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Accueil de la petite enfance : la relation de confiance avec les parents

10/12/24
Accueil de la petite enfance : la relation de confiance avec les parents

Travailler dans le secteur de l’accueil de la petite enfance, c’est non seulement prendre soin des bébés et jeunes enfants avant leur entrée à l’école, mais c’est aussi oeuvrer à tisser une indispensable relation de confiance avec leurs parents. La seconde tâche se révélant souvent plus ardue que la première !

[Dossier] :
Episode 1 : Le secteur de la petite enfance sous tension : la parole au terrain
Episode 2 : Accueil de la petite enfance : en quête de reconnaissance
Episode 4 : Le quotidien du travail en crèche

Le Guide Social a rencontré deux professionnelles de l’accueil de la petite enfance. Toutes deux travaillent en crèche. Chloé a 49 ans, elle est puéricultrice depuis 25 ans, en crèche communale, en milieu urbain. Noémie a 38 ans, éducatrice spécialisée de formation, elle s’est reconvertie il y a 2 ans et travaille en crèche communale, en milieu rural. Pour l’une comme pour l’autre, les relations avec les parents des enfants accueillis sont généralement positives, même si l’indispensable lien de confiance est parfois difficile à tisser.

Relations crèche-parents : entre confiance, conseils et incompréhensions

Le Guide Social : Comment se passent globalement les relations avec les parents des enfants ?

Chloé : De manière générale, ça se passe plutôt bien. Nous ne nous occupons pas du tout du volet administratif, donc nous n’avons aucune infos sur leur situation financière, professionnelle, etc. Rien ne filtre et ça évite les ragots. Bien sûr, certaines de mes collègues sont curieuses et posent des questions aux parents, mais on ne sait que ce qu’ils nous disent. On est une crèche de quartier, mais finalement, on ne connaît pas vraiment les parents, surtout que nous-mêmes n’habitons pas nécessairement le quartier où on travaille. Globalement, les relations avec les parents se passent plutôt bien. On donne des conseils, on rassure et eux-mêmes sont en demande de ça ! Ils nous perçoivent beaucoup plus comme des partenaires au niveau de l’éducation de leur enfant qu’avant, où on était des « gardiennes ». Avec le temps, je vois aussi une plus grande implication des pères, et ça c’est chouette ! En général, ils sont plus relax que les mères, ça se passe très bien avec eux.

Noémie : De manière générale, ça se passe bien aussi. Ce qui est parfois compliqué, c’est de gagner la confiance des parents, mais lorsqu’ils voient qu’on est attentive au bien-être de leur enfant, c’est gagné. L’avantage aussi de travailler dans une petite commune à la campagne, c’est qu’on connaît tout le monde, et pour moi, ça facilite les choses, c’est rassurant aussi pour les parents. Pour nous aussi, ça nous permet de comprendre certaines choses, on connaît les familles.

Le Guide Social : Après, ça n’empêche pas les conflits.

Noémie : Par exemple, souvent, les parents croient qu’on veut « se débarrasser » de leur enfant au moindre petit rhume ou bobo lorsqu’on les appelle pour leur demander de venir le chercher ou qu’on leur explique qu’il ne pourra pas venir tant qu’il n’est pas guéri. Ils ne comprennent pas que nous avons des normes à respecter au niveau de l’accueil et qu’avec telle maladie ou tels symptômes, l’enfant ne peut pas rester. Ils ne comprennent pas toujours non plus lorsqu’on leur signale que l’état général de leur bébé n’est pas top, même s’il n’est pas malade. On ne veut pas s’en débarrasser, on est juste attentives à leur bien-être, à leur état général, au groupe également, à la santé de tous. Mais parfois, on a l’impression que les parents ne comprennent pas. C’est sûr que ça vient perturber leur organisation au niveau du boulot, mais ça fait partie de la réalité de la vie avec un bébé : au début, ils sont tout le temps malades et il faut apprendre à s’organiser avec ça, avoir des solutions alternatives !

Conflits en crèche : jongler entre attentes familiales et réalité collective

Le Guide Social : Comment gérez-vous les conflits avec les parents ?

Noémie : Ce n’est pas toujours facile… En équipe, on a chacune nos affinités avec les parents, alors on s’arrange aussi entre nous en fonction de ça, quand il s’agit d’aborder des sujets plus délicats. On essaie que ce soit une avec qui ça passe mieux qui le fasse… Pour le reste, normalement, toutes les communications officielles, les adaptations de règlement, d’horaires, etc : tout cela doit être communiqué par la direction. Le problème, c’est qu’elle ne le fait pas toujours, ou alors pas de manière adéquate et c’est sur nous que ça retombe. C’est à nous que les parents posent des question, ou c’est chez nous qu’ils râlent.

Sinon, d’autres sources de conflits viennent du fait qu’à la crèche, on ne sait pas faire comme à la maison. Certains parents voudraient qu’on maintienne tout ce qui est mis en place à la maison, de la même manière, mais ce n’est pas possible. La crèche, c’est une collectivité, parfois de grands groupes, et malheureusement, cela ne convient pas à tout le monde ! Le problème vient aussi du manque de choix au niveau des structures. Ici, il n’y a qu’une seule crèche comme milieu d’accueil pour toute la commune. Les familles n’ont pas le choix. Malheureusement, lorsque la crèche ne convient pas, on ne peut pas proposer d’autres solutions car il n’y en a pas…

Chloé : J’essaie toujours de me mettre à la place du parent, de le comprendre. Je privilégie le dialogue afin d’essayer de trouver une solution acceptable pour toutes les parties, car au final, le bien-être de l’enfant est notre priorité commune. La petite enfance est un âge très difficile, très intense pour les parents. Je comprends qu’ils soient à bout, fatigués. Nous, à la crèche, on n’est jamais seules, on peut toujours passer le relai à une collègue lorsque ça devient trop compliqué.

Le Guide Social : À la maison, ce n’est pas toujours le cas...

Chloé : Certains parents sont seuls avec leurs petits toute la journée et ça peut être très lourd, surtout avec certains petits qui pleurent vraiment beaucoup. Je comprends que la fatigue puisse pousser à bout et mettre à cran. D’ailleurs, ça arrive régulièrement d’avoir des conversations qui durent avec des parents qui sont au bout du rouleau. Pour ma part, j’incite les parents à trouver des relais, y compris la crèche. Les bébés seront de toutes façons mieux à la crèche que trimballés à gauche et à droite ou à la maison avec leur parent épuisé, qui ne sait plus quoi faire pour les calmer.

"Avec certaines familles, le rapport de confiance ne s’instaure jamais..."

Le Guide Social : Y a-t-il des situations plus difficiles à vivre pour vous avec les familles ?

Chloé : Pas vraiment. J’essaie de rester professionnelle et de toujours placer mes interventions sur un terrain strictement professionnel. Par exemple, certaines de mes collègues donnent des conseils en rapport avec ce qu’elles font ou ont fait avec leurs propres enfants. Je n’aime pas ça, je préfère évoquer des exemples de choses qui se sont produites à la crèche avec d’autres enfants.

Parfois il y a des tensions liées aux longues journées que des enfants font à la crèche. Quand on se rend compte qu’un enfant fait 55 heures de crèche par semaine, alors que moi, je suis payée pour en faire 36 et qu’on sait que le parent pourrait le soulager d’une heure par ci par là et qu’il ne le fait pas, on critique, c’est certain. C’est aussi lié au fait que nous sommes tout le temps en tension dans l’équipe, à cause du manque de personnel et du faible taux d’encadrement.

On fait face à des situations difficiles aussi... Je me souviens, en tout début de carrière, on avait un petit qui venait des demi-journées. Sa famille était suivie par le SAJ. Il était dénutri, squelettique. Clairement, le repas qu’il prenait ici était peut-être le seul vrai repas qu’il avait de la journée. Un jour, il est arrivé avec une marque de coup sur le bras. Son papa m’a expliqué qu’il avait essayé de sortir de son lit, mais ça ne correspondait pas… Plus tard, dans la journée, je me suis aperçue que c’était une marque de latte. À l’époque, j’étais jeune et je n’ai pas osé dénoncer la situation. Je me suis dit que mes collègues plus expérimentées étaient plus légitimes pour le faire. Aujourd’hui, je le ferai sans hésiter.

Noémie : Avec certaines familles, le rapport de confiance ne s’instaure jamais, avec aucun membre de personnel et ça peut générer des situations très compliquées. Par exemple, nous avons accueilli des jumeaux. La famille était assez peu collaborante et méfiante envers nous. Un jour, les petits sont arrivés avec chacun un bleu au visage, mais pas dans un endroit visible à prime abord. Cela n’avait pas été noté dans le rapport du matin, mais ils étaient arrivés avec ces coups, car on l’a vu peu de temps après. Lorsque la maman est venue les chercher, elle s’est tout de suite énervée avec ces bleus en nous accusant. Le père aussi s’en est mêlé et le dialogue est vite devenu impossible… La famille a porté plainte à la direction, les choses sont allées assez loin. Ils ont même porté plainte à la police, qui a ordonné une enquête sociale au niveau de la famille. Et ils ont continué de déposer leurs enfants à la crèche ! Il n’y a jamais eu de médiation avec cette famille et encore aujourd’hui, on ne comprend pas.

Accueillir les jeunes enfants, c’est aussi accompagner leurs parents et cette tâche est loin d’être aisée. On comprend toute l’importance de la formation initiale, mais aussi de la formation continue tout au long du parcours des professionnelles. Qui plus est, les directions ont un rôle central à jouer, dans la dynamique qu’elles impulsent au sein de leur équipe, l’écoute qu’elles apportent à leurs collaboratrices, la fluidité de la communication qu’elles mettent en place avec les parents, le climat bienveillant qu’elles cultivent, etc. D’un point de vue politique, la question du nombre de structures, de leur type, de la variété et du choix possible se pose, ainsi que celle des normes d’encadrement, influant directement la qualité de ce dernier, tant pour les enfants que pour les professionnelles.

MF - travailleuse sociale



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