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Accompagner les demandeurs d’asile : un travail entre frustrations et résilience

26/04/23
Accompagner les demandeurs d'asile : un travail entre frustrations et résilience

Qu’ils et elles soient psychologues, infirmière, assistants sociaux, au Samusocial ou à Fedasil, les conditions de travail dans le secteur des demandeurs de protection internationale ne sont pas toujours évidentes : frustrations, manque de moyens, manque de considération, déshumanisation des démarches administratives, etc. Cependant, d’un autre côté, il y a la volonté d’être utile, d’aider ceux en proie à une grande précarité, de savoir, qu’au fond, sans elles et eux, la situation serait bien pire. Le Guide Social a tenté de faire connaître davantage ces métiers qui brillent par leur complexité.

Dans le Non-Marchand, quand les bénéficiaires vont mal, les travailleurs et travailleuses sont impactés. Dans le secteur accompagnant les demandeurs d’asile, ce phénomène est particulièrement criant. Faire face à des périples migratoires qui n’en finissent pas mais aussi devoir composer avec certaines décisions politiques ne laissent pas indemnes les professionnels et provoquent chez eux une série de frustrations. Mais, tout n’est pas noir pour autant... Et pour cause : ce travail au contact direct avec ces hommes, ces femmes et ces enfants qui ont connu l’exil procurent des moments de bonheur mais également des leçons de vie marquantes chez tous ces professionnels.

Pour comprendre leur quotidien, leur travail, mais aussi réaliser la résilience qu’ils apprennent auprès de leurs bénéficiaires, le Guide Social a donné la parole à des assistants sociaux, des psychologues, une infirmière, mais aussi au directeur du Samusocial et à des travailleurs de Fedasil. Au fil des entretiens, ils et elles ont témoigné de la richesse mais aussi de la complexité de leur métier dans un secteur pas comme les autres.

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La violence institutionnelle sur toutes les lèvres

Ce qui ressort des différents entretiens que nous avons effectués, c’est tout d’abord la redondance de certains éléments de langage. Parmi eux, ce sentiment d’injustice, de manque de possibilités d’aider les demandeurs d’asile face à des situations rocambolesques, douloureuses et frustrantes. «  Quand une assistante sociale doit gérer 65 dossiers et est censée devoir suivre chacun des cas de manière efficace, c’est juste impossible. C’est déshumanisant. Il y a une vraie perte de sens  », alerte Pauline Lambert, coordinatrice au centre d’hébergement Fedasil Molenbeek. 

Même analyse chez Ondine Dellicour, assistante sociale à Ulysse, qui est un service de santé mentale agréé par la Cocof dont la spécificité est d’accompagner les personnes en souffrances psychologiques et en précarité de séjour. « Pour moi, le plus dur à encaisser, c’est de voir l’injustice institutionnelle qu’ils vivent ici. On pourrait croire qu’après tout ce qu’ils ont traversé, une fois enfin arrivés ici, ils vont pouvoir respirer. Bah en fait non... Ils se retrouvent à la rue car les places d’hébergement viennent à manquer. », décrit Ondine Dellicour. Selon elle, il y a une administration particulièrement brutale qui manque de discernement, de tact dans leurs questions : le Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides. Le CGRA les «  confronte à une remise en question de leur histoire, de leur personne  », alerte-t-elle. «  Cela aussi c’est extrêmement violent, de faire l’effort de tout raconter et d’être traités de menteurs.  »

Le Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides, pointé du doigt par les travailleurs

Le CGRA est donc souvent identifié par nos interlocuteurs et interlocutrices comme l’administration fautive de bien des soucis envers les réfugiés, se répercutant ainsi sur les travailleurs du secteur. Sébastien Roy, Directeur général du Samusocial insiste sur l’importance à apporter à «  la rapidité de traitement des dossiers.  » Pour lui, créer des places, c’est bien, «  traiter les dossiers rapidement c’est mieux.  » Il met aussi en garde face à l’épuisement de ses collaborateurs au sein du Samusocial et de leur démotivation due à la succession et l’accumulation des différentes crises. Depuis le Covid-19, cette structure emblématique de l’aide sociale n’est jamais sortie de l’urgence et manque de souffle . «  C’est plutôt ce sentiment-là qui ressort des équipes  : une fatigue et un besoin de reconnaissance. Nous avons subi de nombreux burnouts et démissions. C’est un secteur fort épuisant, encore plus en ce moment. On a l’impression de remplir le tonneau des Danaïdes  », déplore le directeur. 

Aissatou Diallo, infirmière au centre d’hébergement de Fedasil installé à Molenbeek, exhorte au CGRA de  « sortir un peu plus de leurs petits bureaux et vivre ce que les gens vivent dans les centres ou même dans leur pays.  » Pour elle, cela rendrait leur travail plus humain et empathique. Le son de cloche est le même du côté de Sarah Souhail, directrice adjointe du centre   : «  Pour beaucoup de travailleurs parmi nous, ce que l’on trouve regrettable, c’est que cette crise est aussi due au retard du CGRA, où la situation est plus floue car elle ne transmet que des chiffres.  »

Pour elle, une des victimes de cette gestion administrative jugée défaillante serait Fedasil. «  Leur argument est toujours celui du problème de recrutement, que cela prend du temps de former un officier de protection. Mais le souci, c’est que ça crée un gros nœud qui impacte Fedasil. À partir de là, il est facile de tout rejeter sur nous, alors que l’Office des Etrangers (OE) et le CGRA ont aussi leurs manquements  », plaide Sarah Souhail, consciente de l’imperfection de l’organisme pour lequel elle travaille. Cependant, elle est aussi alerte face à ce qu’on lui reproche dans sa globalité  : «  Dans la presse, on voit souvent les jugements faits à notre institution, mais jamais au CGRA.  » Elle sait être «  hyper critique de nos manquements, que ce soit de la structure, de notre équipe et de moi-même.  » Mais pour la directrice adjointe, ce n’est pas pour autant qu’il faut délaisser le bateau Fedasil. «  Il y a un problème structurel, mais il existe une différence entre les centres d’accueil où on fait tout notre possible, et notre siège.  »

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La gestion de la crise ukrainienne, le miroir qui reflète une volonté politique

La guerre aux portes de l’Europe, qui a conduit à une arrivée de réfugiés, a amené son lot de frustrations, d’incompréhensions, que ce soit au niveau des autres demandeurs d’asile ou chez les travailleurs du secteur. Pour Ondine Dellicour, l’assistante sociale d’Ulysse, la question est complexe et ne s’arrête pas à l’analyse du cas ukrainien car «  même avant 2021, les conditions d’accueil n’ont fait que de se dégrader.  » Cette situation analysée par l’assistante sociale d’Ulysse a généré des conséquences néfastes pour les demandeurs d’asile et les travailleurs du milieu. «  On voit qu’il y a une volonté d’accueil à deux vitesses, et pour nous, c’est vraiment difficile à avaler. Le fait que quand il y a de la volonté politique, il y a tout à fait moyen d’accueillir dans de bonnes conditions. Cela génère beaucoup de frustration », analyse-t-elle. 

Pour Célia Leclerc, adjointe responsable au Samusocial de Molenbeek, un centre de primo-arrivants qui s’est transformé, malgré lui, en centre longue durée pour certains, ces décisions sont «  injustes et incompréhensibles. Voir que tout d’un coup, tellement de bâtiments se sont libérés pour accueillir les Ukrainiens, alors que nous galérons tellement pour en trouver d’habitude.  »

Des conséquences néfastes pour le personnel du secteur 

Gestion de la crise ukrainienne, décisions politiques incomprises, institutions jugées déshumanisantes... : tout cela a un impact sur les membres du personnel.

Pour Céline Miroir, responsable du centre d’hébergement du Samusocial de Molenbeek, «  cela a vraiment dénaturé notre travail.  » Ce blocage administratif a ralenti les procédures  : «  Nous nous sommes retrouvés à héberger des demandeurs d’asile bien plus longtemps qu’initialement prévu.  »

Cette prolongation a obligé le personnel à «  apprendre sur le tas à faire un travail qui n’est pas le nôtre.  » Il est devenu courant pour les travailleurs de devoir se former eux-mêmes à gérer le travail d’un assistant social. L’un d’eux, Abbas Alsajwari, témoigne  : « C’était difficile à gérer, car certains résidents bloqués ici depuis 6 mois en voyaient d’autres partir bien plus rapidement.  » La frustration générée par cette double vitesse ne s’est pas ressentie que chez les résidents, mais aussi chez les travailleurs.euses. Car pour certains, ils sont issus de l’immigration et c’est difficile pour eux de voir ce genre d’évènements.

De retour à Fedasil, Pauline Lambert, coordinatrice du centre d’hébergement, remarque elle aussi, un changement dans la qualité du travail qu’elle peut fournir  : « Quand des résidents viennent pour me demander où en sont leurs procédures pour avoir une autorisation de travailler, je ne peux rien faire du tout à part leur dire d’attendre.  » Certains patientent depuis une année et «  c’est hyper frustrant, car on est bloqué et c’est cette l’inaction qui est vraiment le plus difficile. C’est dans ma to do list de voir un psy  », plaisante amèrement Pauline Lambert. « Cela fait plus d’un an que je suis là, et les choses commencent à s’accumuler. Comment fais-je pour les gérer  ? Il m’arrive de pleurer face à des situations injustes, où je me sens impuissante.  »

Pour sa collègue infirmière, Aissatou Diallo, la situation est plus stable quand elle se compare à d’autres centres  : «  Nous n’avions pas assez de personnel, mais à présent, notre équipe s’est agrandie, nous permettant de respirer. De plus, nous allons avoir un poste de supérieur hiérarchique pour nous permettre de mieux nous coordonner, ce qui n’était pas le cas avant.  »

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Un secteur profondément humain avant tout

Mais quelles sont les raisons pour les travailleurs.euses du secteur à rester alors  ? Comme partout dans le secteur Non-Marchand, travailler pour l’autre amène des moments de joie. Les bonnes nouvelles arrivent dans les centres, comme récemment la naissance d’une enfant au Samusocial. Quand une équipe en maraude arrive à loger une personne demandeuse d’asile, ce sont les sourires qui sont au rendez-vous, heureux de savoir qu’une personne en moins dormira dehors cette nuit-là.

À Ulysse, ce Service de Santé Mentale qui travaille avec des demandeurs d’asile, Ondine Dellicour nous parle de la force reçue en étant aux côtés de gens qui ont vécu des expériences terribles  : «  Les gens s’imaginent souvent que ça doit être très dur d’être face à des récits de guerres, de viols... En effet, c’est difficile d’entendre des personnes qui ont des parcours de vie marquées de violences extrêmes. Mais d’un autre côté, ces gens sont là, devant nous, ont survécu à tout cela, ont été capables de mobiliser les ressources afin d’arriver jusqu’à notre porte pour demander de l’aide. C’est aussi être confronté à la force de l’être humain.  »

En tant qu’infirmière et ancienne demandeuse d’asile, c’est très important pour Aissatou Diallo d’apporter son aide  : «  Je sais ce que c’est de traverser ces épreuves, maintenant, c’est à mon tour d’aider au maximum, que les résidents sachent qu’une fois passé la porte du centre, ils seront soignés.  »

Garder la tête haute, pour soutenir au mieux les demandeurs d’asile 

Travailler dans ce secteur vous confronte à un tourbillon de sentiments aussi puissants que violents. Mais, comment nos témoins ont-ils réagi face à cela  ? Au Samu Social, on tente de rester le plus constructif possible  : «  On discute de pas mal de propositions au niveau politique et on se rend compte que tout n’est pas possible. Mais nous sommes écoutés, surtout au niveau régional. Nous avons mis une feuille de route sur la table du Premier ministre Alexander de Croo.  »   

Pour Abbas Alsajwari, il faut tenir bon, car ils et elles portent la responsabilité de faire au mieux pour les demandeurs d’asile  : «  On se crée une force mentale pour être en capacité d’assumer son rôle. Je dois être fort et présent pour ces personnes. Je dois être fort d’accepter la situation, car la refuser, c’est tomber dans le piège du burnout.  » Parfois, lutter à contre-courant est la meilleure manière de se briser.

Le travail en équipe est essentiel dans ce milieu car «  cela permet de créer un soutien mutuel. Notre travail ne permet pas de tout partager, mais nous avons un espace pour réfléchir ensemble. L’important est de ne jamais se sentir seul face à la situation désespérante que les personnes peuvent vivre  », explique Ondine Dellicour. C’est aussi une bonne manière de trouver des solutions aux problèmes rencontrés. «  Nous tentons aussi de débriefer entre nous des situations particulièrement marquantes. Nous parlons en réunion de nos ressentis, appréhensions… De cette manière, de nombreuses idées fusent, cela permet de mutualiser et donc de ne pas prendre tout de plein fouet de manière isolée  », rajoute Céline Miroir du Samusocial. 

Pour Aissatou Diallo, il faut trouver un juste équilibre dans son travail. Car «  pour notre propre santé mentale, il faut garder une distance professionnelle, mais il faut aussi pouvoir utiliser son côté humain quand c’est nécessaire. Je suis moi-même ancienne demandeuse d’asile. Quand j’en fais part à mes patients les plus inquiets ou renfermés, cela les aide à établir un lien de confiance, à leur donner un peu d’espoir aussi.  »

La directrice adjointe du centre d’hébergement Fedasil de Molenbeek, Sara Souhail est claire dans sa conclusion  : «  Il faut accepter que ce soit défaillant, mais aussi voir tout le bien que nous permettons au quotidien. Dans notre centre, nous accueillons 440 personnes qui ne dormirons pas à la rue ce soir, qui serons nourries, qui serons écoutées, qui serons soignées. Donc, de ma position, dans mes capacités, je donne du mieux que je peux.  »

Mateo Rodriguez Ricagni



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