L'ASBL Les Petits Riens dans la tourmente
Licenciements, absence de concertation sociale selon les syndicats, mouvement de grève... La crise est profonde au sein de la structure proposant des produits de seconde main.
Née de l’action menée par l’Abbé Froidure à la fin des années 1930, l’ASBL Les Petits Riens lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, en organisant des activités de collecte, de tri et de ventes d’objets de seconde main. Coup de tonnerre, toutefois, à l’annonce par la direction du licenciement de 21 collaborateurs. Une décision jugée unilatérale par les syndicats, qui s’opposent fermement à ce qu’ils considèrent, dans un communiqué Setca-CNE, comme des méthodes dignes « du Far West, où les patrons se prennent pour des cowboys » et où « le mépris s’exprime dans chaque prise de parole du Comité de direction et du CA ».
Mais quel a été le déclencheur d’une telle crise ? Marie Lemeland, permanente CNE en charge du dossier, résume la situation pour Le Guide Social : « On assiste à un frémissement au niveau du secteur de la seconde main depuis juin-juillet, et qui est partagé par d’autres acteurs du secteur, sur une problématique liée à l’export. Le marché chinois inonde toute la partie export en Afrique avec des livraisons considérables de containers. Dès l’été, nous estimons qu’il aurait été nécessaire de faire montre de prudence, compte tenu du contexte assez incertain du marché. »
Méthode expéditive ?
Or, en septembre et tout début octobre, l’écho de premières difficultés commence à se répandre. « Il y aurait eu lieu, dès ce moment-là, de convoquer un conseil d’entreprise extraordinaire pour mettre en place, en concertation sociale, un plan à court, moyen et long terme. Or la direction a attendu très tardivement », déplore Marie Lemeland. Et la permanente de poursuivre : « S’en est suivi un CE ordinaire le 18 octobre, annonçant des mesures temporaires de chômage économique. Le 21 octobre, la direction nous a informés qu’il n’y aurait à priori pas d’autres mesures dans l’immédiat. Il n’est donc pas encore question de plan de licenciement à ce moment-là. Nous demandons alors la tenue d’un CE extraordinaire fin octobre, où nous apprenons soudain un plan de licenciement concernant initialement 24 personnes, avant d’être ramené une semaine plus tard à 21 personnes. »
Marie Lemeland dénonce donc la méthode employée : « Nous avons été mis au pied du mur, dans un enchaînement excessivement rapide, alors qu’un plan de licenciement doit laisser le temps nécessaire à la concertation. Or, ici, la direction a pris sa décision sur base de critères unilatéraux et totalement subjectifs. Personnellement, je n’avais encore jamais assisté à une telle manière de procéder ! »
« Manque de concertation »
Que des difficultés financières puissent survenir à cause d’un contexte économique plus global, les syndicats le comprennent. Mais, précise M. Lemeland, « ce que nous reprochons à la direction, c’est de ne pas avoir mis en place à temps le cadre de la concertation qui permette de parler d’un plan de restructuration, des alternatives aux licenciements, des conditions de départ des personnes licenciées, d’un plan de relance... ».
Et de pointer du doigt les responsabilités de la même direction : « Nous questionnons la philosophie des têtes dirigeantes des Petits Riens. Le Directeur Général actuel est arrivé fin de l’année dernière, en même temps qu’un ancien manager logistique de Décathlon. Nous voyons des managers issus du privé développer un langage incompréhensible de néo-management. Leurs responsabilités sont supportées -et à quel prix !- par les ouvriers et les employés. C’est la direction qui prend des risques au niveau de sa gestion, mais personne n’est inquiété au niveau du Comité de direction. C’est aussi cela que nous interrogeons : les travailleurs ne comprennent pas pourquoi c’est à eux de payer la note, alors que c’est la direction qui n’a pas été vigilante. Il n’y a pas eu de monitoring sur la crise que traverse le secteur, les réactions ont été très désordonnées, sans réelle vision cohérente. »
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Des licenciements « nécessaires »
Thierry Smets, le Directeur Général des Petits Riens, n’était pas joignable pour nous donner sa vision des évènements. Il a néanmoins réagi par le biais de plusieurs communiqués, soulignant que « le secteur de la seconde main en Europe traverse une crise profonde, accentuée par un afflux massif de vêtements de faible qualité et l’absence d’une filière de recyclage pérenne ». De même, invité dans l’émission RTL Info Signatures, ce mercredi 20/11 sur RTL TVI, il a également précisé qu’ « il y a de plus en plus d’acteurs sur le marché de la seconde main. Vinted est l’un de nos concurrents. C’est un facteur de difficulté supplémentaire avec la fast-fashion. Les gens préfèrent vendre leurs vêtements sur l’application plutôt que de les mettre dans nos bulles ». D’où le défi, explique-t-il, « de nous adapter à cette concurrence et de revoir notre expérience client au sein de nos magasins, ou de mettre plus en avant le message que, quand on achète un vêtement dans nos magasins, on participe aussi au financement des actions sociales des Petits Riens ».
De plus, évoquant l’aspect financier, le Directeur Général explique dans un communiqué que « sur un budget global de 30 millions d’euros, seuls 20 % sont subsidiés et 80 % proviennent des activités d’objets de seconde main et de fundraising. Il est dès lors vital que ces activités soient à l’équilibre ». D’où « la difficile décision de procéder à 21 licenciements économiques, soit environ 5 % de sa masse salariale ».
Enfin, la direction assure que, ces derniers jours, elle a « multiplié les initiatives pour maintenir un dialogue ouvert et constructif avec les représentants du personnel » et a « proposé différentes mesures complémentaires d’accompagnement des licenciements opérés ».
Dialogue de sourds
La perception est tout autre du côté des syndicats concernant le dialogue avec la direction : « Nous n’avons pas réussi à trouver de consensus jusqu’à présent sur nos revendications. Leurs contre-propositions ne sont pas acceptables en l’état et nous sommes en réflexion sur la manière de mener des actions et de sensibiliser le public ainsi que les donateurs. Nous restons donc pleinement mobilisés », nous a affirmé M. Lemeland.
La permanente CNE s’inquiète aussi pour les travailleurs licenciés : « Ils ne vont évidemment pas bien du tout, et ceux qui restent actifs au sein de l’institution s’inquiètent du tournant pris. À quelques semaines des fêtes de fin d’année, le coup est très dur. »
Pour autant, M. Lemeland comprend « qu’il faille s’adapter un tant soit peu aux réalités du marché », mais, ajoute-t-elle, « ici, nous avons la nette impression d’assister à une mutation de l’ADN des Petits Riens, ce qui est très inquiétant. Face à un tel braquage social, ce n’est pas du tout rassurant pour l’avenir. Nous allons oeuvrer pour mettre en place des balises, afin que, d’une manière ou d’une autre, la concertation sociale ne soit pas enterrée. »
Propos recueillis par O.C.
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