Témoignage : Je travaille à la Défense en tant que professionnel de santé
Les travailleurs du secteur de la santé exercent dans de nombreux environnements : les hôpitaux, les écoles, les centres médicaux, le domicile, la rue… Parmi ces nombreuses possibilités, un milieu tout particulier : l’armée belge. Quelle est l’expérience de terrain d’un professionnel de santé dans l’armée ? Est-il possible de concilier des valeurs liées au soin dans un milieu militaire ? Quelles sont les conditions de travail et de rémunération ? Ces questions, nous les avons posées à deux professionnels aguerris : Daimene et Benoît.
Daimene : “Mon métier, ce n’est pas de faire la guerre. Mon métier, c’est de soigner.”
Daimene est infirmière depuis plus de dix ans. Née au Brésil, elle obtient son diplôme d’infirmière au Portugal grâce à une double nationalité. Son parcours de vie la conduit ensuite en Belgique où elle expérimente le travail dans le milieu hospitalier. Mais les conditions de travail, dans un contexte de pénurie, la choquent. Sur les conseils de son compagnon, elle décide alors de rentrer à la Défense en tant que travailleur diplômé. Après un an de formation militaire, elle retrouve son métier dans ce nouveau milieu qu’elle apprivoise peu à peu. Aujourd’hui employée à l’Hôpital militaire Reine Astrid à Bruxelles, centre de référence national pour les grands brûlés, elle est également déployée chaque année à l’international.
Benoit : “ Mon métier est très sécurisant, mais les voyages me manquent.”
Benoît est technologue en imagerie médicale. Impatient d’entrer dans la vie active, il s’enrôle au sein de la Composante Terre en 1998 et devient conducteur de char. Au fil des années et des grades, il a l’opportunité d’être formé en tant qu’ambulancier. Financé par la Défense, il se forme ensuite au métier de technologue, une profession qu’il pratique depuis 2011 au sein de l’Hôpital militaire Reine Astrid.
Armée versus civil : quelles différences ?
Quel que soit son environnement de travail, un professionnel de la santé doit y adapter la pratique de son métier. Au sein de l’armée, milieu codifié, réputé pour sa hiérarchie et sa rigueur, existe-t-il des différences fondamentales avec une expérience de terrain dans le civil ?
Le privilège de pratiquer son métier sereinement
“Au sein de la Défense, à l’heure actuelle, je peux pratiquer mon métier vraiment correctement”, confie Daimene. “Quand je suis arrivée en Belgique, j’avais l’impression de traiter les patients à la chaîne, en raison du manque de personnel. Nous étions expéditifs. Au sein de l’Hôpital Reine Astrid, nous avons au contraire le temps de consulter le dossier de chaque patient. J’ai l’opportunité de parler au patient, d’échanger avec mes collègues, bref, de réaliser un suivi de qualité. Je ne suis pas là juste pour changer un pansement, mais bien pour soutenir le patient. Et ça, je peux le faire ici, au sein d’une équipe multidisciplinaire très humaine, très attentive à la gestion de la douleur notamment.”
L’aménagement du temps de travail
Les journées, les nuits et les week-ends sont parfois synonymes de longues heures pour les professionnels de santé. Qu’en est-il au sein de la Défense ?
“Il y a une vraie sécurité de l’emploi et une plus grande flexibilité que dans le civil”, expose Benoit. “Comme nous devons être en mesure d’être déployés, le système est fait pour que nous soyons plus nombreux dans l’équipe afin de pallier les absences, ce qui nous permet aussi d’être plus flexibles quant à l’aménagement du temps de travail. De plus, nous avons plus de jours de congé que dans le civil.”
“À l’Hôpital Reine Astrid, j’ai la possibilité de faire des double shifts”, enchérit Daimene. “Cela me permet de faire des semaines de 3, 4 jours, parce que je concentre mes heures sur ces journées. Grâce à ces aménagements de mon temps de travail très flexibles, j’ai pu reprendre des études. Cela a vraiment eu un impact très positif sur ma qualité de vie.”
La possibilité d’être déployé
Bien que les conditions de travail permettent un suivi de qualité des patients au sein de l’Hôpital Reine Astrid, il existe une autre face à la médaille : en tant que membres de l’armée, les professionnels sont susceptibles d’être déployés à l’étranger.
“C’est un fait que nous connaissons lorsque nous nous engageons”, explique Daimene. “Nous avons par contre le choix de partir ou non. Nous pouvons poser notre candidature pour partir en mission, mais ce n’est pas obligatoire. Une mission dure deux mois au maximum pour les détenteurs d’un bachelier. Nous sommes susceptibles de partir une fois par an en mission.”
“C’est une question qui est posée lorsqu’on s’engage”, renchérit Benoît. “On s’assure que nous sommes bien conscients de cette possibilité, que cette réalité est aussi entendue par nos familles. Mais j’ai toujours eu le choix de partir ou non. Il y a eu une année en particulier, cependant, où une mission d’un an se présentait et nous étions 4 technologues. Il était possible que l’un de nous refuse… Mais les 3 autres devaient alors prolonger leur séjour. Donc en principe, oui, l’on peut refuser. Mais cela peut amener à des situations délicates. Et après tout, c’est aussi cela qu’on accepte, quand on s’engage.”
Le salaire dans l’armée belge
On le sait, les salaires des métiers du médical et du social ne sont pas toujours rémunérés à leur juste valeur. Est-ce aussi le cas au sein de l’armée ?
“Nous avons un salaire plus attrayant que dans le civil”, dévoile Benoît.
“Par contre”, ajoute Daimene, “les horaires dits “inconfortables” ne font pas l’objet d’un pourcentage basé sur le cumul des heures. Si je fais un horaire inconfortable à la Défense, mon salaire prend bien en compte ce fait et est augmenté en conséquence. Mais que je travaille un week-end, ou deux, ou trois, cela ne changera pas mon salaire. Dans le civil au contraire, plus on travaille durant des horaires inconfortables, comme la nuit, les jours fériés et le week-end, plus l’on est payé. Malgré tout, mon salaire reste plus élevé que si je travaillais dans le civil.”
Quelles relations au patient (et quels patients) ?
Chaque environnement professionnel amène une pratique différente… Mais aussi des profils de patients différents. L’armée ne fait pas exception. Les profils rencontrés par les deux professionnels sont très variés et dépendent également du milieu de pratique.
“Je vois une grande différence avec mon expérience dans le civil”, constate Daimene. “J’ai travaillé dans des services de médecine interne, de chirurgie générale, revalidation… Et partout, en raison d’un manque de personnel, nous nous retrouvions à traiter les patients à la chaîne. Ce n’est pas le cas dans mon emploi actuel, où j’ai vraiment le temps de me consacrer à chaque patient, le temps de faire plus que des soins.”
Daimene : “Notre hôpital a une mission d’aide à la Nation.”
“L’Hôpital Reine Astrid est l’un des plus grands centres pour les grands brûlés d’Europe”, précise l’infirmière. “Nous avons donc une expertise spécifique dans ce domaine et recevons beaucoup de patients présentant des blessures de ce type. De plus, notre hôpital a une mission d’aide à la Nation. Il n’est donc pas destiné qu’aux militaires. Bien au contraire, en tant que centre de référence, nous recevons des patients de tout âge, de tous horizons, y compris des personnes qui proviennent d’autres pays.”
“En mission”, précise Benoit, “la relation n’est pas toujours la même qu’en Belgique, parce que la situation n’est pas la même non plus. On se retrouve confronté à des patients grièvement blessés, souvent inconscients. En tant que technologue en imagerie médicale, je vais aussi avoir une relation différente d’un infirmier, parce que je fais rarement un suivi aussi long.”
Les spécificités de l’expérience militaire
Finalement, qu’est-ce qui rend l’expérience de travail au sein de la Défense si spécifique ?
Daimene et Benoît nous aident à faire le point.
Le déploiement : l’occasion d’enrichir son expertise professionnelle
Daimene : “Pour travailler dans l’armée, il faut pouvoir supporter l’éloignement.”
Si les missions à l’étranger font partie du champ des possibles lorsqu’on travaille à l’armée, elles ne sont pas seulement synonymes d’éloignement. Il s’agit en effet d’occasions uniques d’enrichir ses compétences.
“Être déployé”, raconte Benoît, “m’a permis d’accroître mon expertise. J’étais au contact d’équipes d’autres nationalités, notamment américaines, qui avaient l’habitude de situations de guerre et j’y ai appris de nouveaux protocoles. Dans ce type de mission, la façon de travailler est aussi complètement différente : on ne recherche pas les mêmes informations lors de l’imagerie, par exemple. Ce gain d’expertise m’a été très utile, notamment lors des attentats survenus à Zaventem. Je savais déjà où aller chercher l’information, j’ai pu adopter cette approche alors que nous accueillions des personnes qui présentaient des blessures de guerre, ce qui est évidemment rare en Belgique.”
“J’aime beaucoup la diversité, le changement. C’est précisément ce qu’apportent les missions à l’étranger”, partage Daimene. “Durant ces dernières, j’ai eu l’occasion d’accompagner les troupes en ambulance, de travailler dans une base française, de rencontrer des collègues français, allemands, suédois, hongrois… D’être au contact de leurs expertises. Voir comment les équipes d’autres nations travaillent, faire ces rencontres, c’est très enrichissant.”
“Pour travailler dans l’armée, il faut pouvoir supporter l’éloignement.”, précise toutefois Daimene. “Que ce soit lors de la formation initiale, durant laquelle nous restons en caserne pendant plusieurs mois, ou bien en cas de déploiement à l’étranger, nous sommes susceptibles d’être éloignés de nos proches.”
Une formation militaire de base obligatoire
Si Benoît avait déjà une formation militaire avant de devenir ambulancier, puis technologue en imagerie médicale, ce n’était pas le cas de Daimene, qui a donc dû passer par la case “formation militaire”.
“Quand je me suis engagée dans cette voie, je ne connaissais rien à l’armée et j’avais beaucoup d’idées reçues”, explique Daimene. “Lorsqu’on s’engage à la Défense en tant que diplômé, l’on reçoit une formation militaire de base, durant laquelle nous apprenons la vie militaire. Nous intégrons un système d’internat : nous vivons en caserne durant 6 mois au sein d’un peloton et ne pouvons sortir que le week-end. Nous apprenons les règles, la hiérarchie, à manier une arme en toute sécurité, nous faisons des bivouacs tactiques, nous sommes entraînés physiquement… C’est assez intense.”
“La formation militaire”, ajoute Benoît, "est toujours intéressante. On y apprend à être indépendant, à vivre en communauté. Je pense qu’il s’agit d’une expérience enrichissante que je conseillerais à tout le monde.”
Un milieu codé et hiérarchisé
“ (...) il ne faut surtout pas croire qu’on va faire de l’humanitaire en rejoignant la Défense.”
Finalement, l’armée est un milieu spécifique, imparfait, avec ses atouts et ses faiblesses. Des éléments que ne manque pas de rappeler Daimene.
“C’est un univers à part”, avoue Daimene. “C’est encore un monde très masculin, très hiérarchisé. Il faut aussi savoir s’adapter à cette mentalité particulière. Enfin, il ne faut surtout pas croire qu’on va faire de l’humanitaire en rejoignant la Défense. Nos objectifs, en tant que membres de la Composante médicale, sont souvent de soutenir les équipes sur place, lors de missions, ce qui va parfois nous amener à être en contact avec les populations locales, mais ces situations sont très occasionnelles.”
Travailler à la Défense : pour qui ?
Savoir s’adapter, être dynamique, oser sortir de sa zone de confort : voilà des qualités qu’il est indispensable de posséder pour qui envisage un passage au sein de l’armée, d’après Daimene et Benoît.
“Les gens qui aiment le changement, qui ont besoin d’apprendre et aiment se former, qui souhaitent entretenir leur forme physique, qui n’ont pas peur de passer un certain temps loin de la maison, apprécient le dépassement de soi… Ces personnes pourraient s’épanouir à l’armée”, estime Daimene. “Comme toute organisation, la Défense présente des défis. Ce n’est pas un monde parfait, loin de là. Mais j’ai pu y faire des choses que je n’aurais jamais pu faire dans un hôpital civil. Elle me permet de pratiquer mon métier avec passion. Je la conseillerais aux personnes qui, comme moi, ne se voient pas rester entre quatre murs à faire la même chose toute leur vie.”
“Il faut savoir que, s’il y a des possibilités de mission à l’étranger, elles ne peuvent pas être la principale mission d’une personne qui entre dans l’armée en tant que soignant”, tempère Benoît. “Depuis la crise de la COVID 19, nous faisons face à un gros ralentissement des missions à l’étranger, en tous cas dans mon secteur. C’est aussi quelque chose dont il faut avoir conscience. Par contre, la Défense offre un espace professionnel très sécurisant, flexible, idéal aussi pour une personne qui a envie de pouvoir faire du sport pendant son temps de travail.”
Propos recueillis par Mathilde Majois
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