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Le Resto du Cœur de Laeken plie mais ne rompt pas

21/10/24
Le Resto du Coeur de Laeken plie mais ne rompt pas

Le Resto du Cœur de Laeken souffre, encore aujourd’hui, de la crise énergétique et de l’augmentation des prix des matières premières. Dans une impasse budgétaire, le Resto résiste pour continuer à fonctionner mais cela n’est pas sans conséquences : les prix des repas ont augmenté et si la situation ne s’améliore pas, les répercussions pourraient s’avérer plus graves.

Depuis 2003, le Resto du Cœur de Laeken gère le restaurant social L’Autre-Table, en plus d’être actif dans la distribution de colis alimentaires, les Colis du Cœur. Le restaurant, situé rue Stéphanie à Laeken est né à l’initiative du CPAS de la ville. Ce projet répond aux besoins alimentaires des personnes en situation de précarité et vise à soutenir l’insertion socio-professionnelle avec 10 personnes employées sous contrat article 60.

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« On joint tout juste les deux bouts »

Il est midi quand les gens commencent à affluer dans le restaurant social. Très vite, les habitués s’asseyent à la même table et discutent. « Ici, c’est avant tout un moment de partage et de bon temps, on aime se retrouver », lance l’une des pensionnées venues manger. L’odeur du potage couplée à la chaleur que dégagent le personnel et les bénéficiaires rendent le lieu très convivial. Malheureusement, cette joie ne dure pas lorsqu’on s’enfonce dans les couloirs du restaurant où on découvre la dure réalité de l’aspect financier.

Le Resto du Cœur de Laeken souffre, encore aujourd’hui, de la crise énergétique et de l’augmentation des prix des matières premières. Pour y faire face, L’Autre-table a été contraint d’augmenter ses prix depuis juillet. « Il faut savoir que nous sommes le seul Resto à acheter la marchandise. Tous les dons partent aux Colis du Cœur donc c’était compliqué ces dernières années, on joint tout juste les deux bouts », confie Bruno Lai, responsable du Resto du cœur de Laeken. Il continue : « On dépend du marché public du CPAS mais comme on est une ASBL, on joue avec différents distributeurs et toutes les semaines on commande au meilleur prix. »

Pour l’exercice de 2023, le Resto a accumulé un déficit de 40.000 euros, qu’il est en train de payer aujourd’hui. « La première année, on n’a pas été impactés heureusement parce que la crise était à son pic mais maintenant on paie une énergie plus chère que ce qui est sur le marché actuel. » Cela s’explique par le fonctionnement budgétaire de l’association qui calcule le budget alloué à l’année en cours en fonction de l’année précédente. Le Resto du Cœur subit donc un effet de retard. Le responsable affirme que c’est surtout la crise énergétique, plus encore que la hausse des prix des matières premières, qui a eu un impact sur leurs chiffres.

Il poursuit : « Cette année-là (l’année 2023), il fallait payer des dédommagements beaucoup trop élevés mais voilà on serre les dents et on est parvenus à maintenir notre activité en place. » Le resto du Cœur de Laken a la chance d’être membre de la Fédération des Restos du Cœur de laquelle il reçoit des subsides et heureusement sinon Bruno Lai estime que le Resto ne tiendrait pas le coup. « On n’existerait plus à l’heure actuelle », reconnaît-il. « Il y a de plus petites associations que la nôtre qui ont énormément souffert, plus que nous, parce qu’elles dépendaient d’un ou deux Delhaize de proximité. Aujourd’hui, elles ne reçoivent quasiment plus de provisions. » Celui-ci craint que si les prix de l’énergie continuent à flamber, c’est la qualité des repas qui en pâtira ainsi qu’une limitation des portions.

Le nombre de bénéficiaires n’est pas linéaire

Pour combler, en partie, ce déficit, l’Autre-Table a été forcé de prendre une décision : l’augmentation d’un euro sur le prix des menus. Pourtant, cette augmentation des prix des repas n’a pas eu l’air de décourager les bénéficiaires puisque le nombre de ceux-ci, qui avait déjà diminué à partir du mois de mai, est remonté à partir du mois de septembre.

Cette diminution, Bruno Lai ne se l’explique pas : « Ce n’est pas par rapport à la qualité car on a toujours fonctionné de la même manière. On essaie de voir par rapport aux statistiques quels sont les types de bénéficiaires qui sont en chute mais tous les mois j’ai remarqué que le pourcentage diminue chez les personnes aidées par le CPAS. Peut-être parce qu’on octroie moins d’aides aux CPAS donc on a moins de personnes aidées par le CPAS qui viennent au Resto. » L’augmentation des prix a principalement joué sur les personnes qui ne bénéficient pas d’aides sociales et pour lesquelles le prix du menu est aujourd’hui fixé à 8€, des travailleurs qui réfléchissent désormais à deux fois avant de venir manger à l’Autre-Table. Quant aux autres bénéficiaires, les enfants paient le menu comportant entrée, plat et dessert 1€, les personnes aidées par le CPAS 2€, les personnes sous le statut BIM (bénéficiaires d’intervention majorée) et les personnes bénéficiant du chômage 4€ et les pensionnés 5€.

Une concurrence qui fait rage

Une difficulté supplémentaire se dresse sur le chemin du Resto du Cœur : la concurrence des entreprises, comme Happy Hour Market, qui récupère des invendus de magasins et les vend à moitié prix, via une application. Même si, au premier regard, le but de Happy Hours Market est de lutter contre le gaspillage alimentaire et de soutenir le secteur associatif de l’aide alimentaire, ce dernier avait reproché à cette start-up bruxelloise de devancer les associations en les privant de leur source d’approvisionnement.

L’Ilot, une ASBL qui lutte contre le sans-abrisme, dénonce même du Green Washing de la part de cette organisation. Dans un communiqué de presse posté sur leur site, elle met en garde : « Si plus d’attention n’est pas portée à ce qui est en train de se jouer actuellement, et si les pouvoirs publics voient les entreprises privées à but lucratif comme des partenaires de l’aide sociale plutôt que de soutenir structurellement les actions de terrain, les dérives continueront jusqu’à la marchandisation totale de l’aide alimentaire (avec son lot de mises en concurrence et de pratiques déloyales). »

« Ce sont toujours les riches qui deviennent plus riches et les pauvres qui subissent »

Bruno Lai propose une solution pour aider le Resto du Cœur mais sa mise en œuvre n’est pas en son pouvoir : elle dépend des politiques. Il attend de ceux-ci qu’ils bloquent le boursicotage des matières premières alimentaires. Il s’explique : « On le voit, par exemple, par rapport au cacao. On sait que les récoltes ont été mauvaises en 2024 mais de là à avoir des augmentations de prix qu’on n’a jamais eues avant, c’est purement à cause de ce qui se passe au niveau du cours de la bourse parce que, malheureusement, les agriculteurs ne sont pas mieux payés. Ce sont toujours les riches qui deviennent plus riches et les pauvres qui subissent. »

Pauline Février

Le restaurant est ouvert tous les jours en semaine, la salle est ouverte à partir de 8 heures. Le Resto du Cœur de Laeken a distribué plus de 38.00 repas en 2023.



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