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Aide à la jeunesse : la légitimité des revendications des SAJ et SPJ… Aller un pas plus loin !

01/08/23
Aide à la jeunesse : la légitimité des revendications des SAJ et SPJ... Aller un pas plus loin !

En juin dernier, les Services d’Aide à la Jeunesse (SAJ) et les Services de Protection de la Jeunesse (SPJ) ont décidé d’un mouvement de grève autour de deux revendications essentielles : la garantie d’un cadre professionnel suffisant au sein des SAJ et SPJ permettant l’accompagnement adéquat des enfants, des jeunes et des familles d’une part, et d’autre part, la création de nouvelles places structurelles pour assurer au mieux le suivi des jeunes en difficultés. | Une carte blanche de Marc Chambeau, enseignant à Cardijn (Helha).

La première revendication est d’une telle évidence pour qui s’intéresse un peu au secteur de l’aide à la jeunesse. Cela fait des années que les délégués des différents services du pays sont surchargés de dossiers ce qui les empêche trop souvent et à leur corps défendant, d’assumer au mieux leurs missions d’accompagnement des enfants, des jeunes et de leurs familles, pour les aider, parfois à surmonter un moment difficile et d’autres fois pour assumer avec d’autres services de l’aide à la jeunesse un suivi à plus long terme. La surcharge de travail entraine des absences qui augmentent encore cette surcharge sur d’autres têtes. Le cercle est vicieux et connu, mais sans réponse satisfaisante depuis bien trop longtemps. Et c’est au politique de faire sa part à propos de cette revendication.

Si la seconde revendication rencontre une certaine évidence également, elle mérite cependant d’être analysée en tenant compte de la complexité qui se cache derrière l’apparente simplicité d’une demande : « Il faut plus de places ».

Sans doute que par rapport à cette seconde revendication, le politique a aussi à faire sa part. Sans doute que les SAJ comme les SPJ, mais probablement aussi certains juges de la jeunesse ont à faire leur part également. Et sans doute que d’autres institutions sociales doivent aussi assumer leurs responsabilités. 3 éléments méritent particulièrement l’attention.

1. "Ces principes de précaution sécuritaire et de confort organisationnel perturbent la gestion de cette grosse machinerie qu’est l’aide à la jeunesse"

Le travail social et l’aide à la jeunesse en particulier, sont évidemment tiraillés entre l’aide et l’accompagnement d’une part et parfois, la nécessité d’un contrôle qui garantirait le respect de mesures qui paraissent adéquates à celles et ceux qui les ont décidées. Le fondement reste cependant l’aide, parfois accompagnée d’un contrôle nécessaire pour, par exemple, protéger un enfant qui vivrait dans un milieu que l’on pourrait considérer insécure.

Parfois, c’est pourtant le principe de précaution sécuritaire qui prévaut. Plutôt que d’envisager la meilleure solution dans l’intérêt de l’enfant et peut-être de sa famille, la proposition va dans le sens d’une dimension renforcée du contrôle qui rassurera le décideur. Cette décision pour apaisante qu’elle soit pour les professionnels ne sera pas nécessairement celle qui aurait convenu à l’évolution de l’enfant ou du jeune et à l’accompagnement le plus en rapport à ses besoins et à ceux de ses parents.

Cette attitude n’amène pas les conséquences positives attendues pour cet enfant qui se retrouve dans un milieu et encadré par une mesure qui ne lui sont pas adaptées. Mais elle est également problématique pour d’autres jeunes, puisqu’elle enlève une place disponible pour ces autres jeunes auxquels elle aurait pu correspondre.

Lire aussi : Immersion dans les familles défaillantes : « Le but de Ricochet ? Eviter le placement ! »

Ajoutons parfois à ce principe de précaution sécuritaire, le principe de confort organisationnel qui amène certains services de l’aide à la jeunesse à faire le choix d’une prise en charge d’un jeune peut-être moyennement adapté au cadre proposé, mais qui, de par son profil, pourrait amener moins de problèmes qu’un autre jeune mieux conforme cependant au profil défini par les missions du service. Entre le principe de confort organisationnel et le choix pédagogique qui permet de structurer au mieux un groupe d’enfants ou de jeunes, la limite peut être délicate à tracer. Et il ne revient pas à un observateur extérieur de nécessairement faire l’évaluation de l’adéquation. Il revient cependant au service et à l’équipe de professionnels d’avoir l’éthique nécessaire pour faire les choix qui amèneront le plus de concordance entre les missions et les jeunes accueillis ou accompagnés, même si c’est au détriment d’un confort de travail.

Ces principes de précaution sécuritaire et de confort organisationnel perturbent la gestion de cette grosse machinerie qu’est l’aide à la jeunesse en attribuant donc à des jeunes, des places qui ne devraient par leur revenir ce qui amène alors pour d’autres, l’impossibilité d’y accéder. L’existence de ces principes délétères à la machinerie (mais aussi à certains jeunes) n’est pas de la responsabilité première des politiques.

2. Un manque de solutions...

Le constat fait par les professionnels des SAJ et SPJ est sans doute correct. Face aux situations rencontrées, il existe un manque de solutions. Des places en hébergement par exemple. Mais des places dans des services d’accompagnement en famille également. Peut-être faudra-t-il faire de nouvelles propositions d’ouverture. Mais avec une extrême vigilance particulière face à un phénomène connu.

Face à des situations qui inquiètent, si on propose des solutions simples, voire simplistes, elles trouveront acquéreurs. Il est connu que plus on crée de places dans les prisons, plus on les remplit. Plus on va proposer de places dans l’aide à la jeunesse, plus on va les utiliser. Et plus ces places seront contrôlantes plus elles risquent d’intéresser ceux qui s’inquiètent que leurs propres normes, celles qu’ils ont tendance à édicter, ne soient pas respectées. Il faut répondre aux attentes les plus objectivables possibles pour que les enfants et les jeunes puissent être soutenus par l’aide à la jeunesse quand ils en ont besoin.

Il faut absolument éviter de répondre aux attentes des professionnels de l’aide à la jeunesse et des professionnels périphériques qui estiment trop souvent qu’une bonne mesure, celle qui les rassure, c’est au mieux une mesure qui contrôle largement, au pire, une mesure qui éloigne de la famille. Il revient une fois de plus à ces professionnels de se regarder dans le miroir et de se poser la question : « Je prends cette décision parce qu’elle est dans l’intérêt du jeune ou parce qu’elle satisfait mon confort personnel » ?

Lire aussi : Aide à la jeunesse : la formation continue est-elle suffisante pour les professionnels ?

3. "Parce qu’on place encore pour raison de pauvreté en Belgique. Beaucoup. Beaucoup trop"

Ça a été claironné sur tous les toits de la Fédération Wallonie-Bruxelles au moment de la mise en place du décret relatif à la jeunesse de ’91 : « On ne place pas pour raison de pauvreté ». Cela se crie moins fort aujourd’hui. Parce qu’on place encore pour raison de pauvreté en Belgique. Beaucoup. Beaucoup trop. On peut parfois comprendre les services qui ne trouvent pas d’alternatives pour sortir des enfants de situations très précaires. On peut le comprendre, mais peut-on l’admettre ?

Certaines le répètent chaque année lors de l’émission caritative de la radio publique juste avant les fêtes de fin d’année, la précarité des enfants, c’est d’abord la précarité des familles et donc des parents. Nombreuses sont les associations qui travaillent avec ces familles pauvres et qui rappellent combien la volonté d’être des bons parents est importante. Qui rappellent également que ces familles se rendent souvent compte de leurs difficultés d’éducation, mais sont demandeuses d’une aide. D’une aide dans leur volonté d’être de bons parents, pas de décisions qui cassent violemment ce qu’ils ont difficilement tenté de mettre en place.

Les services de l’aide à la jeunesse sont confrontés de manière permanente à la précarité des familles. Ils se sentent désarmés le plus souvent. Il faut se rappeler et exiger que ce n’est pas aux services de l’aide à la jeunesse de travailler sur le fond des problématiques de précarité et de pauvreté. Il leur revient peut-être de dire cette pauvreté et le mal qu’elle produit sur les enfants qui arrivent chez eux. Mais d’autres services existent qui doivent faire leur part. Les CPAS doivent accompagner ces parents d’enfants et de jeunes qui sont confrontés à la pauvreté et qui de ce fait se retrouvent en incapacité d’éducation attendue par les services d’aide à la jeunesse. Peut-être (sans doute) que si ces familles étaient suffisamment aidées dans leur combat contre leur pauvreté, elles seraient bien plus compétentes pour élever leurs enfants. Peut-être que les services d’aide à la jeunesse resteraient nécessaires, mais dans une logique bien moins prégnante, bien moins normative et bien moins contrôlante.

Il faut soutenir les revendications des Services d’aide à la jeunesse

Il faut améliorer largement le cadre professionnel qui leur permettra de vraiment rentrer dans les dossiers dont ils ont la charge, construire un accompagnement dans la collaboration avec les enfants, les jeunes et les parents. Sans doute qu’il faut aussi augmenter le nombre de places disponibles à ces services pour qu’ils puissent orienter au mieux les jeunes et les familles qui viennent à leur rencontre.

Mais il ne sera éthiquement pas possible d’augmenter ce nombre de places sans que ne soient davantage requestionnés les liens entre les décisions de ces services et la précarité ou la pauvreté. Il ne sera pas éthiquement possible d’augmenter ce nombre de places sans que les professionnels ne se posent cette question nécessaire : « Cette décision, je la prends pour ce gosse ou pour mon confort personnel, pour être rassuré et protégé » ? Et si l’on augmente le nombre de places, il faudra que ce soit en conscience, en absolue conscience, qu’une place ouverte sera une place occupée, quoiqu’il en soit de la nécessité pour un enfant ou un jeune de l’occuper.

Et puis, il faudra aussi que le politique fasse sa part… En toute intelligence des réalités évoquées ci-dessus.

Marc Chambeau
Enseignant à Cardijn (Helha)



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