Se tuer à la tâche : une assistante sociale raconte son quotidien
Quantité d’assistants sociaux ont connu le burn-out. Aujourd’hui, les institutions sociales n’échappent plus aux contraintes de l’idéologie néolibéraliste et conduisent les professionnels à ruiner leur santé mentale au profit d’une bureaucratisation.
Aujourd’hui, le secteur social obéit de plus en plus aux logiques financières de l’entreprise classique. Les concepts comme le management ou l’hyper-bureaucratisation pénètrent peu à peu la sphère du social, avec à la clé des professionnels en souffrance. Il est donc primordial de prendre en compte la santé de ces travailleurs, qui eux-mêmes accompagnent des personnes en difficulté.
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Efficacité, productivité, rentabilité
Le temps, c’est de l’argent : voilà le nouveau leitmotiv des aides sociales. Plus le travailleur est efficace et productif, mieux l’institution s’en portera. Il n’y a donc pas une seule minute à perdre. Cette course à la rentabilité, Coraline Caliman, assistante sociale, la dénonce au journal La Libre : “Tandis que certains assistants sociaux ont parfois un quota de dossiers à gérer, leurs collègues ne peuvent dépasser les quinze minutes d’entretien individuel. D’usagers à clients, il n’y a plus qu’un pas.”
A l’instar de l’employé d’une entreprise privée, le travailleur social doit rendre des comptes. Pour chaque action, il faut déterminer ses coûts et bénéfices et à chaque aide accordée son lot de justifications. Coraline Caliman explique qu’“il faut justifier le moindre euro dépensé, le moindre centime cédé à l’usager qui, lui, doit le mériter. Une aide financière ne lui sera accordée que s’il se conforme à un ensemble de diktats, que s’il prouve une capacité de remboursement suffisante ou encore, que s’il en a assez bavé dans le passé.” Soumis à un système de productivité, les professionnels, qui pour la plupart font ce métier par vocation, se perdent dans tout ce fatras de contrôles administratifs et perdent leur estime de soi, ce qui se ressentira par une confiance fragilisée entre l’institution, le travailleur et l’usager.
Des compétences invisibles et ignorées
Si l’on suit le modèle néolibéral d’une entreprise, le travailleur du secteur non marchand est par définition “inutile” car il ne produit pas de bien matériel. Ses accomplissements caractérisés par leur immatérialité sont difficilement visibles auprès des responsables externes. C’est à peine si l’on tient compte de son rôle de conseiller et de défenseur de droits : “Les acteurs de terrain ne sont plus consultés dans les processus décisionnels : leurs compétences et leur expérience professionnelle sont niées. Ils doivent se contenter d’appliquer des plans d’action”, souligne Caroline Caliman. La robotisation du métier amène l’assistant social à devenir “telle une marchandise, interchangeable.” Les répercussions sont nombreuses, allant de la perte de confiance en soi et au manque de cohésion au sein du groupe jusqu’à une qualité amoindrie de l’accompagnement.
Néolibéralisme vs humanisme
Impuissant face aux injustices sociales dans une société qui opprime les minorités, le travailleur tombe vite dans la dépression. D’un côté, il est spectateur d’une humanité criant au désespoir. De l’autre, il est soumis à une autorité qui nie les droits des plus faibles. Il est alors tiraillé entre deux modèles : soit l’idéologie néolibérale imposée, soit son idéologie humaniste choisie par conviction.
En outre, son métier s’effectue dans des conditions de travail déplorables (matériel inadapté, bâtiments insalubres, locaux vétustes...) La crise sanitaire n’a fait qu’empirer les choses puisque le télétravail, et surtout la digitalisation, a brouillé les frontières entre la sphère professionnelle et privée, conduisant à un environnement de travail encore plus pénible. L’assistant joignable à tout instant sur internet n’a plus aucun moment de répit. Enfin, la pandémie a entravé le contact social, là où l’humain constitue le noyau même du métier.
Accepter ses limites
Toute cette violence institutionnelle engendre une réelle souffrance chez l’assistant social non seulement dans son métier (remise en question, sentiment de frustration, découragement...) mais aussi dans son bien-être (stress, insomnie, dépression...). Dès lors conscient de cette souffrance, le professionnel ne doit pas hésiter à se faire accompagner, à trouver d’autres formes d’épanouissement personnel, mais surtout à accepter ses propres limites car pour prendre soin des autres, il faut d’abord apprendre à prendre soin de soi.
- [A lire] : Le quotidien d’un assistant social
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