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Fermeture des hotels solidaires : où s'arrêtera l'indignité des politiques publiques en matière de logement ?

22/06/21
Fermeture des hotels solidaires : où s'arrêtera l'indignité des politiques publiques en matière de logement ?

La fermeture progressive des hôtels solidaires (hôtels mis à disposition des personnes sans abri depuis le début du confinement) provoque la colère du Front Anti-Expulsions. Un texte coup-de-poing a été rédigé par des membres du groupe, indignés par une telle mesure.

S’il y a une chose dont le gouvernement bruxellois s’est bien vanté récemment en matière de logement, c’est d’avoir mis à disposition des chambres d’hôtel pour des personnes sans abri : plus de 900 places au début de l’année 2021*. On était encore en confinement. C’était l’hiver. La population bruxelloise était protégée des expulsions par un moratoire - même si on dénombrait déjà 5.400 personnes sans domicile dans la ville.

Depuis le début du mois de mai, on fête la "relance". La relance de tout et n’importe
quoi, même la relance des expulsions. Et en effet, à peine le gouvernement bruxellois met-il fin au moratoire que les expulsions reprennent. Cela fait des mois qu’avec une décision de justice favorable sous le bras, propriétaires et huissiers, trépignent d’impatience dans l’attente de ce moment. Et voilà que dans le même temps, le gouvernement réduit le nombre de places dans les hôtels. Un plus grand nombre de personnes dehors, et toujours moins de place pour les loger. Là-dessus, le silence politique et médiatique est assourdissant.

 Lire aussi : Un père salarié et à la rue avec sa fille : "un casse-tête" pour les travailleurs sociaux

Où vivent désormais les occupant.e.s des 500 chambres fermées aux personnes sans-abri ?

Certes, on a pu lire dans un article daté du 1er juin que "Deux cents sans-abri quittaient les hôtels bruxellois qui les hébergeaient". Vous noterez l’euphémisme qui cache une réalité bien plus sordide : dans cette histoire, la personne sans abri n’est pas le sujet agissant, il ne "quitte" rien du tout, c’est le gouvernement qui, par voie de conséquence, les jette littéralement à la rue. Aujourd’hui, il y a à peine plus de 400 places restantes dans les hôtels, et à partir du 1e juillet il en restera moins de 200 sur les 900 qui étaient comptabilisées au début de l’année : où vivent désormais les occupant.e.s des 500 chambres fermées aux personnes sans-abri ? Ou vivront les 200 autres qui en seront expulsés à la fin du mois ?

En tant que collectif d’habitant.e.s tentant d’organiser une auto-défense face aux
expulsions domiciliaires, le Front anti-expulsion n’a pas d’autres ressources que l’énergie des personnes qui s’y rejoignent et cherchent à s’entraider. Il se trouve que depuis quelques mois, et à un rythme de plus en plus soutenu, le Front Anti-expulsion est contacté par des personnes dans des situations parfois terrifiantes : il y a par exemple, cette mère et ses deux enfants de 11 ans expulsées au début du mois de juin sans solution de relogement avant même la fin de l’année scolaire ; ou bien, ces deux personnes assez âgées qui ont survécu à une menace permanente
d’expulsion pendant un an alors que le gouvernement ne daignait pas prolonger le moratoire autrement que par à-coups, des personnes qui auraient grand besoin d’une aide sociale et psychologique et qui, au lieu de cela, se voient expulsées ; ce sont encore à travers la ville des habitant.e.s harcelé.e.s par le propriétaire des lieux qu’ils et elles occupent alors que leur logement est un taudis ; des travailleurs et travailleuses sans papiers, qui occupent avec leurs enfants scolarisés des lieux laissés vides par de riches propriétaires, menacées d’expulsion en permanence** ; ce sont, des étudiant.e.s qui n’ont pas les moyens de payer un loyer et occupent
des appartements vides quitte à devoir déménager tous les six mois pour éviter les poursuites ; etc....

Tout cela se passe quotidiennement à Bruxelles. Et ce ne sont là que quelques histoires, parmi celles qui nous parviennent. L’essentiel de ces témoignages est parfois écouté et entendu, raconté et transmis, par des travailleurs et travailleuses sociales, qui n’ont ni temps ni moyens à la hauteur de la situation : devant cette impasse, l’épuisement et la perte de sens ne trouvent d’autre exutoire que les congés maladie à répétitions, les burn-out, ou la démission.

 Lire aussi : Dénombrer les personnes sans-abri et sans chez-soi pour parvenir à des solutions efficaces

Les CPAS ne parviennent pas à venir en soutien de la population la plus précaire face à l’immensité du problème

A plusieurs reprises, des travailleur.euse.s du CPAS ont contacté le Front anti-expulsion, pour imaginer des solutions, demander de l’aide pour des personnes qui viennent les voir. Qu’est-ce que cela raconte ? Que les CPAS ne parviennent pas à venir en soutien de la population la plus précaire face à l’immensité du problème du logement à Bruxelles, ou (selon les communes) ne se donnent pas les outils pratiques pour y faire face.

Le Front compte aussi des travailleurs et travailleuses sociales, employé.e.s dans des
structures associatives plus ou moins subsidiées. A toutes, on demande l’impossible : trouver une place pour permettre aux personnes expulsées de se reloger. Sauf que de la place, il n’y en a plus. En tous cas, pas pour "ces gens-là". Et c’est pour des raisons bien précises : le fonctionnement du marché du logement ; des propriétaires, parfois racistes, qui refusent les allocataires des CPAS, refusent des personnes seules avec des petits revenus, et qui entendent bien - pour nombre d’entre eux - profiter de la hausse des prix des loyers, devenus exorbitants à Bruxelles. Mais c’est aussi parce que le gouvernement bruxellois, la région, les communes,
ont choisi de faire place nette pour privilégier des projets menés par de gros promoteurs immobiliers***. Conséquence : les prix flambent et toute une partie de la population est priée de déguerpir.

 Lire aussi : Sans-abrisme : bientôt deux nouveaux Relais Sociaux en Wallonie

Résumons. Des responsables politiques ferment les hôtels, d’autres accordent les permis de construire aux promoteurs immobiliers, d’autres enfin se refusent depuis des années à mettre en place une politique ambitieuse de logement social, de réquisition de logements vides, et de gel voire de baisse des loyers. A quand une politique qui prenne au sérieux le droit au logement et qui se donne les moyens de contrôler l’évolution des loyers ? Au lieu de cela, le gouvernement s’en remet aux services sociaux pour réparer la casse. Avec des bouts de ficelle.

Alors soit les personnes que cette ville écrase et expulse se pendent avec, soit on s’en sert pour tisser les liens qui nous permettront de résister à la déshumanisation en cours, en renversant l’ordre des choses. Si nous ne nous sommes pas laissé.e.s étouffer par la gestion catastrophique de cette crise sanitaire, ce n’est pas pour accepter qu’on écrase et qu’on expulse toujours plus, mais bien pour
réapprendre à cohabiter en refusant la honte et l’indignité de ce monde et de ceux qui le dirigent. Nous entendons habiter Bruxelles en y tissant les liens de solidarité que d’autres tentent de détruire.

Des membres du Front Anti-Expulsions

Savoir plus :

Références :
* A propos des 900 places en début d’année :
https://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/detail_plus-de-900-sdf-heberges-dans-des-hotels-bruxellois-depuis-janvier?id=10742329 et des 200 places qui ont fermé fin mai :
https://www.rtbf.be/info/regions/detail_deux-cents-sans-abris-ont-quitte-les-hotels-bruxellois-qui-les-hebergeaient?id=10774276
** Cela a même été le cas il y a quelques jours à l’ULB où la police est arrivée pour expulser
des grévistes de la faim. Une mobilisation de soutien lancée dans les minutes qui ont suivi a
poussé l’ULB retirer (pour l’instant) sa demande d’expulsion.
*** Interview de Mathieu Van Criekingen sur la RTBF :
https://www.rtbf.be/info/regions/detail_contre-la-gentrification-lorsque-bruxelles-se-transforme-au-detriment-des-quartiers-popula




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