Accord non-marchand wallon : "Pour un après-COVID différent ?"
L’accord non-marchand wallon 2021-2024 est désormais bouclé. Au menu : 260 millions d’euros pour engager du personnel et augmenter les salaires. Le gouvernement juge cet accord « historique ». Mais qu’en pensent les acteurs de terrain ainsi que l’opposition ? Stephanie Paermentier, secrétaire nationale non-marchand de la CNE, livre son analyse au Guide Social.
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Pour un après-COVID différent ?
Pour les syndicats du Non Marchand, c’est 1000 X OUI ! D’ailleurs, beaucoup se sont prononcés, et ce dès le début de la crise, pour un retour à « l’a-normal », plaidant l’opportunité sociétale et politique d’infléchir le sens collectif de notre société vers plus de justice sociale et plus de solidarité, pour plus de bien-être.
Nous revendiquons avec force et détermination un refinancement structurel des fonctions collectives, qui nécessite une remise en question fondamentale de la suprématie de l’économique sur la recherche de ce bien-être collectif.
Pour cela, il est indispensable de rendre les métiers plus attractifs (l’attractivité des métiers du Non Marchand étant encore plus en perte de vitesse depuis la crise, celle-ci ayant mis en lumière leur pénibilité inhérente) et les carrières tenables.
Le Non Marchand et ses travailleurs ont un rôle central à mener ces prochains mois. Ils doivent être prêts à relever ce challenge. Qui mieux que ces professionnels peuvent proposer expertise, connaissance, professionnalisme pour permettre à la société de ne pas rater, dans le cadre du déconfinement, la nécessaire cohésion sociale ? Pour ne laisser personne sur le bord du chemin, particulièrement les plus fragiles ?
C’est l’essence-même, l’identité du Non Marchand.
Le budget ambitieux décidé en juillet 2020 par le Gouvernement wallon et concrétisé par l’accord-cadre signé ce 27 mai, doit permettre de répondre à cet enjeu de revalorisation pour tous les secteurs concernés : l’aide à domicile, le handicap, les maisons de repos, l’ambulatoire, l’insertion…
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Des héros et des héroïnes du quotidien ?
Que penser des applaudissements à l’attention du personnel soignant ?
D’une part, le processus d’héroïsation apparu dans le discours médiatique relevait d’une intention de dramatisation. Utiliser ce vocabulaire, c’est amener une image complètement tronquée de la réalité quotidienne, et cela masque la nécessité de concrétiser des mesures de reconnaissances, passant par des décisions budgétaires ambitieuses. (Sans parler du sacrifice du héros : quand il meurt, on verse une larme, et puis c’est tout.)
Par ailleurs, le personnel des Maisons de Repos (enfermé, parfois au sens strict du terme, dans leur citadelle, croyant ainsi protéger leurs résidents) n’a pas été applaudi, ni les aides-familiales continuant à accompagner les personnes âgées isolées à leur domicile. Encore moins les éducateurs encadrant les personnes handicapées hébergées en collectivité. Ces applaudissements aux métiers les plus « populaires » du Non Marchand, appuyés et renforcés par un discours médiatique ne laissant aucune place aux autres, a renforcé leur sentiment d’être totalement invisibles.
Pourtant, le Non Marchand est multiple, avec des métiers divers, tous contribuant au maintien du service de qualité rendu au bénéficiaire (de l’éducateur à la cuisinière, de la garde-malade à l’ouvrier technique, ou encore le psychologue en santé mentale par exemple).
Et tous travaillent avec des personnes. Et s’ils sont héros, ce n’est ni nouveau ni lié à la crise.
La question de la protection a été posée de façon massive lors de la première vague. Le personnel, les bénéficiaires et les familles étaient autant de groupes qui devaient faire l’objet d’une protection spécifique. De ce point de vue, ce fut un échec politique désastreux.
Rétroactes - Juin 2020
Le personnel des secteurs du Non Marchand sort à peine de cette première vague violente, inattendue. Il est marqué dans les corps et les esprits : les souvenirs vifs et douloureux des décès, le manque de matériel de protection, les processus de travail alourdis, la peur chevillée au ventre au quotidien, l’intensité des rythmes de travail. Tout ce qui a impacté tous les métiers de ces secteurs dits « essentiels ».
Dans le cadre d’une campagne intitulée #rendonsvisibleslesinvisibles , #onsensouviendra, la CNE tente de mettre en lumière le caractère essentiel de ces secteurs NM ayant continué à travailler, vaille que vaille, ainsi que la colère ressentie sur le terrain.
Va-t-on enfin reconnaître le caractère essentiel de leurs missions réalisées au quotidien vis-à-vis des citoyens les plus fragiles ?
Le mal-être palpable ressenti par le personnel des secteurs du Non Marchand existe depuis de nombreuses années et s’illustre de diverses manières : perte de sens et de motivation, burn-out, sous-effectif exponentiel, flexibilité accrue, perte d’attractivité des métiers,… Bref, un cocktail qui a amplifié le risque de la détérioration de la qualité du service rendu à la population tout en épuisant dramatiquement les professionnels.
La nécessité de revaloriser ces métiers (tous les métiers) est affirmée et revendiquée depuis de nombreuses années par les organisations syndicales représentatives des travailleurs.
Notre capacité à peser collectivement existe pourtant bel et bien.
En mai 2020, après un mouvement de grève et de colère mené par les collègues des soins de santé contestant fermement l’Arrêté De Block sur la « réquisition du personnel soignant », le gouvernement Fédéral décide du retrait de cet arrêté. Et en juillet c’est le dégagement d’un budget ambitieux (en plus du Fonds Blouses Blanches) pour revaloriser les salaires, améliorer les conditions de travail.
Les autres niveaux de pouvoir ne pouvaient pas rester à la traîne : les syndicats du Non Marchand revendiquent depuis les années 2000 (et les accords historiques qui ont été conclus à ce moment-là) le principe d’harmonisation à travers ces secteurs relevant de gouvernements différents.
Piqûre de rappel : Les accords du Non Marchand, kesako ?
Les 1ers accords Non Marchand, visant l’harmonisation sur le secteur hospitalier, ont été conclus sur base d’un cahier de revendications commun à tous les secteurs. Ils ont donc surtout joué un effet d’entraînement pour les « petits » secteurs.
Le principe : négociation d’un accord-cadre tripartite (syndicats/employeurs/gouvernement) sur base d’un cahier de revendications syndical (les accords sociaux nous appartiennent ! voir ci-dessous : Iles employeurs « coucous ») pour obtenir un budget qui permettra la conclusion de conventions collectives de travail d’améliorations des conditions de travail et salariales.
Depuis 2000, les différents accords Non Marchand ont toujours eu pour objectif de poursuivre une harmonisation par rapport au secteur des hôpitaux.
Le temps (long) des négociations, et finalement la signature des accords 2005-2009-2011-2013, ont déjà montré la difficulté de maintenir un rythme identique selon les différents niveaux de pouvoir. Chaque accord est le reflet de la réalité propre à chaque niveau de pouvoir, de la volonté des politiques, de l’état du front commun syndical et de la capacité de mobilisation.
Au fil du temps, les intérêts particuliers des interlocuteurs se sont exprimés et se révèlent parfois antagonistes. Plus grave, certains accords ont été, pour les employeurs, une occasion (réussie) d’introduire leur propre cahier de revendications et d’obtenir une part du gâteau (parfois bien maigre) ?
La régionalisation effective des secteurs a aussi eu un impact réel sur la volonté d’harmonisation.
En 2019, en Région wallonne, il aura fallu 2 ans de négociations pour aboutir à un accord insatisfaisant (30 M° € pour une maigre augmentation de la prime de fin d’année).
En 2020, la convergence de 2 opportunités (le budget ambitieux dégagé au niveau Fédéral, ainsi que les impacts de la crise Covid sur les travailleurs et sur l’opinion publique) nous a amenés à enfoncer les portes : les cahiers de revendications sont introduits dans les entités fédérées. Il est urgent de rendre les métiers attractifs et les carrières tenables.
Des actions syndicales sont menées (cérémonie du travailleur inconnu, actions kayaks, etc…).
Un budget historique de 260 M° € : pour qui et pour quoi faire ?
Le 18 juillet 2020, la Région wallonne annonce un budget global de 260 M° €, phasé sur 4 années (100 M° en 2021, 150 M° en 2022, 200 M° en 2023 pour un budget total et structurel de 260 M° en 2024).
Le banc syndical a 3 exigences : sur base des seules revendications du personnel ; pour tous les métiers et tous les secteurs ; dans l’objectif d’harmonisation susmentionné. En résumé : casser le cercle vicieux dans lequel nous sommes plongés depuis quelques années.
Un autre enjeu conséquent de la dernière réforme de l’Etat : implémenter dans les secteurs transférés (Maisons de repos, Revalidation, Maisons de soins psychiatriques) la nouvelle classification de fonctions IFIC (en vigueur à 100% dès le 01-07-21 au Fédéral), afin d’éviter la fuite du personnel soignant vers les structures et services relevant du Fédéral.
Les discussions intersectorielles débutent en décembre 2020 ; les réunions s’enchaînent, permettant de finaliser l’accord-cadre signé ce 27 mai 2021.
Celui-ci prévoit l’implémentation des barèmes IFIC dans les secteurs transférés dès le 1er juillet 2022 (110 M° € estimés), ainsi qu’une répartition des budgets entre secteurs afin de concrétiser les mesures qualitatives et de revalorisation des salaires. Le texte prévoit également « un accord non marchand finalisé qui reprendra, sur base des rapports des discussions sectorielles, les mesures précises d’harmonisation dans le cadre desquelles les conventions collectives de travail négociées dans les secteurs s’inscrivent ».
Un bon début, pas une fin !
Sans en minimiser l’importance (du contenu et de la méthode utilisée), l’accord est avant tout une base solide qui permet aux négociateurs sectoriels d’avancer sur les mesures d’amélioration, tout en gardant l’objectif d’harmonisation poursuivi depuis les années 2000.
Les mesures concrètes sont en cours de négociation, dans le respect strict des balises syndicales : priorités aux bas salaires ; de l’emploi en plus pour diminuer l’intensité du travail ; des mesures fins de carrière.
Nous espérons la conclusion des CCT d’ici l’été
Rappelons, en guise de conclusion, l’absolue nécessité, en ces temps individualistes où les corporatismes nuisent gravement à la santé, de se réapproprier les outils de solidarité : la concertation sociale et le rapport de force du personnel de terrain, tous métiers confondus.
Stephanie Paermentier
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