Intervenante éducative en EMA : "Entre empathie et défis institutionnels !"
Le métier d’intervenant éducatif en Équipe Mobile d’Accompagnement (EMA) est à la croisée des chemins entre l’accompagnement social et les contraintes institutionnelles. Ce rôle exige une profonde empathie, une capacité à établir des liens de confiance ainsi qu’une gestion équilibrée entre l’intervention professionnelle et l’immersion dans la vie des bénéficiaires. Pauline Chevalier, intervenante depuis 8 ans, nous révèle les subtilités et les défis de sa profession.
Qu’est-ce qu’un intervenant éducatif en EMA ?
Un intervenant éducatif en EMA est un professionnel spécialisé dans l’accompagnement et le soutien des jeunes et de leurs familles suite à une décision de justice. Les EMA sont des dispositifs mis en place pour offrir des alternatives à des mesures judiciaires plus contraignantes comme le placement en Institution Publique de Protection de la Jeunesse (IPPJ), en favorisant un accompagnement éducatif et social, au départ du milieu de vie du jeune. L’intervenant agit en prévention d’un placement ou suite à celui-ci pour consolider et poursuivre le travail qui a déjà été mis en place.
« Nous sommes actifs auprès des mineurs de 12 à 18 ans qui sont poursuivis du chef d’un fait qualifié en infraction et qui sont passés devant le juge de la jeunesse », explique Pauline Chevalier, intervenante éducative depuis 8 ans. « Le juge à la jeunesse mandate notre service pour accompagner le jeune au sein son milieu familial. Cet accompagnement peut prendre place si le juge considère que les conditions primaires pour une vie de famille sont réunies. »
Comment devenir intervenant éducatif en EMA ?
Les diplômes, en premier lieu celui d’éducateur, mais aussi ceux d’assistant social, d’assistant.e en psychologie, d’infirmier.e gradué.e social.e et de conseiller.e social.e sont admis à la profession. Pauline a par ailleurs enrichi son parcours d’un master - non obligatoire-, représentatif du double intérêt pour le travail social et le volet légal requis par cette profession.
« Je viens d’une famille de juristes », confie-t-elle, « et j’ai su très tôt que je voulais travailler dans un domaine lié au monde judiciaire. Mais j’étais aussi intéressée par l’aide aux personnes. J’ai donc d’abord fait une formation d’assistante sociale. J’ai ensuite complété ma formation par un master en criminologie. J’ai travaillé à l’IPPJ de Fraipont durant 10 ans avant de me rendre compte que pour moi, ce qui manquait dans le suivi, pourtant déjà axé sur les besoins des jeunes, c’était les parents. Quand un jeune est dans sa famille, il est dans un contexte différent. Ses besoins changent, ses fragilités sont différentes. J’ai donc postulé en 2016 au SAMIO, qui allait par la suite devenir l’EMA. »
Au quotidien, c’est quoi être intervenant en EMA ?
Être intervenant en Équipe Mobile d’Accompagnement (EMA) implique une combinaison de soutien direct aux jeunes et aux familles et de gestion administrative. Les intervenants passent une partie significative de leur temps à travailler directement avec les jeunes et leurs familles dans leur milieu de vie. Cela signifie qu’ils effectuent des visites régulières à domicile et peuvent aussi rencontrer les jeunes dans des contextes variés comme l’école ou des clubs sportifs. Ce suivi est intensif, avec des visites généralement effectuées une à deux fois par semaine pour chaque famille, permettant un soutien constant et adapté aux besoins individuels.
« Nous accompagnons chacun 4 jeunes, avec qui nous sommes en contact direct. Nous co-accompagnons également 4 jeunes des collègues. Nous sommes donc au courant de ces situations en particulier, sans faire le suivi très intensif réalisé auprès des jeunes que nous accompagnons directement. »
Cette intervention directe peut se faire auprès de divers acteurs du réseau social du jeune, y compris les écoles, les Services de Protection de la Jeunesse (SPJ) et les clubs sportifs, ou même le réseau social proche du bénéficiaire.
L’évaluation continue des besoins du jeune et de sa famille est également une part cruciale du travail. Les intervenants élaborent et ajustent des plans d’accompagnement personnalisés en fonction des forces et des fragilités identifiées, et modifient ces plans en réponse aux évolutions de la situation. Cette flexibilité est nécessaire pour répondre aux besoins changeants des jeunes et de leurs familles.
Parallèlement, les intervenants gèrent une série de tâches administratives importantes. Cela inclut la rédaction de rapports, de notes d’information pour le juge, et de notes hebdomadaires pour assurer une communication fluide au sein de l’équipe et avec le système judiciaire. La gestion rigoureuse de ces documents est essentielle pour maintenir une documentation précise et un suivi approprié des situations.
1. L’importance de l’équipe
Les intervenants participent à des réunions d’équipe régulières, des intervisions et des supervisions pour discuter des situations et partager des expériences. Ces moments de réflexion collective permettent également d’échanger autour des obstacles rencontrés, de garantir la cohérence des interventions et de bénéficier du soutien des collègues.
« L’équipe est importante dans notre métier », confirme Pauline Chevalier. « Nous réalisons des intervisions en équipe sous le modèle GLM (Good Lives Model) au cours desquelles nous exposons une situation en long et en large afin de définir les besoins, ressources et obstacles afin de donner d’autres pistes d’intervention aux collègues concernées. Travailler en équipe permet aussi de déposer notre charge émotionnelle vécue. »
2. Une immersion dans l’intimité des bénéficiaires
L’un des principaux défis du métier est l’immersion dans la vie des personnes, tout en gardant une casquette institutionnelle. Pour Pauline Chevalier, « le premier mois est déterminant pour voir s’il y a une accroche du jeune et de la famille par rapport à notre intervention ».
Cette période initiale est cruciale pour établir un lien de confiance. La transparence réciproque est essentielle. « Si l’on n’a pas de transparence de la part du jeune et de la famille, ou si nous ne sommes pas transparents à leur égard, comment peut-on entrer en contact ? », questionne Pauline Chevalier.
3. Les défis de la relation et du rôle de médiateur
Comme tous les intervenants en EMA, Pauline doit naviguer entre son rôle professionnel et son engagement personnel. « L’accompagnement est sous contrainte. Ce n’est pas une aide volontaire », explique-t-elle. « Cela implique souvent de jouer le rôle de médiateur entre les jeunes et leurs familles. »
Ce rôle de médiateur est particulièrement important lorsque les familles ont des difficultés de communication. L’intervenant doit aider les familles à développer des compétences qui leur permette de discuter de manière constructive.
« Nous aidons à rétablir un mode de communication différent. Dans certains foyers, nous permettons à tous de discuter posément autour d’une table. C’est quelque chose qui parfois n’a pas eu lieu depuis des années. »
4. Une posture professionnelle qui évolue avec l’expérience
Au fil du temps, Pauline a appris à adapter sa posture professionnelle « Au début, je m’impliquais très fort, je prenais les choses très à cœur. Avec le temps, j’ai réalisé que faire à la place de l’autre ne l’aide pas sur le long terme. Aujourd’hui, je reste bien sûr dans le soutien. Mais la démarche doit venir des parents, du jeune. »
La capacité à se mettre à la même hauteur que les bénéficiaires est également cruciale pour créer une relation de soutien plutôt que de dépendance.
« Avant tout, j’essaye de les apprivoiser », confie Pauline.
Les différentes facettes du métier d’intervenant en EMA
Le métier d’intervenant éducatif en EMA est enrichissant mais exigeant. Parmi les aspects positifs, Pauline cite avant tout l’établissement de liens profonds avec les bénéficiaires.
« Pour moi, c’est avant tout la relation à l’autre, la relation à la famille, le lien que l’on peut créer », explique-t-elle.
1. L’Empathie : une qualité essentielle
L’empathie est au cœur de la pratique des accompagnants en EMA. Ils doivent être capables de se mettre à la place de l’autre et de comprendre leurs bénéficiaires dans leur contexte spécifique.
2. La nécessité du détachement personnel pour garder une posture professionnelle
Si l’empathie est une qualité fondamentale pour pratiquer le métier, Pauline Chevalier met également en avant l’importance d’une certaine distanciation. Les accompagnants doivent être capables de se départir de tout jugement. Elle insiste sur le fait que les professionnels doivent se détacher de leurs valeurs personnelles pour offrir un soutien authentique.
« En tant que personnes, nous avons tous un système de valeurs, particulièrement en tant que travailleurs sociaux. Mais quand nous allons à la rencontre de ces familles, il faut s’en départir. On va à la rencontre d’une culture, de valeurs différentes, il faut donc savoir se détacher de ce qui fait résonance chez nous. Cela nous donne la capacité de les comprendre dans leurs ressources, leurs valeurs, ce qui les anime. Les membres de la famille doivent sentir qu’ils ne sont pas jugés par rapport à qui ils sont. »
Cette capacité à dépasser ses propres valeurs et à éviter les jugements est cruciale pour offrir un soutien efficace et respectueux
Finalement, n’est-ce pas cela, la véritable empathie ?
3. Avant tout : envisager le jeune dans sa globalité
Pour Pauline, il est important, en tant qu’intervenant en EMA, d’envisager le jeune dans sa globalité.
« Il faut vraiment considérer le jeune dans sa globalité, le système dans lequel il évolue, son contexte familial. Je conseille d’ailleurs de se former en systémique familiale pour comprendre ces mécanismes et pouvoir poser un regard plus mûr sur cette dynamique. »
Quelles qualités pour pratiquer le métier d’intervenant en EMA ?
Pour pratiquer le métier d’intervenant en Équipe Mobile d’Accompagnement (EMA), plusieurs qualités essentielles sont nécessaires. Ces qualités vont bien au-delà des compétences techniques et incluent des aptitudes personnelles et émotionnelles cruciales pour le succès et le bien-être dans ce rôle.
L’empathie et la compréhension sont au cœur du métier. Pauline Chevalier explique que les intervenants doivent être capables de « comprendre et de se connecter profondément avec les jeunes et leurs familles ». Cette empathie permet d’établir des relations de confiance, cruciales pour un accompagnement efficace.
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La capacité à gérer ses propres émotions est également essentielle. L’intervenant en EMA fait face à des situations souvent chargées émotionnellement. « C’est un métier très, très prenant émotionnellement », confirme Pauline Chevalier. Les intervenants doivent gérer des situations souvent complexes et éprouvantes et doivent être en mesure de naviguer à travers ces défis sans laisser leurs propres sentiments interférer avec leur travail.
« Une connaissance de soi approfondie permet aux intervenants de reconnaître leurs propres biais, de comprendre leurs propres réactions face aux situations stressantes et d’ajuster leur approche en conséquence. C’est cette auto-connaissance qui permet de maintenir une pratique professionnelle de qualité, d’offrir un soutien pertinent aux jeunes et à leurs familles, et de faire face aux défis émotionnels et professionnels du métier », précise Pauline.
L’organisation et la rigueur sont également importantes. Les intervenants doivent jongler avec de multiples tâches, allant de l’accompagnement direct des jeunes à la gestion des aspects administratifs. Cette capacité à organiser et prioriser le travail est essentielle pour assurer un suivi efficace et complet.
Enfin, la capacité à travailler en équipe est une qualité indispensable. Pauline met en avant l’importance des réunions d’équipe et des intervisions pour discuter des situations et partager les expériences. Ces moments de collaboration permettent non seulement d’améliorer la pratique individuelle mais aussi de soutenir le développement professionnel continu.
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Les conditions de travail : une grande autonomie et quelques défis logistiques
Les conditions de travail en EMA permettent autonomie et flexibilité. Les intervenants peuvent gérer leur emploi du temps, ce qui est « très confortable dans le travail qu’on peut mener », confirme Pauline, puisque cela leur permet de s’adapter aux besoins des jeunes et des familles, et d’assurer l’adaptabilité et la disponibilité nécessaires.
Cependant, pour l’ensemble des EMA situées hors Bruxelles, l’utilisation du véhicule personnel est nécessaire pour réaliser les missions, bien que les frais d’essence et les kilomètres parcourus fassent l’objet d’une compensation.
Entre empathie et professionnalisme : le métier d’intervenant en EMA
Le métier d’intervenant en EMA est à la fois complexe et gratifiant. Il exige une gestion habile des relations interpersonnelles, une grande capacité d’empathie, et une aptitude à travailler dans un cadre à la fois institutionnel et personnel. Les intervenants jouent un rôle crucial en aidant les jeunes et leurs familles à naviguer à travers des périodes difficiles, tout en s’efforçant de maintenir un équilibre entre soutien empathique et professionnel.
Mathilde Majois
Sources :
"Focus sur le métier d’intervenant éducatif en Équipe Mobile d’Accompagnement", site de l’Aide à la jeunesse, Fédération Wallonie Bruxelles, consulté le 18/08/2024
"Les équipes mobiles d’accompagnement (EMA)", site de l’Aide à la jeunesse, Fédération Wallonie Bruxelles, consulté le 18/08/2024
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