Qui, à l'heure actuelle, peut pratiquer la psychothérapie ?
La loi De Block sur la psychothérapie est entrée en vigueur le 1er septembre dernier. Et pourtant, actuellement, le secteur ne sait pas avec précision qui peut pratiquer. Ou comment.
C’est de loin un des gros casse-têtes de l’année : la loi De Block sur les professions de santé mentale. La ministre Maggie De Block a décidé de limiter l’exercice de la profession aux seuls psychologues cliniciens, orthopédagogues cliniciens et médecins. Pour ceux qui pratiquent déjà, des ‘mesures transitoires’ sont prévues. Sauf qu’aujourd’hui, le secteur ne sait pas qui peut pratiquer et comment. Françoise Raoult, psychothérapeute et membre active du collectif citoyen Alterpsy, explique.
Que dit la loi ?
La loi stipule qu’à partir du 1er septembre 2016, seuls les psychologues cliniciens, les orthopédagogues cliniciens et les médecins pourront exercer la psychothérapie. « Il faut déjà bien se rendre compte qu’il y a une véritable paramédicalisation de la profession, puisqu’elle ne peut plus s’exercer en tant que telle, mais est donc considérée comme un traitement », explique F. Raoult.
« Si au départ, la ministre De Block voulait limiter l’exercice de la psychothérapie aux seuls psychologues, elle a dû faire face à une réalité de terrain : des assistants sociaux, des philosophes, des sages-femmes… qui pratiquaient depuis un certain nombre d’années. Pour ces personnes, elle a donc créé des mesures transitoires (qui ne sont en réalité que des dérogations) ». La loi parle de trois catégories :
1) Les personnes ayant suivi une formation de niveau Bachelier en santé (appelée LEPSS), qui ont suivi une formation en psychothérapie ensuite, pourront continuer à pratiquer de façon autonome. « De nouveau, on reste dans l’idée de la médicalisation de la profession, puisque seul le background en santé est pris en compte », précise F. Raoult.
2) Les personnes qui ont suivi une formation de niveau Bachelier non LEPSS, qui ont fait une formation en psychothérapie ensuite, ne pourront exercer de manière autonome. « Ces personnes devront être supervisées par un professionnel habilité à pratiquer la psychothérapie. »
3) Une troisième catégorie « personne ne sait ce que c’est, ce sont les professions dites de support à la psychothérapie, pour les gens qui ne seraient ni dans la première ni dans la deuxième catégorie ». Des personnes qui n’ont donc pas un niveau de Bachelier, qui ont fait des candis (système pré Bologne), suivies de formations en psychothérapie et qui exercent depuis 15-20 ans la profession. « Ces personnes exerceraient donc des actes délégués en psychothérapie. Qu’est-ce que c’est ? Aucune idée, la loi ne le précise pas… »
Peut-être des tests ?
Avec la vision médicale de la ministre de la santé, la psychothérapie s’inscrit désormais dans un système de traitement impliquant des tests, des évaluations, des bilans. Actuellement, la pratique de la psychothérapie n’utilise pas de telles mesures, puisqu’elle ne considère pas cette logique de ‘diagnostic’. Il importe de différencier les pathologies psychiatriques pour lesquelles des traitements médicaux s’avèrent nécessaires, de la très grande majorité des prises en charge psychothérapeutiques que nous assurons pour des personnes qui ne sont pas « malades ». Pour nous, le trouble présenté par ‘Madame Untel’ est avant tout un symptôme qui vient dire quelque chose de ses difficultés existentielles et/ou relationnelles, nous ne voulons pas mettre d’étiquette sur les gens. C’est aussi pourquoi nous considérons que la psychothérapie relève très largement du champ des sciences humaines et ne peut se réduire à un acte médico-technique.
A contrario, la ministre adopte une logique médicale : à chaque diagnostic, son traitement. Est-ce que ces tests ou bilans feraient partie de ces ‘actes délégués en psychothérapie’ ? La ministre n’a rien prévu de dire… » déplore F. Raoult.
Le sens de la supervision change
Pour les psychothérapeutes qui ne peuvent pratiquer de manière autonome, le sens de la supervision change. « En tant que psychothérapeutes, nous avons déjà des superviseurs. Actuellement, nous discutons de ce que nous appelons les cas de transfert et de contre-transfert avec eux. C’est-à-dire qu’ils nous donnent un regard tiers sur la relation que nous avons avec notre patient ». Avec la loi, la notion de supervision prend un sens contrôlant et hiérarchique. « La responsabilité du traitement incombera désormais au superviseur, qui regardera comment le psychothérapeute travaille avec son patient, dans une notion de ‘c’est bien, c’est mal’ ». La loi va plus loin en prévoyant une pratique interdisciplinaire : le psychothérapeute devra discuter de cas cliniques avec le médecin et de la façon dont il veut les gérer. « Le psychothérapeute perd totalement son autonomie. »
Les indépendants
La supervision pose également des soucis pour les indépendants, puisqu’elle va à l’encontre même du statut de la personne. « Les psychothérapeutes indépendants ne peuvent pas travailler dans un lien de subordination, c’est contradictoire avec le statut même d’indépendant. Le problème de cette loi est que rien n’est expliqué. »
« Nous sommes dans l’illégalité »
« Depuis le 1er septembre 2016, nous sommes en infraction carles personnes qui ont porté un recours ainsi que d’autres psychothérapeutes ne sont pas censés travailler sans supervision. Or, le mécanisme de la supervision n’a pas encore été mis en place. On ne sait rien. Aucun Arrêté Royal n’est prévu, Maggie De Block considère qu’elle a répondu ou que ce sera le Conseil fédéral qui apportera alors les réponses. Mais il n’a pas encore été mis sur pied, alors que la loi est en application ». Pour l’instant, tout continue donc comme avant. Sauf que certains psychothérapeutes, par peur d’être poursuivis en justice dans le futur, arrêtent leur pratique. Certaines assurances professionnelles refusent également de renouveler les contrats. « Un psychothérapeute qui travaille sans supervision, donc qui est en infraction par rapport à la loi et qui n’a, en plus, plus d’assurance professionnelle, prend un risque énorme car il peut être attaqué au civil. Pour l’instant, il n’y a pas de sanctions pénales prévues. On ne sait pas si c’est un simple oubli de la loi ou s’il y a tout un système d’infractions de sanctions pénales qui viendront. Actuellement, on devrait arrêter de travailler. Mais arrêter sa pratique, c’est perdre sa patientèle… Cette loi est un flou complet. »
Commentaires - 8 messages
Ajouter un commentaire à l'article