Métiers du soin : quand écouter l’autre peut générer un mal-être
Le travail peut rendre malade. Tout le monde connaît, en effet, le burn-out. Cependant, ce n’est pas la seule difficulté que peuvent rencontrer les professionnels de la santé et du social. Bien qu’encore peu connus, ils sont bien réels. Ici, nous allons parler du traumatisme vicariant et de la fatigue de compassion. Nous avons contacté Lauraline Michel, membre du collectif OXO et experte du sujet, pour nous en dire plus.
Le burn-out un phénomène de plus en plus évoqué, débattu, discuté, reconnu. Et, le secteur social/santé n’est pas épargné. En revanche, saviez-vous que le burn-out n’est pas le seul souci engendré par cette sphère professionnelle ?
En effet, les travailleuses et travailleurs des métiers du soin peuvent être frappés, dans le cadre de leurs missions, par le traumatisme vicariant ainsi que par la fatigue de compassion. Deux concepts à ne pas confondre avec le burn-out !
En effet, bien que liés à la sphère professionnelle, ils sont proviennent de causes différentes. « Le burn-out est lié à un très grand de nombre de tâche. Il y a cette demande de toujours faire plus, de produire plus. Le burn-out, c’est l’implication sans fin, un écrasement de la charge de travail, une dépersonnalisation, un épuisement », pointe Lauraline Michel, membre du collectif OXO, un collectif féministe artistique qui organise des formations, des supervisions et des pistes de recherches sur des sujets sociétaux, en collaboration avec l’ASBL FEMMESProd et avec Frédérique Bribosia du Cerso. « Alors que le traumatisme vicariant n’est pas une conséquence du travail, mais bien de l’écoute et de l’empathie nécessaire au travail de la relation d’aide. »
Et de développer : « Il s’agit du stress lié à la relation d’aide, pouvant également être présent dans d’autres types de métiers, moins identifiés comme des métiers appartenant au secteur psycho-médico-social. Dans ce type de métiers, il y a une écoute et une relation d‘empathie qui se créent avec les bénéficiaires. C’est la base du métier, d’être à l’écoute et d’être là pour les personnes qui en ont besoin. Un.e psychologue va écouter les soucis, les médecins vont être là pour accueillir les maux des patients, les intervenants sociaux sont à l’écoute des témoignages de leurs bénéficiaires, etc. » Bref, là où il y a une dynamique de d’empathie et d’accompagnement !
– Lire aussi : Ce que j’aurais aimé qu’on me dise lorsque j’ai commencé à travailler dans le social
Mais le traumatisme vicariant, c’est quoi ?
À force d’écouter des récits traumatiques, on peut développer le traumatisme par procuration. Cela peut progressivement changer notre vision du monde : « Notre notion du bien et du mal va progressivement se modifier. Nous avons récolté beaucoup de témoignages qui mettent en avant que ce qui nous semble bien ou mal est vicié."
Lauraline Michel témoigne de son expérience personnelle pour expliquer ce changement de vision du monde : « Quand je vois un papa avec son enfant, je vais directement penser à l’inceste alors que je sais que ce n’est pas forcément le cas. C’est donc une modification profonde à travers l’apparition de symptômes, la modification de la perception du monde et à cela, s’ajoutera un sentiment d’impuissance. Car, comme j’ai parfois l’impression que la violence est partout, comment fait-on pour aider ? »
Mais concrètement, quels sont les symptômes ? « On s’est rendu compte que les personnes qui écoutaient, pouvaient développer les mêmes symptômes que les personnes aidées. Que ce soit des maux de ventre, migraines, cauchemars, dépressions, idées suicidaires. Bref, tout un spectre physique et/ou psychologique ressemblant à ceux de la personne écoutée. »
Janet Yassen, psychiatre reconnue du milieu de la recherche sur la compassion, a établi un tableau reprenant les symptômes en 6 catégories principales : symptômes cognitifs, émotionnels, comportementaux, spirituels, interpersonnels et physiques.
La violence, à l’origine
Le traumatisme vicariant apparaissant suite à l’écoute de récits traumatiques, il est évident que la violence de la société est la raison principale de l’apparition de ce trauma
Charles Figley, en 1995 développait déjà sur le sujet de la violence, en prenant l’exemple de la guerre du Vietnam : « Du fait qu’il est exposé à la réalité de la cruauté d’êtres humains envers d’autres êtres humains et qu’il participe inévitablement à la reconstitution d’événements traumatiques dans le cadre de la relation thérapeutique, le thérapeute devient vulnérable, de par son empathie, aux effets émotionnels et spirituels du professionnel. Ces effets sont cumulatifs et permanents, et ils se répercutent sur la vie tant professionnelle que personnelle du thérapeute. »
À ne pas confondre avec la fatigue de compassion
L’experte précise bien l’importance de différencier traumatisme vicariant et la fatigue de compassion. En effet, la fatigue de compassion n’est pas nécessairement liée aux récits traumatiques. « C’est se sentir essoré par les récits. On perd l’envie d’entendre des problèmes. Il y a une désensibilisation, du cynisme, une banalisation des problèmes », explique l’experte.
Cette fatigue de la compassion peut avoir de nombreux impacts :
- Réactions d’impulsivité qui peuvent blesser un usager
- Possibilité de transgresser les limites professionnelles
- Dépersonnalisation (traiter les gens comme s’ils étaient des objets)
- Prise de distance avec les usagers
- Critiques et sous-estimation des usagers
- Cynisme
- Création d’un environnement toxique
- Affaiblissement de l’esprit d’équipe
- Absentéisme
- « Contamination » des collègues
Empathie, compassion et neurones miroirs
Ce traumatisme vicariant existe car l’être humain est capable d’empathie, grâce aux neurones miroirs. « Quand on se met à l’écoute d’autrui, dans une relation d’empathie, nous allons nous mettre au diapason des personnes écoutées. C’est à ce moment que nos neurones miroirs vont s’activer. Les neurones miroirs servent à l’apprentissage par mimétisme. Quand on sourit à un bébé et qu’il sourit en retour, c’est grâce aux neurones miroirs ».
Cette réaction cérébrale entraine donc une réaction émotionnelle chez la personne qui écoute. « Quand une personne va nous raconter avec beaucoup de tristesse, de rage, nos neurones miroirs vont s’activer et vont nous permettre de ressentir les émotions à travers notre vécu et celui de la personne écoutée ».
À rajouter à cela, la possibilité de ranimer chez l’écoutant, des traumas passés.
« Il y a aussi une analyse genrée et intersectionnelle à faire »
Il est maintenant établi et vérifié que les femmes subissent plus de violences que les hommes. « Les métiers du soin sont occupés majoritairement par des femmes et on comprend très vite que si 80% des violences sexuelles donnent lieu à des stress post-traumatique et qu’une femme sur trois a vécu des violences sexuelles dans sa vie, travailler dans le secteur de la relation d’aide peut donc amener à réactiver sa propre mémoire traumatique et ses propres vécus personnels. » Aussi, le soin ne s’arrête pas lorsque les travailleur.euses quittent leur travail. Les femmes assument en effet des doubles voir triples journées de travail.
De plus, les métiers liés à la relation d’aide sont moins reconnus en termes de compétences et moins rémunérés. Les femmes ont donc moins de ressources et de temps pour prendre soin d’elles en dehors de leur temps de travail. Tout cela favorise l’apparition de ce type de stress secondaire. Cela s’amplifie évidement pour les femmes qui sont au croisement de plusieurs discriminations. Par exemple : une personne racisée va être généralement moins bien reconnue, rémunérée, etc.
Et maintenant, que faut-il faire ?
Actuellement, aux Etats-Unis et au Canada, de nombreuses recherches ont déjà vu le jour sur ce sujet. Mais il y a encore peu d’études européennes qui sont sorties. Heureusement, une première étape a été franchie : En Belgique, la Médecine du travail Cohezio a déjà reconnu ce type de traumatisme.
« Le message est surtout important au niveau organisationnel et global » Pour l’experte du collectif OXO, c’est le message principal à envoyer : « Il faut savoir dire que c’est des métiers à risques spécifiques et que ce n’est pas lié aux individus », souligne-t-elle en précisant que certaines personnes seront plus aptes à développer ce type de stress, dû à la résilience propre à chacun.
Pour Lauraline Michel OXO, il y a un maître mot : supervision. « Superviser est primordial. Que cette supervision soit individuelle et/ou collective, elles doivent être intégrées. Si les financements manquent pour ces dernières, il faut du temps en équipe pour parler des émotions ressenties. Il faut de la bienveillance ».
Il est important de préciser que chaque situation est différente, chaque institution amène ses propres difficultés, lié au secteur d’activité. « Généralement, on ne donne pas de de solutions clés sur porte, car chaque situation est différente ».
Si vous désirez aller plus loin, ce lien vous emmènera vers un guide complet, recommandé par Lauraline Michel.
N’hésitez pas à contacter le collectif OXO pour plus d’informations sur leurs formations : collectif.oxo@gmail.com
Mateo Rodriguez Ricagni
Commentaires - 1 message
Ajouter un commentaire à l'article