenard. En effet, elle est tutrice depuis près de 20 ans. Le temps d’une rencontre de 45 minutes, elle a confié au Guide Social ce métier hors du commun.

Mais, au fond, comment fonctionne le statut de tutrice ? «  Quand ils arrivent sur le sol belge, la loi stipule qu’ils ont accès à toute une série de droits et protections supplémentaires comparés à un adulte. La Belgique a mis en place ce système de tuteurs/tutrices, qui sont donc responsables de ces jeunes  », explique-t-elle. «  Nous sommes les représentants légaux de ces jeunes. Cela ne veut pas dire que nous avons la responsabilité en cas de mauvais comportements de l’enfant, mais nous sommes garants de toute une série de choses  : assurer un bon hébergement, veiller à un bon parcours scolaire, une bonne santé mentale, physique, etc.   »

 Lire aussi : Accompagner les demandeurs d’asile : un travail entre frustrations et résilience

Tutrice MENA, mais pas que

Laurence Jenard est tutrice MENA, mais aussi coordinatrice du journal Médor. «  J’ai ce rôle depuis une vingtaine d’années. J’ai arrêté durant dix ans car mon travail principal ne me permettait pas de jongler entre les deux. J’ai repris suite à la crise des réfugiés en 2015  », raconte l’accompagnatrice de MENA.

Pour rappel, la crise migratoire de 2015 fait référence à la forte augmentation du nombre de migrants arrivant dans l’espace Schengen. L’évènement a été particulièrement médiatisé dû à la complexité du voyage pour les migrants (violences, rapts, noyades, etc.)

Pour elle, il n’était pas acceptable de ne pas prendre sa part de responsabilité : «  J’avais envie de m’impliquer à nouveau. Il a fallu donc que je refasse la formation de base, pour me remettre à jour. Depuis, je fais cela en plus de mon travail à plein temps, à raison d’un ou deux enfants/ados en même temps maximum.  »

C’est une bonne situation, ça, tutrice  ?

Les tuteurs se distinguent par différents statuts et dépendent du ministère de la Justice  :

  • Le tuteur volontaire  : un tuteur est volontaire lorsqu’il/elle s’occupe de 5 MENA ou moins. C’est le cas de notre interlocutrice.
  • Le tuteur indépendant à titre principal ou accessoire
  • Tuteur employé au sein d’une association

Pour devenir MENA, il existe plusieurs étapes  : «  Il faut suivre une formation de base, donnée en ce moment par Caritas, mandatée par le service tutelle du ministère de la Justice. Ensuite, il existe une formation continue, à raison de quelques jours par an.  » Selon la tutrice, elle se sent bien entourée et conseillée par les différents outils du service tutelle  : « Des formations par thématiques nous sont souvent proposées, ainsi qu’un service de coaching et un helpdesk. De plus, les personnes qui nous conseillent sont elles-mêmes tutrices, donc elles sont hyper motivées.   »

En étant tuteur ou tutrice, il y a une série d’obligations concrètes. «  La première étape, c’est de lui choisir un.e avocat.e, trouver un.e traducteur.ice, etc.  Je suis la personne de référence, qui choisira les procédures optimales et les personnes à contacter pour que ces démarches soient le plus efficaces. »

Adapter ses responsabilités à la situation

Quand on est tuteur, il faut être résilient, réactif, et bien comprendre la situation du MENA  : «  La situation dépend de celle de l’enfant. S’il est en centre Fedasil, je travaille en étroite collaboration avec le lieu d’hébergement. Dans ce cas-là, ce sont les éducateurs du centre qui vont suivre son parcours scolaire par exemple. S’il est en famille, cela dépendra de la relation de confiance que j’ai avec elle.   »

En plus de la situation du jeune, interviennent certains moments plus conséquents à gérer. En effet, Laurence Jenard souligne que la charge de travail n’est pas linéaire  : «  Je ne peux pas consacrer un moment fixe prévu à l’avance. Certaines semaines demanderont plus de temps que d’autres. Dans les moments «  creux  », ou quand tout va bien, je peux ne pas les voir durant deux semaines.   » Au contraire, des moments plus intenses demanderont plus de temps. «  Lors des jours entourant son interview à l’Office des Étrangers (OE) et le Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides (CGRA), il faudra un plus grand soutien psychologique  », explique-t-elle. En effet, lors de ces différents entretiens, le MENA doit raconter son histoire à plusieurs reprises, dans les moindres détails, devant des personnes qui vont chercher l’erreur dans le discours.

Pour résumer, c’est un travail qui dépendra d’un MENA à l’autre. Que ce soit en fonction de son background, de sa situation actuelle, de la difficulté des procédures, etc.

Le poids des responsabilités et une sensibilité nouvelle

Pour illustrer son ressenti, elle prend l’exemple de Mujib, ancien MENA  : «  Moujib est Afghan, originaire d’une enclave talibane. Il est arrivé ici vers ses 16 ans et demi. Quand je suis devenue sa tutrice, j’ai écouté son histoire trois fois. Une première fois juste avec moi, une seconde avec l’avocate et une troisième devant le CGRA. C’est quelqu’un de très combatif, donc je ne sentais pas cette pression psychologique, par contre, j’avais cette pression de devoir faire avancer la situation, pour que ses efforts soient récompensés.   »

Les émotions font partie intégrante de la fonction. Par exemple, Laurence a été confrontée à un malentendu linguistique qui a engendré un moment difficile : « Comme Mujib est Afghan, l’entièreté de sa procédure est faite en néerlandais. Ce qui, en général, ne me pose pas de soucis car je maitrise la langue. Mais pour des papiers plus officiels et légaux, c’est plus compliqué   », illustre-t-elle avant de continuer  : «  Un jour, j’ai cru comprendre que sa demande avait été refusée par le CGRA. Quand je lui ai annoncé la mauvaise nouvelle, cela a été un moment d’émotions et de larmes pour lui, et donc pour moi. C’est seulement trente minutes après, grâce à son avocate, que nous avons remarqué que sa situation était acceptée même si le CGRA ne l’a jamais cru, car il venait d’une région sous protection internationale.  » Elle raconte, soulagée. «  Quand je l’ai rappelé pour lui annoncer la bonne nouvelle, c’est reparti en larmes, de joie cette fois-ci, et moi aussi par la même occasion. (Rires)  »

Il faut aussi composer avec les paroles parfois réactionnaires, tantôt xénophobes. Une situation qui marque fortement notre interlocutrice : «  Je suis bien plus à fleur de peau devant des gens qui arrivent avec des clichés tout faits. Je suis bien plus impliquée et sensible. Au moment de son récit, je n’ai pas été traumatisée, mais je le suis quand j’entends les réactions de certains Belges.  »

En plus de cette réceptivité à fleur de peau, elle témoigne de ce besoin de bien faire  : «  Au moment de la prise de Kaboul par les Talibans, Mujib vivait déjà en Belgique, mais était au milieu des démarches de regroupement familial. Ne sachant pas s’il fallait tenter sa chance à l’aéroport de Kaboul, ou traverser la frontière pakistanaise pour être proche du consulat belge (l’Afghanistan n’en possédant pas), il comptait beaucoup sur moi pour l’aider », poursuit-elle, avant d’expliquer comment elle a vécu cette situation d’urgence  : «  Il y a le poids des responsabilités, car à partir du moment où la confiance s’est installée, il va te suivre les yeux fermés  », conclut-elle.

Toutes ces situations et ses conséquences sont résumées en une phrase par Laurence Jenard  : «  Le plus difficile, c’est par rapport à ce qui leur arrive une fois ici, face à la violence institutionnelle, que par rapport à ce qu’il leur est arrivé. »

Mateo Rodriguez Ricagni

Si ce témoignage vous a donné envie de devenir tuteur, vous pouvez suivre les démarches ici.
D’après notre témoin Laurence Jénard, plus de 1000 MENA sont en attente d’un.e tuteur/rice.



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