Coronavirus : travailleur social en télétravail ?
On parle beaucoup, et avec raison, du personnel soignant, en première ligne de la pandémie de coronavirus. Mes pensées les accompagnent, ils sont des soldats envoyés au front sans armes, pas question de télétravail pour eux. Un peu plus timidement, on parle également des travailleurs de la grande distribution, des facteurs et autres livreurs, mais aussi des aides ménagères et familiales, dont certaines travaillent encore. Toutes ces professions encore sur le pont, parfois aux prises avec une certaine bassesse humaine et souvent sans équipements de protection. Malheureusement, on parle peu des travailleurs sociaux. Pourtant, certains d’entre nous continuent à assurer leur service, et pas toujours en télétravail, ni dans les meilleures conditions.
[DOSSIER]
– A côté de la 1ère ligne de soins, la 1ère ligne sociale : les CPAS
– Covid-19 : travailleurs sociaux, entre envie de servir et inquiétude
Je fais partie de ceux qui ont été écartés de leur lieu de travail. La direction de l’ASBL où je travaille a décidé de suspendre nos activités, se conformant ainsi aux mesures fédérales en ce qui concerne les activités non essentielles. J’expérimente donc le travail à domicile... Pour notre sécurité à tous, c’est une excellente décision. Ceci dit, tous ne sont pas dans ce cas... Tout d’abord, il y a les services qui ne peuvent pas fermer : les institutions résidentielles, les services de première ligne, etc. Ensuite, il y a ceux qui ne reçoivent pas la consigne de rester chez eux, et qui viennent travailler, sans pour autant être en contact de bénéficiaires, car une partie des activités est suspendue. Une aberration à mes yeux.
Des fonctions essentielles aux plus fragiles de notre société
Certains lieux doivent continuer à fonctionner, on ne peut tout simplement pas les fermer, même momentanément : par exemple, tout ce qui est résidentiel et où les résidents ne peuvent pas retourner dans leurs familles pour une longue période. Je pense notamment aux institutions qui accueillent des enfants placés, mais aussi à certaines institutions accueillant des personnes porteuses de handicap, aux hôpitaux psychiatriques, aux centres d’accueil pour demandeurs d’asile, etc. Partout, on retrouve des travailleurs sociaux, qui ne peuvent pas tous rester chez eux. Même en adaptant le travail, lorsque c’est possible, les contacts étroits continuent, la débrouille est de mise... Et avec la pénurie d’équipements de protection, on peut craindre le pire, dans ces lieux où la population est concentrée.
Certains contacts continuent
Il en va de même pour certains services de première ligne, qui ne peuvent pas toujours accueillir les bénéficiaires au téléphone et fonctionner avec les outils numériques. Je pense aux services d’accompagnement de personnes sans abri, aux permanences sociales des CPAS, dont les bénéficiaires n’ont pas toujours ces moyens à leur disposition, etc. Dans ce type d’activité, on ne peut pas adapter les conditions de travail à l’infini, et à un moment donné, le travailleur se retrouve dans une situation de contact avec le bénéficiaire, créant ainsi un danger, pour l’un comme pour l’autre, ainsi que pour le reste des personnes qui seront en contact avec eux. Ici aussi, la pénurie d’équipements de protection se fait sentir, toujours pour le pire.
La présence physique qui n’est pas toujours essentielle...
Et il y a tous ceux qui ne sont pas absolument indispensables sur leur lieu de travail, ceux dont les activités peuvent être réalisées à domicile ou suspendues momentanément, et à qui on demande quand même de venir travailler. Je pense à certaines fonctions d’accueil, d’animation, d’accompagnement social de seconde ligne, etc. A mon sens, c’est une aberration totale. Dans ce contexte, demander à ces personnes de se présenter au travail pour ne rien y faire, ou pas grand chose, c’est multiplier inutilement des contacts qui, on le sait, sont actuellement dangereux. Se recentrer sur l’essentiel, c’est accepter que la présence physique de certains travailleurs ne le soit pas, du moins durant cette période. Cela n’enlève rien à l’importance de leur travail.
Une redéfinition de notre travail
Car il y a cette bizarrerie : être travailleur social c’est être dans une certaine proximité, créer du lien avec nos bénéficiaires, les aider à créer du lien entre eux, travailler en équipe. Alors, un travailleur social en télétravail, ça ressemble furieusement à un oxymore. Sauf que...
Ce contexte de crise nous pousse à être inventifs, alors pourquoi pas ? Certaines permanences peuvent être tenues au téléphone, les déviations d’appel existent. Un animateur peut préparer ses ateliers de chez lui, les réunions peuvent se tenir en visioconférence. Après tout, il s’agit de notre sécurité à tous. Nous pouvons mettre notre créativité à son service. Et n’oublions pas que changer de contexte de travail, de méthodes, de lieux, peut avoir un impact inattendu : ça nous permet de prendre du recul, et donc d’entrer dans une dynamique de renouvellement de nos pratiques, dont nous ne pourrions que tirer avantage dans le futur.
MF - travailleuse sociale
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