Quand le travail social redonne des perspectives : paroles de bénéficiaires

Le 18 mars, Journée internationale du travail social, est bien plus qu’une date. C’est une reconnaissance pour celles et ceux qui, dans l’ombre, soutiennent, accompagnent et redonnent espoir là où tout semble fragile.
Face à la complexité administrative et à la précarité, les travailleurs sociaux accompagnent, orientent et soutiennent les plus vulnérables. Bien plus qu’un relais, ils facilitent l’accès aux droits et préviennent les ruptures. Leur engagement et leur écoute font la différence là où tout semble impossible.
À l’occasion de cette Journée internationale du travail social, cet article donne la parole à ceux dont la vie a changé grâce à leur soutien. Derrière chaque travailleur social, il y a une histoire, un visage, un espoir retrouvé. Cet article en partage quelques-uns.
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Antonin, itinéraire d’un réaccrochage scolaire
À dix-neuf ans, Antonin a connu un parcours scolaire jalonné de difficultés et de remises en question. « À l’école pour moi, ça n’allait déjà pas fort en primaire. Puis, en secondaire, ça s’est compliqué. » Après un redoublement en deuxième année, il décroche peu à peu. « Je ne venais plus en cours, ou alors j’étais sous certificat. Je ne voyais plus trop de sens à ce que je faisais. » Presque majeur, il se sent abandonné par un système qu’il perçoit comme un « marche ou crève ». Lors d’une consultation pour un énième certificat, son médecin l’incite à envisager une alternative. Mais l’idée d’un nouveau départ semble floue.
« Je cherchais, mais je ne trouvais pas grand-chose. Je ne voulais pas juste bosser pour bosser, je voulais quelque chose qui ait du sens, mais je n’y arrivais pas. Son médecin lui parle alors de l’ASBL Odyssée et de Catherine, directrice et intervenante de terrain. « Je l’ai appelée, je parlais du nez parce que j’étais malade, et elle m’a proposé de la rencontrer. » Dès leur premier échange, Catherine lui propose une approche bien différente. « Elle m’a écouté raconter mes galères à l’école, ma vie, et elle m’a dit de venir observer ce qu’ils faisaient dans les ateliers. » D’abord sceptique, Antonin finit par accepter. Il découvre alors les sessions d’accompagnement destinées aux jeunes en décrochage scolaire.
Contre toute attente, il s’y sent rapidement à sa place. « Franchement, ça m’a direct plu : je trouvais ça très intéressant. J’étais avec des étudiants en psychologie alors que moi j’ai galéré à avoir le CE1D et du coup, au fur et à mesure, je me suis senti considéré et porté un peu. » Encouragé par Catherine, il prend confiance en lui et découvre des compétences qu’il ne soupçonnait pas. « Elle disait que je m’exprimais bien, que j’avais du bagout. Ça m’a vraiment donné confiance. »
« C’est fou, j’étais prêt à tout abandonner, et puis voilà que je retrouve du sens dans ce que je fais. »
Aujourd’hui, Antonin entrevoit un avenir qu’il pensait inaccessible. Il se projette désormais dans une carrière d’éducateur spécialisé et porte un regard nouveau sur l’école. « C’est fou, j’étais prêt à tout abandonner, et puis voilà que je retrouve du sens dans ce que je fais. » En repensant à son parcours, il mesure le chemin parcouru et l’issue qu’il a évitée de justesse. « Sans ce coup de pouce, j’aurais sûrement fini par lâcher et chercher un boulot sans perspective, ou je serais resté chez moi à ne rien faire. Mais Odyssée m’a montré qu’on pouvait apprendre autrement. »
Antonin ne se contente pas de rêver à un avenir dans l’accompagnement social : il le vit déjà. Il travaille en alternance aux côtés de Catherine, mettant en pratique ce qu’il a appris et apportant à son tour son soutien aux jeunes en difficulté.
Rester chez soi, coûte que coûte : le dernier souhait de Lucienne
À 88 ans, Lucienne tient plus que tout à rester chez elle. Ancienne aide-soignante en maison de repos, elle sait qu’elle ne s’y sentirait pas à sa place. « J’ai travaillé dans une bonne maison, mais pour moi, ce n’était pas une option. Je préfère mille fois être chez moi. »
Jusqu’à la mort de son mari, elle pouvait compter sur lui. « Il conduisait, il faisait les courses, on s’entendait bien. » Son absence laisse un vide immense. Seule, affaiblie par l’âge et sans aide familiale, elle réalise qu’elle ne peut plus tout assumer.
« Les travailleurs sociaux, je les appelle mes amis ! »
C’est dans cette solitude qu’elle se tourne vers Vivre Chez Soi. « Sans eux, je ne serais plus ici. Ce serait totalement impossible. » Depuis huit ans, l’association lui permet de conserver son autonomie. Elle bénéficie d’une aide familiale régulière, d’un accompagnement aux courses et aux rendez-vous médicaux, ainsi que d’une assistance pour entretenir sa maison. « J’habite une grande maison, qui n’est plus adaptée à une personne seule. Ils m’aident à la tenir en ordre. » Les travailleurs sociaux qui l’entourent sont devenus plus que de simples aides, « je les appelle mes amis. Ils sont devenus une part de ma vie », confie-t-elle.
Récemment, après une chute, son médecin s’est contenté de lui prescrire des antidouleurs. Mais Barbara, une aide-soignante de Vivre Chez Soi, a refusé de la laisser ainsi. « Elle m’a dit : ’Fragile ou pas, il y a quelque chose qui ne va pas’. Et elle avait raison. J’avais des côtes cassées. » Ce jour-là, Barbara est restée avec elle jusque tard dans la soirée, repoussant ses obligations familiales pour ne pas la laisser seule. « Elle devait aller chercher ses enfants. Elle a trouvé une solution avec son mari ou quelqu’un de sa famille pour rester avec moi. Elle ne m’a pas lâchée avant que je sois rentrée. Une fois à la maison, elle m’a donné à manger et n’est partie qu’après s’être assurée que j’étais prête à dormir paisiblement. »
« Mon dernier souhait, c’est de pouvoir rester chez moi, jusqu’au bout et m’en aller. »
« Depuis la mort de mon mari, je me sens seule. Je n’ai jamais eu une vraie famille, et ça m’a manqué toute ma vie. » Vivre Chez Soi lui a permis de tisser de nouveaux liens. Elle échange régulièrement avec une autre dame aidée par l’association et reçoit la visite d’un bibliothécaire. « J’aime beaucoup recevoir les visites d’Aurélien. On parle des livres, de son enfant, il en a eu un il y a peu. Je suis contente. »
Grâce à ce soutien, Lucienne peut encore repousser l’échéance de la maison de repos. Mais elle espère ne jamais y aller. « Mon dernier souhait, c’est de pouvoir rester ici, chez moi, jusqu’au bout et m’en aller. Et grâce à eux, je peux encore l’envisager. »
Eliace et Youssef : se reconstruire après la prison
Sortir de prison, ce n’est pas simplement retrouver la liberté. Pour Eliace , 32 ans, et Youssef, 22 ans, c’était aussi affronter un système qui exige réinsertion et autonomie, sans réel accompagnement. « Quand tu sors, on te demande d’avoir un logement, une formation, un travail… Mais si t’as rien, personne ne t’aide vraiment », pointe Eliace, déjà passé plusieurs fois par la case prison.
En détention, ils entendent parler du collectif Désistance, mais ce qui les convainc, c’est Tahar, coordinateur, assistant social, éducateur spécialisé & expert du vécu. « Il est venu me voir et m’a expliqué comment ça se passait. J’étais perdu, je savais pas par où commencer. Il m’a dit : ‘C’est normal, c’est pour ça qu’on est là’ », raconte Eliace. Il intègre alors le programme et comprend vite que ce n’est pas une énième tentative vaine pour en finir avec l’univers carcéral. Le collectif Désistance prépare la réinsertion dès l’incarcération. Grâce aux permissions de sortie, Eliace et Youssef suivent leur formation tout en étant encore détenus. « On est en congé pénal. On sort pour suivre notre parcours, mais le soir, on retourne en détention », poursuit Youssef.
« Avant, je ressortais et je replongeais. Cette fois, j’ai une vraie chance »
Cette approche leur permet d’apprendre à se reconstruire avant même leur libération. L’association les aide à se redécouvrir à travers un parcours de formation et coaching personnel. « On a tous des compétences qu’on ignore. Moi, j’aimais l’informatique sans jamais penser en faire un métier. Ici, on m’a poussé à en faire une formation, on m’a donné un PC pour travailler. En plus ici, on ne te traite pas comme un ex-taulard. On te parle comme à une personne normale. Rien que ça, ça change tout », note Eliace.
Pour Youssef, incarcéré à 20 ans, l’expérience a aussi été un déclic. « J’étais hyper timide au début. Mais ici, avec le coaching, l’ambiance, j’ai pris confiance en moi, une fois que j’ai commencé, j’ai jamais lâché », ajoute-t-il. Il s’apprête maintenant à débuter une formation en animation. Eliace, lui, voit enfin une issue. « Avant, je ressortais et je replongeais. Cette fois, j’ai une vraie chance », confie-t-il. Il mesure l’importance de cet accompagnement et ce qu’il aurait changé pour d’autres. « Si le collectif Désistance avait existé avant, beaucoup n’auraient pas récidivé. »
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Laurence, un soutien inestimable dans l’exil d’Aboubacar
Lorsqu’Aboubacar arrive en Belgique en décembre 2011, il n’a que 16 ans. « Je ne connaissais personne, je ne savais même pas où aller. » Il fuit la Guinée, où il a vécu l’horreur du massacre du 28 septembre 2009. Ce jour-là, dans le stade de Conakry, il assiste impuissant à une tuerie orchestrée par la junte militaire. « Mon père a été arrêté. Ma mère aussi, elle a souffert. Ils sont morts, et moi, j’ai fui. J’ai tout laissé derrière moi », confie-t-il difficilement.
Son passeur l’abandonne à la Gare du Nord. Il erre seul avant d’être dirigé vers Fedasil, qui le prend en charge. Il passe d’un hôtel à un camp de réfugiés, où les conditions sont éprouvantes. « Ce n’était pas un bon endroit pour vivre. Même aller aux toilettes était un problème. » L’insécurité, le bruit, le manque d’intimité… Il comprend qu’il ne tiendra pas longtemps.
Durant sa procédure de régularisation, il rencontre Laurence du service Sampa de l’ASBL MOVE – Molenbeek Vivre Ensemble, qui sera déterminante dans son parcours. Grâce à elle et d’autres travailleurs sociaux, Aboubacar ne s’est pas seulement battu pour ses papiers : il a aussi été aidé pour trouver un logement, se former…« Vraiment, Madame Laurence et Sampa, ils ont beaucoup fait pour moi. Jamais je ne pourrai assez dire merci, je sais même pas comment c’est possible ce que Mme Laurence a fait pour moi. » Les larmes aux yeux, il évoque son soutien inébranlable. « Même la nuit, quand j’avais des pensées dures, elle répondait, écoutait mes problèmes dans ma tête. » Plus qu’une aide administrative, c’est un soutien humain et psychologique qui l’empêche de sombrer. « J’avais trop de choses en tête. Des images que je ne voulais plus revoir mais qui veulent pas partir. » À chaque rendez-vous, Laurence l’encourage, l’oriente, le rassure. « Elle m’a appris à avancer, à ne pas me laisser envahir par la peur. » Son engagement ne s’arrête pas là : elle l’accompagne aux entretiens à l’Office des étrangers, lui trouve un avocat et l’épaule à chaque étape. « À mon entretien, elle était avec moi. C’est elle qui m’a trouvé l’avocat. Tout, c’est elle qui a fait pour moi avec Sampa, aussi Mme Loubna. »
« Pour la première fois, j’ai eu un peu moins peur... »
Malgré tous ces efforts, sa demande d’asile est d’abord refusée. « Ils voulaient des détails que je ne pouvais pas donner. Le nom complet du passeur… Je ne le connaissais pas, je pouvais pas dire. » Grâce à l’acharnement de son avocat et de Sampa, après trois ans d’attente, la réponse tombe enfin : il obtient sa régularisation. « J’étais au travail quand mon avocat m’a appelé. J’avais peur de décrocher. Quand il m’a dit que c’était bon, j’ai eu du mal à y croire et j’ai pleuré. Pour la première fois, j’ai eu un peu moins peur. » Grâce à ce précieux sésame, sa vie prend un tournant. Il maîtrise le français et le néerlandais, décroche un emploi stable, se marie et fonde une famille. « Maintenant, ça va. Je suis bien ici. »
Mais le passé ne disparaît pas. Même en Belgique, l’angoisse ne le quitte jamais complètement. Il sait que ceux qui ont brisé sa vie ne sont plus au pouvoir, mais leur simple souvenir pèse sur lui. « Ce que j’ai vécu, on ne l’oublie pas. » Son traumatisme est une ombre persistante, l’empêchant d’être en paix.
Si Aboubacar prend la mesure du parcours accompli, il sait que rien n’aurait été possible sans cet aide social. « Sans Mme Laurence et Sampa, ça aurait été trop dur. Je n’aurais pas tenu. » Aujourd’hui encore, lorsqu’il traverse une épreuve, il sait qu’il peut l’appeler. « Elle prend toujours le temps de m’écouter, de me conseiller. »
Le travail social : bien plus qu’un métier, un pilier essentiel de la société
Les travailleurs sociaux ne font pas les gros titres, ne cherchent ni reconnaissance ni gloire. Pourtant, ils sont une force discrète mais essentielle dans une société qui se veut juste et solidaire. Ils pallient les manquements des institutions, qui échouent ou renoncent, et accompagnent celles et ceux que l’on refuse de voir. Qu’il s’agisse d’aider un jeune à se reconstruire, de permettre à une personne âgée de rester chez elle, d’accompagner une sortie de prison ou d’aider un exilé à se relever, leur travail ne se limite pas à transformer des trajectoires individuelles : il tisse une société plus solidaire.
Mais derrière l’engagement des travailleuses et travailleurs sociaux, une autre réalité subsiste : l’oubli et la précarité. Trop souvent mal reconnus, sous-estimés, contraints de travailler avec trop peu de moyens, ils tiennent pourtant bon, animés par la conviction que leur présence fait la différence. Ils ne se contentent pas d’aider, ils maintiennent ce fragile équilibre qui empêche notre société de basculer dans l’indifférence.
Ce 18 mars, en cette Journée internationale du travail social, leur rôle mérite plus qu’un hommage : il appelle à une prise de conscience. Car une société ne se mesure pas à sa prospérité, mais à sa capacité à ne laisser personne derrière.
Sara Abdennouri
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