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Le Monde selon les femmes : une coopération Nords/Suds pour la cause féministe

18/11/21
Le Monde selon les femmes : une coopération Nords/Suds pour la cause féministe

Depuis quelque temps, les revendications féministes réoccupent, de manière bienheureuse, une place prépondérante dans les titres de la presse. Le mouvement #MeToo, généré par Tarana Burke en 2007, a joué un rôle d’accélérateur certains. Cependant, nombres d’associations féministes luttent depuis plusieurs décennies pour la cause des femmes. C’est le cas du Monde selon les Femmes que nous avons rencontré.

Deux femmes énergiques et passionnées nous reçoivent dans les bureaux de l’asbl Le Monde selon les femmes : la coordinatrice, Agnès Bertrand-Sanz et la chargée de missions, Alicia Novis. Installées confortablement dans le petit salon aux murs recouverts de photos de femmes et d’affiches de manifestations, Agnès et Alicia nous racontent l’histoire, la philosophie et les missions que poursuit cette association féministe née de rencontres de femmes fortes et engagées.

Besoin de prise en compte des questions de genre

Le Monde selon les femmes est avant tout une asbl mais possède également le statut d’ONG de coopération au développement.

Alicia Novis nous raconte : “ A l’origine, ce sont des liens d’amitié. Le Monde selon les femmes a été créé il y a 30 ans par des femmes qui avaient un pied dans l’international. Elles ont cherché à renforcer le lien interpersonnel avec certaines communautés indigènes en Amérique Latine ou d’autres pays... Depuis le départ, il y a ce questionnement : Vivons-nous la même chose dans les Nords et dans les Suds en tant que femmes ? Elles se sont rendues compte qu’il y avait des ponts entre les luttes féministes et c’est donc cela qu’elles ont cherché à mettre en avant."

Agnès Bertrand-Sanz ajoute : “Elles vont se rendre compte que dans le secteur des ONG en Belgique la question des droits des femmes n’est portée par personne et que dans le fonctionnement des ONG elles-mêmes existe une idéologie colonialo-patriarcale qu’il faut révolutionner. De par ce constat, elles ont décidé de créer quelque chose de particulier, pour les femmes, de donner un autre son de cloche et une nouvelle réflexion sur la coopération et les partenariats.

L’un des grand tournant de l’asbl est la création en 2008 du projet Palabras, qui a pour objectif de permettre l’échanges de bonnes pratiques croisées en Amérique Latine, en Afrique et en Europe. Le principe est de définir une thématique particulière est de recueillir la réflexion des différents partenaires sur ces dernières donnant lieu à des publications régulières, qui rendent compte de l’état des lieux et préconisent des pistes d’améliorations. Alicia précise : “Les thématiques sont diverses ; l’agriculture paysanne, les pensions, les violences... Ce projet a réellement renforcé les liens du réseau des associations de femmes et féministes car on crée un travail collectif à travers des rencontres.”

ONG et passé colonial

Il semble important de revenir sur les origines des ONG. Agnès nous précise qu’un lien fort avec le passé colonial existe : “Les ONG de coopération développement sont nées après les indépendances des colonies, c’est donc une façon de garder un lien entre les puissances coloniales et les anciennes colonies. Le secrétariat d’Etat à la coopération et développement qui dépend du ministère des affaires étrangères, est anciennement le ministère des colonies.

Les organisations du secteur prennent peu à peu conscience de cette problématique et portent une réflexion décolonialiste autour des stigmates causés et portent une volonté de briser les stéréotypes concernant les anciennes colonies. Pour cela, un financement fort est réalisé dans le secteur de l’Education à la Citoyenneté Mondiale et Solidaire (ECMS) en Belgique. Agnès poursuit : “Ce qui est bien dans cette démarche, c’est que l’on a les moyens d’éduquer les populations à propos de la vision qu’elles portent sur les Suds.

Cette vision décolonialiste fait partie intégrante du fondement du Monde selon les femmes qu’elle porte depuis 27 ans. Pour Alicia, l’objectif n’est pas “d’aider au développement mais d’insuffler l’autonomisation, de valoriser les pratiques existantes sur l’égalité entre les hommes et les femmes et d’échanger sur celles-ci . Nous sommes dans un processus émancipateur tant pour les Suds que pour les Nords.

Agnès ajoute : “On réalise un travail de décentralisation en tant qu’ONG, que femmes blanches, basées en Europe de l’Ouest. La transmissions des connaissances et l’apprentissage va dans les deux sens, autant des Nords vers les Suds que des Suds vers les Nords.”

Liens entre les pays : “Historiquement les liens se sont faits d’individu à individu”

Les partenariats des Suds se situent au Sénégal, en Bolivie, au Pérou et en République Démocratique du Congo (RDC) entre autres. L’Afrique et l’Amérique du Sud sont donc représentées mais pas l’Asie. Les deux salariées en ont conscience et l’expliquent : “Historiquement, les liens se sont fait d’individu à individu et personne n’avait de lien avec l’Asie.” Agnès ajoute : “Cela vient aussi d’une volonté de travailler en français et en espagnol et non en anglais pour éviter le côté culture dominante, en caricaturant ! Mais on voit des limites, car si on veut contacter des féministes indiennes ou au Moyen Orient, l’anglais est nécessaire.

Au nord, les collaborations sont principalement francophones avec la France, le Québec et la Suisse à auquel s’ajoute l’Espagne.

“ La base de notre pédagogie part du savoir-local “

Dans la continuité du travail de coopération pour les bonnes pratiques, Le Monde selon les femmes produit des recherches-actions. Ce type de recherche consiste à identifier des besoins ou des problèmes sur le terrain afin de proposer des solutions réelles et concrètes applicables directement.
C’est une méthodologie qui permet de rester proche des réalités auxquelles se confrontent les populations. Et c’est une des composantes essentielles de l’association. Alicia insiste : “Il faut savoir que la base de notre pédagogie part du savoir-local. Ainsi, c’est une pédagogie féministe émancipatrice. De cette manière, on rend le savoir individuel, collectif. Si on ne se base pas sur ces savoirs-là, c’est le savoir hétéronormé et patriarcal qui surplombe. Les savoirs locaux sont donc conceptualisés et rendus politiques, ainsi on fait coller la petite histoire avec la grande Histoire.

L’asbl en a déjà publié quatre à propos de la souveraineté alimentaire, des violences, des masculinités et du budget-temps. La prochaine traitera de l’éco-féminisme.

Arrêtons-nous quelques minutes sur la dernière recherche-action : le budget-temps, réalisée en partenariat avec des associations péruviennes, congolaises, sénégalaises et belges. Agnès nous éclaire : “Le budget temps c’est un avant tout outil méthodologique, un exercice développé par des partenaires sénégalaises qui démontre, via une horloge, à quoi ressemble la journée d’un homme et celle d’une femme. Cela permet de mettre en perspective pour les participant.es à cet exercice le fait que la journée des femmes est double. Et donc on observe un manque de temps, pour les femmes, dédié au self-care, à l’investissement dans la politique publique... Donc on espère à travers ce constat, que l’on atteigne progressivement une égalité.”

"Les enjeux féministes des Nords et des Suds sont les mêmes”

Fortes des connaissances scientifiques issues des recherches-actions et des travaux de collaborations sur les bonnes pratiques, l’équipe du Monde selon les femmes à identifier des convergences en matière de problématiques rencontrées par les femmes des Suds comme les femmes des Nords. Agnès cite : “ Par exemple en matière de violences, les points communs dans les vécus et ressentis touchent à
l’omerta, la honte, la difficulté de portée plainte, les lois pas adaptées et pensées dans l’idée qu’il faudrait protéger les hommes de certains dérapages...
” Alicia ajoute : “On voit bien que les enjeux sont les mêmes : requestionner les privilèges masculins, rendre du pouvoir aux femmes face aux problèmes de violences. Rééquilibrer la balance passe par un travail de compréhension de ce qui se joue pour les hommes aussi qui sont à l’origine des violences de genre.

En effet, se pencher sur les attentes de la société à propos des hommes donne lieu à une meilleure compréhension de l’origine des violences commis par ces derniers. C’est-ce que précise Agnès : “Le dernier focus que l’on a réalisé concerne les masculinités via des interviews et groupes de paroles d’hommes mis en place au Sénégal, en RDC, en Belgique et en Bolivie. On voit quelques variantes mais on reste tout de même toujours sur le même squelette des attributs de masculinités, des attentes que l’on a d’un homme dans la société, de ce qu’est un vrai mec et de ce que cela peut générer comme violence.

Alicia conclut : “Enfin, on voit aussi que la question du care est présente dans les deux parties du globe. Il semble essentiel, de remettre cette notion de soin, de bien-être au centre des préoccupations dans une logique bien entendue anti-capitaliste. On est dans cette logique là aussi.

Démarche de triangulation jusque dans le plaidoyer politique

Afin de participer à l’écriture de la grande histoire, Le Monde selon les femmes transpose son savoir scientifique en recommandations politiques. Leur démarche de plaidoyer poursuit leur désir de coopération et de contact avec le terrain. En effet, Agnès précise : “Personne n’a la fonction ici unique et exclusive de faire du plaidoyer, de courir dans les couloirs du parlement... Le plaidoyer est donc fait par chacune sur son temps de travail et en réseau avec nos partenaires associatifs et ONG.

C’est à travers une présence distillée dans différentes plateformes et réseaux d’ONG et d’associations que s’ancre leur perspective du genre. Alicia ajoute : “Par exemple, pour l’écoféminisme on va trouver écho dans l’asbl Association 21. Via ces alliances et les propositions de recommandations claires sur le court terme, on souhaite un changement sur le long terme. Fonctionner en réseau fait partie de notre ADN puisqu’on met au centre le savoir situé donc si on va seule au front, on ne verra que l’étendard du Monde selon les femmes. De plus, comme on est dans une démarche de triangulation depuis le départ, notre présence dans diverses structures permet de prendre en compte leur réalité et d’adapter la dimension du genre et nos propositions en fonction.”

Mais alors, quelles victoires, quels succès identifient-elles de ce travail de longue haleine ?
Pour Agnès, la mise sous les projecteurs des questions de genre depuis quelques années permet de se rendre compte que la réflexion du Monde selon les femmes, son discours émancipateur et égalitaire font échos aux luttes qui se développent chaque jour. “L’une des plus belles victoires pour moi est de voir l’intérêt que suscite notre organisation de la part de personnes ou associations dans d’autres pays car notre fonctionnement est unique.” argue-t-elle sans prétention.

Pour Alicia, c’est au niveau d’une avancée législative belge qu’elle identifie un succès : “ En 2014, la loi contre le harcèlement en rue représente une belle victoire car pour moi c’est le début d’une nomination et donc d’une identification du continuum des violences.

Les formations : “Se décentrer et reconstruire ensemble”

Comme troisième axe d’action, l’asbl propose des formations sur des diverses thématiques. Entre autres, les violences sexuelles dont l’objectif est d’intégrer une lecture de genre et intersectionnelle dans ces phénomènes pour élaborer des réponses stratégiques et d’empowerment. Il existe également une formation dédiée au développement de cet empowerment des femmes toujours en lien avec les réalités locales.

Depuis quelque mois, la formation le b-a.ba du genre est également disponible en ligne. Cette dernière permet d’acquérir les pré-requis concernant les notions de genre. Un gros travail de réflexion a été mis en œuvre pendant trois ans afin de conserver l’ADN de l’association, à savoir : le partage de connaissances et donc d’éviter un schéma vertical de transmission des notions.

Alicia, chargée de ce projet, nous en dit plus : “ Il y a un mur d’échanges dans la plateforme où les participant·e·s peuvent poser leurs réflexions, leurs avis ou leurs questions auxquelles on réagi. On a également prévu deux moments de rencontres en ligne qui nous permettent de garder le lien avec les participant·e·s.”

Et la réflexion a été poussée jusqu’aux préférences d’apprentissages d’un.e.s et des autres. “ Notre pédagogie se base sur différentes portes d’entrées car on fonctionne tous et toutes de manières différentes. Des personnes vont avoir besoin de faits, de chiffres, d’autres retiendront mieux via les relations, d’autres via la création... ainsi le parcours que l’on propose est de rencontrer la problématique, de se décentrer et de reconstruire ensemble ».



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