L'Evidence-based, le fer de lance de la politique de De Block

La ministre de la santé, Maggie De Block, chamboule tout le secteur de la santé mentale. Son principal argument ? L’Evidence-based medicine. En psychothérapie, c’est faire rentrer la pratique dans le moule des traitements, répondant à des diagnostics posés. Les psychothérapeutes, eux, refusent de s’y plier.
« Un retour en arrière pour les patients ». Telle est qualifiée la loi De Block par le secteur. En lieu et place de voir la pratique de la psychothérapie comme un accompagnement de la personne, la ministre de la Santé, Maggie De Block, a décidé d’en faire une spécialisation médicale. La profession ne peut donc plus s’exercer en tant que telle et l’accès (moyennant certaines ‘mesures transitoires’) est réservé aux psychologues cliniciens, aux orthopédagogues cliniciens et aux médecins. Le praticien établira donc un diagnostic du patient, qu’il soignera avec le traitement de la psychothérapie. Françoise Raoult, membre du collectif Alter-Psy, explique les dérives de cette approche.
Le rapport du KCE
Un récent rapport du KCE propose un modèle de remboursement des patients qui ont recours à la psychothérapie et qui engendrerait une pratique extrêmement contrôlante pour les psychothérapeutes. « Ce modèle n’est pas encore d’application actuellement, tout est donc à prendre au conditionnel. Néanmoins, nous savons tous que le KCE a un certain poids et que les ministres ne font pas fi de ses recommandations. Si le modèle de remboursement de la psychothérapie est mis en place, ce que nous supposons dans le futur, il viendra concrétiser l’esprit de la loi et il nous pose problème », explique F. Raoult.
Les trajets de soins
Dans l’esprit de la loi, il y a l’élaboration de ‘trajets de soins’, dans une idée médicale de la pratique de la psychothérapie. « Le trajet de soin suppose qu’ un psychologue clinicien délimiterait à l’avance le nombre de séances dont le patient aurait besoin pour sa guérison. Ce dernier serait ensuite orienté vers un professionnel praticien de la psychothérapie ». Or, pour Françoise Raoult, il est impossible, en tant que psychothérapeute, de préciser à l’avance la direction que prendra une psychothérapie. « Nous ne pouvons pas déterminer le temps de travail d’une personne, des fois les difficultés apparaissent des semaines, voire des mois après le commencement du travail en psychothérapie. Prévoir à l’avance le nombre de séances n’a aucun sens. »
Une multitude de professionnels
Un autre problème engendré par les trajets de soins et le nombre de séances prévues à l’avance est que les patients devront aller voir différents praticiens. « Le rapport du KCE estime qu’en général, 5 séances par personne suffiront pour guérir. Ces 5 séances seront dispensées en première ligne par un psychologue clinicien ou un médecin. Dans le cas où ces professionnels estiment que la personne a besoin d’une psychothérapie il l’enverront chez un psychologue clinicien praticien de la psychothérapie, en seconde ligne de soins, qui fera une évaluation (avec bilan et tests) et déterminera le nombre (limité) de séances nécessaires, que la personne fera chez un autre professionnel praticien de la psychothérapie et au bout duquel une évaluation prendra place. Si des séances supplémentaires sont nécessaires, un un psychologue-conseil interviendra. Nous comptons déjà 4 professionnels différents pour un même patient. Dans le cas de problèmes graves, comme des abus sexuels, la personne devra raconter son problème à 4 personnes différentes. C’est inadmissible. »
Les sanctions
Une autre dérive de cette approche de la psychothérapie basée sur des ‘preuves’ consiste en l’application de sanctions envers un patient qui n’irait pas mieux après les séances prescrites. « Puisque cette méthode est soi-disant infaillible étant donné qu’elle est ‘evidence-based’, et donc garantit des résultats, le patient doit aller mieux. Or, dans la réalité d’une psychothérapie, ça ne se passe pas comme ça. La ministre va donc sanctionner les personnes qui, après évaluation à la fin des séances prescrites, ne vont pas mieux », précise F. Raoult. Même si ce modèle n’est pas encore d’application puisqu’ il demeure une proposition du KCE, la crainte est de voir des sanctions telles que des diminutions d’allocations de travail en vue de réaliser des économies. « Pour la ministre, c’est logique de sanctionner, puisque la personne n’aurait pas coopéré, alors que la société aurait investi dans sa guérison. L’échec du traitement est donc de sa responsabilité. » Cependant, en psychothérapie, l’Evidence-based medicine ne tient pas la route, puisque les résultats ne sont pas « mesurables quantitativement »...
A suivre…
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