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Se tuer à la tâche : une assistante sociale raconte son quotidien

15/09/20
Se tuer à la tâche: une assistante sociale raconte son quotidien

Quantité d’assistants sociaux ont connu le burn-out. Aujourd’hui, les institutions sociales n’échappent plus aux contraintes de l’idéologie néolibéraliste et conduisent les professionnels à ruiner leur santé mentale au profit d’une bureaucratisation.

Aujourd’hui, le secteur social obéit de plus en plus aux logiques financières de l’entreprise classique. Les concepts comme le management ou l’hyper-bureaucratisation pénètrent peu à peu la sphère du social, avec à la clé des professionnels en souffrance. Il est donc primordial de prendre en compte la santé de ces travailleurs, qui eux-mêmes accompagnent des personnes en difficulté.

Efficacité, productivité, rentabilité

Le temps, c’est de l’argent : voilà le nouveau leitmotiv des aides sociales. Plus le travailleur est efficace et productif, mieux l’institution s’en portera. Il n’y a donc pas une seule minute à perdre. Cette course à la rentabilité, Coraline Caliman, assistante sociale, la dénonce au journal La Libre : “Tandis que certains assistants sociaux ont parfois un quota de dossiers à gérer, leurs collègues ne peuvent dépasser les quinze minutes d’entretien individuel. D’usagers à clients, il n’y a plus qu’un pas.”

A l’instar de l’employé d’une entreprise privée, le travailleur social doit rendre des comptes. Pour chaque action, il faut déterminer ses coûts et bénéfices et à chaque aide accordée son lot de justifications. Coraline Caliman explique qu’“il faut justifier le moindre euro dépensé, le moindre centime cédé à l’usager qui, lui, doit le mériter. Une aide financière ne lui sera accordée que s’il se conforme à un ensemble de diktats, que s’il prouve une capacité de remboursement suffisante ou encore, que s’il en a assez bavé dans le passé.” Soumis à un système de productivité, les professionnels, qui pour la plupart font ce métier par vocation, se perdent dans tout ce fatras de contrôles administratifs et perdent leur estime de soi, ce qui se ressentira par une confiance fragilisée entre l’institution, le travailleur et l’usager.

Des compétences invisibles et ignorées

Si l’on suit le modèle néolibéral d’une entreprise, le travailleur du secteur non marchand est par définition “inutile” car il ne produit pas de bien matériel. Ses accomplissements caractérisés par leur immatérialité sont difficilement visibles auprès des responsables externes. C’est à peine si l’on tient compte de son rôle de conseiller et de défenseur de droits : “Les acteurs de terrain ne sont plus consultés dans les processus décisionnels : leurs compétences et leur expérience professionnelle sont niées. Ils doivent se contenter d’appliquer des plans d’action”, souligne Caroline Caliman. La robotisation du métier amène l’assistant social à devenir “telle une marchandise, interchangeable.” Les répercussions sont nombreuses, allant de la perte de confiance en soi et au manque de cohésion au sein du groupe jusqu’à une qualité amoindrie de l’accompagnement.

Néolibéralisme vs humanisme

Impuissant face aux injustices sociales dans une société qui opprime les minorités, le travailleur tombe vite dans la dépression. D’un côté, il est spectateur d’une humanité criant au désespoir. De l’autre, il est soumis à une autorité qui nie les droits des plus faibles. Il est alors tiraillé entre deux modèles : soit l’idéologie néolibérale imposée, soit son idéologie humaniste choisie par conviction.

En outre, son métier s’effectue dans des conditions de travail déplorables (matériel inadapté, bâtiments insalubres, locaux vétustes...) La crise sanitaire n’a fait qu’empirer les choses puisque le télétravail, et surtout la digitalisation, a brouillé les frontières entre la sphère professionnelle et privée, conduisant à un environnement de travail encore plus pénible. L’assistant joignable à tout instant sur internet n’a plus aucun moment de répit. Enfin, la pandémie a entravé le contact social, là où l’humain constitue le noyau même du métier.

Accepter ses limites

Toute cette violence institutionnelle engendre une réelle souffrance chez l’assistant social non seulement dans son métier (remise en question, sentiment de frustration, découragement...) mais aussi dans son bien-être (stress, insomnie, dépression...). Dès lors conscient de cette souffrance, le professionnel ne doit pas hésiter à se faire accompagner, à trouver d’autres formes d’épanouissement personnel, mais surtout à accepter ses propres limites car pour prendre soin des autres, il faut d’abord apprendre à prendre soin de soi.



Commentaires - 3 messages
  • Bonjour, je vous fait part ici de ma réaction à cet article en tant qu'ancien AS et dirigeant d'équipe de CPAS. "Cette situation dure depuis plus de 25 ans et a été aggravée par l'arrivée de l'informatique qui a séduit voire subjugué nombre de décideurs privés et/ou politiques ( ah! l'attrait du dossier social informatisé, des sacro-saintes statistiques; j'ai même entendu un président de cpas qualifier l'ordinateur de "3ème homme" (sic) faisant allusion à la relation AS/ Usager !!!) C'est vrai que de belles statistiques dans une note de politique sur le coup c'est génial.
    Qu'ils soient de gauche ou de droite tous succombent aux sirènes du "management" !
    Où se terre le côté humain de la chose ?
    Triste et révoltant cependant de constater l'indigence de la conclusion à cet article pourtant bien structuré et criant de vérité. Conclusion qui laisse la recherche de solutions exclusivement à charge du travailleur social alors même que quelques lignes plus haut la violence institutionnelle est clairement évoquée.
    Qui donc a charge d'aplanir les difficultés ? Uniquement celui qui les subit ?"

    Dirdir jeudi 17 septembre 2020 11:23
  • Cela fait plus de 20 ans que le Fédéral réduit les allocations sociales en envoyant au CPAS les exclus... MAIS en ne remboursant aux CPAS qu'une partie des allocations payées et une partie des frais de gestion : c'est intenable..... tant pour les CPAS que pour les fiscalités communales !!!
    Par ailleurs, les revenus des communes, liés aux revenus de ses habitants, sont inégaux . Les communes les moins riches, et les agglomérations, encaissent plus rapidement ce processus intenable...
    En clair, il faut d'urgence retirer le financement des CPAS des communes... et dans la foulée incorporer les impôts communaux dans un pot commun réparti selon les charges réelles !
    Conserver autant d'inégalités pour des services publics de base n'est pas digne d'une démocratie !!!

    FrançoisP samedi 19 septembre 2020 09:17
  • FrançoisP Je cherche vainement le rapport entre votre commentaire et le sujet de l'article !

    Dirdir lundi 21 septembre 2020 23:03

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