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Tout au marché car tout est marché ?

14/03/18
Tout au marché car tout est marché ?

Le 26 avril prochain, l’équipe et le conseil d’administration du Conseil bruxellois de coordination sociopolitique ASBL (CBCS) convient les quelques 160 associations membres, actives dans les secteurs du social (au sens large) et de la santé en Région de Bruxelles-Capitale, à une assemblée générale un peu particulière : au-delà du ronron administratif (approbation des comptes et autres), l’exercice constituera à se projeter en 2025 : quid à ce moment du public (usagers/bénéficiaires/patients) que nous toucherons ? Comment serons-nous financés ? Comment nous serons-nous - ou aurons-nous été – (ré)organisés ? …

Le contexte politique et économique ne pousse pas à l’enthousiasme. Il s’agira pour nous d’en prendre la mesure, et, au-delà, d’orienter en conséquence les activités de notre plateforme associative.
Un problème d’argent ?

On entend souvent dire que les pouvoirs publics désinvestissent le secteur social-santé. Il faut nuancer : les programmes budgétaires alloués à nos secteurs ne diminuent pas, que du contraire. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur les budgets des entités fédérées, ils sont publics.

Bien entendu, il faut aussi tenir compte de coûts périphériques, mais incontournables au bon fonctionnement d’une association pour lesquels la subsidiation s’érode : les aménagements de fin de carrière, les aides à l’emploi, la liste des dépenses admise comme justifiable… Ne perdons pas non plus de vue le niveau macro : en 2015, une enquête de la Fondation Roi Baudouin concluait que la « râpe à fromage » budgétaire des pouvoirs publics faisait mal aux associations.

Ce que l’on est en droit d’affirmer, c’est que les financements publics ne correspondent plus aux besoins de la population et demandes adressées aux services. L’hyper-saturation des services trouve sa source principale dans les conséquences sur la population des politiques d’austérité devenues permanentes. Le rouleau compresseur néolibéral écrase activement l’Etat social.

Les rapports sectoriels 2017 des différentes fédérations de services ambulatoires pointent la précarisation croissante du public et la complexité des demandes qui découlent de la pauvreté mais aussi de notre société multiculturelle et globalisée, et la régression des législations en matière d’accessibilité des droits sociaux. Ils dénoncent la prévalence du paradigme social-sécuritaire : après avoir été défini comme opprimé (années 1960 et 70) et précaire (années 1980 et 1990), le bénéficiaire d’allocations sociales est aujourd’hui stigmatisé comme assisté et le travailleur social n’est autre que son avocat, dans un climat de suspicion généralisé.

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Une question idéologique !

Nous sommes aujourd’hui encore bien plus qu’hier soumis à la gestion (néo)libérale du bien commun. Cette idéologie autorise tout individu « à ne se sentir lié que par ce qui l’arrange, quand ça l’arrange et tant que ça l’arrange ». Tout au marché, car tout est marché. Les agissements individuels se réguleraient naturellement et les inégalités sociales et économiques seraient en grande partie causées par l’interventionnisme étatique. Les arguments démontrant l’ineptie de cette pensée sont évacués comme rétrogrades, et ceux qui les portent désignés comme horde hirsute de gauchistes dépassés par leur temps. La technique pour réduire « l’interventionnisme de l’Etat » est connue : on vote des budgets sciemment insuffisants tout en surestimant les recettes, pour en dénoncer ensuite les dépassements et réclamer de nouvelles économies.

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Sommes-nous des marchandises lorsque nous franchissons les portes d’un hôpital ? Sommes-nous des déchets qu’il faut nettoyer lorsque, fuyant les guerres et les famines, nous n’avons pas les papiers requis pour arpenter les rues bruxelloises ?

D’ailleurs, l’appellation « Non-Marchand » vit probablement ses derniers mois. La réforme du code des sociétés voulue par l’actuel gouvernement fédéral et qui, sous couvert de simplification technique, vise à y intégrer les ASBL et fondations doit s’analyser sous l’angle idéologique avant tout : la seule différence entre une association à finalité sociale et une société commerciale serait l’affectation de ses recettes, soit une distinction opérée à partir des activités et non de l’objet social. Faire disparaître la spécificité du but des associations revient à mettre sur pied d’égalité des entreprises commerciales qui ont pour objet la maximisation des profits pour les rétribuer aux détenteurs du capital et les associations qui ont pour principal objectif de maximiser l’efficience de leurs moyens pour atteindre leur objectif social désintéressé. Le simple fait qu’aucune étude d’impact sur les recettes de l’Etat n’ait été réalisée avant le dépôt du projet est significatif.

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Ajoutons à cela la justice de classe, la priorité donnée à la lutte contre la fraude sociale sur la fraude fiscale, la restriction des libertés individuelles d’une partie de la population pour raison sécuritaire … Le tableau révèle de sombres couleurs.

Dans ce contexte, la recherche effrénée de l’efficience pousse les pouvoirs publics à privilégier des façons de faire qui assurent l’équilibre financier plutôt que l’intérêt public ou les plus-values collectives, et à préférer les références techniques aux repères idéologiques.
Aux antipodes de la « liberté subsidiée » (L’Etat subventionne des organisations sur base de leur finalité et missions, définies ensemble, et coconstruit avec elles la manière de les remplir), le modèle de gouvernance est la sous-traitance, le financement par thématique et projet, ce qui demande au service subventionné plus de temps pour monter des dossiers et les justifier, là où un seul rapport d’activité global et une comptabilité par service pourraient amplement suffire.

Ce modèle de gouvernance laisse peu de place à l’innovation, renforce le conformisme.

Bien heureusement, la contestation citoyenne s’amplifie pour refuser ce modèle de société où tout est marchandise, et des projets ambitieux, tels les groupements associatifs, voient le jour.

Espérons que ce sera suffisant, et qu’il n’est pas déjà trop tard.

Alain Willaert, CBCS ASBL



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