Pourquoi cette tendance dans de nombreux pays européens à reculer l'âge de la retraite ?

C’est une tendance globale : les réformes des régimes de retraite prévoient dans de nombreux pays un recul de l’âge auquel il est possible de prétendre à une pension. Mais pourquoi ? La réponse la plus évidente à cette question est l’augmentation de l’espérance de vie et le vieillissement de la population. Cependant, cette seule raison est-elle suffisante pour justifier les mesures qui s’accumulent ? Par ailleurs, quel est l’impact du fonctionnement actuel de nos retraites sur la justice sociale et enfin, le recul de l’âge de la retraite est-il la seule solution pouvant être mise en place pour faire face aux défis actuels ?
Afin de répondre à ces questions, cet article s’appuie en grande partie sur le livre “Réformer les retraites”, ouvrage de Bruno Palier, Directeur de recherche CNRS à Science Po, qui explore l’histoire des régimes de retraite en Europe, leur évolution et les différents facteurs sociétaux et politiques en oeuvre dans cette évolution.
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D’où viennent les retraites et comment s’organisent-elles ?
Si les retraites ont été mises en place afin d’éviter la pauvreté chez les personnes âgées, leur systémique est différente d’un pays à l’autre. Deux grands principes de base fondent historiquement l’histoire des régimes de retraite.
L’un est le régime dit “beveridgien”, géré par l’État, qui garantit un revenu minimal universel sans rapport avec l’occupation professionnelle du citoyen. Ce système est financé par les impôts.
L’autre est le régime dit “bismarckien”, qui base l’obtention d’une pension de retraite sur le fait d’avoir travaillé, c’est-à-dire, d’avoir contribué à l’économie d’un pays. Dans cette logique, le montant et l’octroi d’une pension sont donc conditionnés par le fait d’avoir travaillé (cotisé) un certain nombre d’années et se base également sur le montant du salaire (qui est directement corrélé à la valeur perçue du travail) .
Pour autant, ces deux systèmes ont évolué au rythme de réformes successives et l’on peut aujourd’hui distinguer 4 principaux régimes d’organisation des retraites.
1. Le système bismarckien ancien
Les retraites sont principalement financées par les cotisations versées par les salariés et les employeurs. Ce système fonctionne par répartition, c’est-à-dire que les salariés d’aujourd’hui paient les retraites des personnes actuellement pensionnées. Les montants perçus par les retraités sont calculés à partir des salaires qu’ils ont perçus au long de leur vie et par le montant des cotisations versées. Ce système concerne notamment la Belgique, la France, l’Italie ou encore, l’Espagne.
2. Le système bismarckien de deuxième génération
Ce système repose historiquement sur l’octroi d’une retraite de base universelle financée en répartition, à laquelle s’ajoute un second pilier bismarckien, autrement dit, un montant dont le calcul est basé sur le revenu et qui est financé en répartition par les cotisations sociales des actifs (la grande majorité de ce système repose sur le second pilier). Ce système concerne, par exemple la Suède, la Norvège ou encore, la Finlande.
3. Le système dit "multipiliers"
Ce système octroie une retraite de base selon la logique beveridgienne (montant forfaitaire de base universel, financé par les impôts et géré par l’état). Cependant, à ce premier pilier s’ajoute un financement des retraites via des régimes professionnels ou personnels obligatoires (assurances). Il s’agit donc d’un capital auquel contribue le salarié, un capital qui est géré le plus souvent par une entreprise privée. Dans ce système, une partie de la pension - un montant universel minimal - est donc gérée par l’État tandis que la plus grande partie de la pension perçue est issue du capital généré par l’employé et géré par une entreprise privée.
4. Les systèmes résiduels
Ces systèmes, surtout présents en Irlande, Nouvelle-Zélande ou aux États-Unis, se basent sur un pilier de base uniforme et obligatoire : il s’agit de régimes de retraite financés en capitalisation, de façon individuelle ou bien au sein d’une entreprise. Cette démarche est volontaire et ne concerne pas tout le monde.
Comment fonctionne le système des pensions belge ?
En Belgique, nous fonctionnons selon le système Bismarckien ancien ; les retraites sont basées sur la collecte des cotisations sociales versées par les entreprises et les travailleurs actifs qui sont redistribués aux personnes pensionnées. Plus précisément, en Belgique, les cotisations retraite sont de 16,36 % (dont 7,50 % pour le salarié et 8,86 % pour l’employeur) sur l’ensemble de la rémunération.
Comment est calculé le montant d’une retraite en Belgique ?
Le calcul se base sur le nombre d’années travaillées et sur le montant moyen du salaire perçu durant les années d’activité. En Belgique, l’ont fait la somme de tous les salaires perçus, on les multiplie par un coefficient de réévaluation visant à compenser la hausse du coût de la vie et enfin, on divise le chiffre obtenu par le nombre d’années travaillées, c’est-à-dire 45 ans, pour être éligible à la retraite. Le résultat obtenu est ensuite multiplié par un coefficient dépendant de la situation familiale (60% ou 75%).
Le droit à la retraite est conditionné par le fait d’avoir travaillé effectivement 45 ans et est octroyé à partir de 66 ans depuis 2025 (67 ans à partir de 2030).
Qu’est-ce qui cloche ? Pourquoi les pays reculent-ils l’âge de la retraite ?
On l’aura remarqué : ces dernières années, de nombreux pays reculent l’âge de la retraite et rendent son octroi de plus en plus semé d’embûches. En Belgique jusqu’en 2025, l’âge de la retraite était à 65 ans, avant de passer à 66 ans et à 67 ans à partir de 2030. Aux Pays-Bas, il est également passé de 65 à 67 ans (de 2012 à 2021). C’est également le cas en Allemagne et en Italie. En France, il est possible de partir à la retraite à partir de 64 ans, mais l’on risque de voir une décote du montant de sa retraite si l’on n’a pas travaillé assez longtemps (entre 166 et 168 trimestres, soit entre 41 et 42 ans) et que l’ou souhaite s’arrêter avant 67 ans.
Le vieillissement de la population
Le Baby Boom, survenu dans la période après-guerre (jusque dans les années 60), a créé énormément de main d’œuvre. Une population active qui se retrouve aujourd’hui en âge de prendre sa retraite. En outre, avec l’allongement de la durée de vie, les personnes qui sont à la retraite en bénéficient plus longtemps.
Dans le même temps, il n’est plus question de baby boom aujourd’hui. Au contraire, l’on assiste à une diminution de la natalité. Par conséquent, les populations actives sont de moins en moins nombreuses par rapport aux populations en âge de prendre leur retraite.
Dans le système bismarckien, auquel adhère la Belgique, ce sont les travailleurs actuels qui paient les pensions des retraités actuels. Il s’agit donc de systèmes qui sont particulièrement mis à mal par cette situation.
La libéralisation des marchés en Europe et dans le monde
Le vieillissement de la population, s’il est souvent brandi pour justifier les réformes des retraites, n’est pas le seul facteur expliquant ces dernières.
Depuis la fin des années 70, nous avons connu plusieurs crises financières : 2 chocs pétroliers, la crise des subprimes de 2008, la crise de la COVID-19… Or en cas de crise financière, le ralentissement économique diminue les recettes fiscales. La masse salariale, sur laquelle sont prélevées les cotisations, stagne, la baisse du nombre de cotisants (puisqu’on déplore souvent une augmentation du chômage) et l’impact de certaines mesures sur le marché du travail (moins de jeunes, de femmes et de travailleurs âgés) ont pour conséquence de diminuer les montants récoltés pour les pensions.
Par ailleurs, l’arrivée de l’euro (mise en place du marché unique) à la fin des années 90 a pour effet de renforcer la compétitivité des entreprises européennes. L’un des éléments clés de cette compétition : le coût du travail (ce que coûte un salaire à l’employeur). Or, les cotisations sociales font partie de ce coût. Dès lors, une augmentation des cotisations sociales - qui paraît pourtant une solution évidente pour répondre aux besoins de financement des retraites - est perçue comme une augmentation du coût de la main d’œuvre. L’augmentation des cotisations sociales est donc de plus en plus difficile à faire accepter aux entreprises.
Enfin, les nombreuses politiques de libéralisation des marchés, suivant les tendances néo-libéralistes en vogue ces dernières années, permettent une liberté quasi-totale de circulation des capitaux à travers le monde. Des investisseurs peuvent donc choisir de se retirer d’un pays s’ils considèrent que le coût du travail y est trop élevé (à cause des cotisations sociales, notamment) et risque de rendre leurs investissements moins rentables.
Or, dans le système bismarckien, dont la Belgique fait partie, le financement des retraites est, nous l’avons déjà dit, directement dépendant du taux d’emploi.
Les exigences européennes en matière de contrôle budgétaire
Pour adhérer à l’Union Européenne, les pays membres doivent respecter un certain nombre d’exigences, dont un contrôle drastique des dépenses publiques. Or, un pôle important de dépenses publiques est le coût des retraites. Il s’agit donc d’un point de tensions pour tout pays souhaitant limiter son déficit et diminuer la croissance de ses dépenses publiques. En cas de crise, ces exigences ajoutent une pression supplémentaire sur les retraites. C’est par exemple suite à la crise de 2008 qu’il a été demandé à l’Italie de réformer ses retraites en 2011, ou encore, que la Grèce et l’Espagne ont modifié le calcul de leurs retraites, sous la pression des instances européennes, afin de rassurer les marchés financiers et les agences de notation.
Y a-t-il d’autres mesures prises en Europe, en-dehors du recul de l’âge de la retraite ?
Nous l’avons vu - et c’est d’ailleurs le cas en Belgique -, l’une des mesures actuelles consiste en l’allongement de la durée des cotisations. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’avoir cotisé 45 ans pour pouvoir prétendre à une retraite. Cette mesure pénalise les personnes n’ayant pas eu une carrière linéaire - notamment les femmes. Cependant, il existe de nombreuses autres mesures, entre autres :
- modifier les règles de calcul des pensions ;
- renforcer la sélectivité aux pensions et rendre l’accès à celles-ci plus exigeant (allongement de la durée des cotisations, etc) ;
- déconnecter l’évolution des pensions par rapport aux salaires (les pensions étaient, jusqu’à peu, envisagées pour maintenir un niveau de vie similaire aux pensionnés et devaient donc suivre la courbe d’augmentation des salaires), …
Toutes ces mesures ont pour effet de diminuer la part de retraites publiques obligatoires, donc, de diminuer les dépenses publiques en la matière. Elles ouvrent également un espace propice à l’installation d’un marché des retraites par capitalisation dans un fond privé.
Les systèmes de cotisation sociale tels qu’ils ont été mis en place concernaient, à l’origine – dans la période d’après-guerre - , des travailleurs masculins, ayant des carrières longues et stables et pouvant donc facilement cumuler plus de 40 ans de carrière. Ils avaient notamment été mis en place car à l’époque, l’on avait pris conscience que la guerre avait été en partie provoquée par la misère sociale.
Retenant également les leçons de la Grande Dépression, qui avait vu de nombreux capitaux privés faire faillite (et en conséquence une augmentation de la pauvreté), les États ont été nombreux à faire le choix de systèmes de retraite basés sur la philosophie bismarckienne ou beveridgienne.
Pourtant, les défis actuels encouragent les États à diminuer leurs dépenses, ouvrant à nouveau la voie à un système de retraite reposant de plus en plus sur la capitalisation privée.
Quel est l’impact des systèmes de retraite et des mesures actuelles sur l’accès à la retraite, la justice sociale et la prévention de la pauvreté ?
Aujourd’hui, le marché du travail s’est transformé et ne correspond plus à la réalité d’après-guerre.
Les femmes sont entrées sur le marché du travail, et cumulent une grande partie des emplois à temps partiel, qui sont pénalisés par la façon dont fonctionne le système biscmarckien, puisque celui-ci se base sur le montant des salaires et le temps effectif de travail. Par ailleurs, les femmes sont aussi pénalisées par les différents “trous” qui peuvent apparaître dans leur carrière en raison des congés parentaux, de l’adaptation des horaires et des emplois pour prendre soin de la famille et des proches.
Enfin, le calcul des pensions étant basé sur le montant des salaires, les femmes se voient une nouvelle fois pénalisées, puisqu’elles sont nombreuses à occuper des postes peu valorisés financièrement.
>>> À ce sujet, lisez notre article : Pourquoi les salaires sont-ils plus bas dans les secteurs du social et de la santé ?
N’oublions pas que la prise d’emploi est aujourd’hui plus tardive, en raison d’études prolongées et que la carrière stable dans une seule entreprise n’est plus la norme. Aujourd’hui, les personnes actives changent souvent d’employeur, il n’est pas rare de traverser des périodes de chômage, d’accumuler les contrats à durée déterminée.
Dans ces conditions, il devient particulièrement difficile d’accumuler plus de 40 années de carrière, pourtant requis pour se voir octroyer une pension.
Répartition vs capitalisation : une question de justice sociale
Le fonctionnement des retraites est déjà source d’inégalités ; les mesures prises par les gouvernements successifs en Europe pour faire face aux défis économiques et démographiques ne sont pas faites pour rassurer sur ce point, même si en Belgique, elles sont adaptées avec des mesures spécifiques (assimilation des congés maternité à du travail effectif, par exemple).
Le recours à des systèmes de retraite par capitalisation, s’il se développe, ne pourra pas contribuer, tel qu’il existe aujourd’hui, à réduire ces inégalités, bien au contraire. Des systèmes de retraite en grande partie basés sur ces systèmes en ont pâti lors de crises financières et de périodes d’inflation.
Un système par capitalisation peut faire faillite, contrairement à un système en répartition.
Par ailleurs, tout le monde n’est pas en position de cotiser de cette façon (manque de revenu, secteur peu organisé au niveau syndical, entreprise de petite taille, ce qui ne permet pas de créer un système de capitalisation commun). Les systèmes de retraite reposant en grande partie sur la capitalisation privée sont donc susceptibles d’aggraver les inégalités sociales déjà présentes aujourd’hui.
N’oublions pas la valeur de la solidarité : elle n’est pas seulement symbolique, elle permet aussi de créer un lien entre les générations et nous pousse à trouver des solutions collectivement. À nous, en tant que société, d’être créatifs et surtout, collaboratifs, pour trouver des solutions qui permettent à tout un chacun de continuer à vivre dignement sa jeunesse… Et sa retraite !
Mathilde Majois
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