Épuisement émotionnel du travailleur social : comment le prévenir et le reconnaître ?
Fatigue, irritabilité, désinvestissement… Vous vous sentez à fleur de peau, vos réactions sont plus marquées que d’habitude face aux contrariétés du quotidien ? Peut-être souffrez-vous d’épuisement émotionnel. Explications !
L’épuisement émotionnel, qui touche particulièrement les professionnels investis dans une relation d’aide (infirmiers, assistants sociaux, psychologues, …), demande à être reconnu et pris en charge aussitôt que possible, sous peine de conduire à d’autres formes d’épuisement, comme le burn out.
Pour comprendre le phénomène et surtout, découvrir les façons de le prévenir, nous avons rencontré Anne-Catherine Coomans. Assistante sociale de formation de base, elle a évolué durant 10 ans dans des milieux professionnels au sein desquels elle a constaté, de façon récurrente, une surcharge de travail constante menant fréquemment à des épuisements. Devenue coach en émotions et en hypersensibilité, elle accompagne depuis 5 ans les adultes, les enfants et leur entourage (famille, équipes pédagogiques et éducatives) à accueillir plus sereinement leurs émotions et à mieux vivre leur (hyper)sensibilité.
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L’épuisement émotionnel : quand "la coupe" est pleine au quotidien
Les émotions font partie de notre quotidien et le colorent de mille et une manières. Cependant, quand elles ne sont pas prises en compte et entendues, elles peuvent devenir la source d’une fatigue inattendue et difficile à comprendre.
"On peut imaginer que chacun a une coupe", raconte Anne-Catherine Coomans. "Chez les enfants, cette coupe a la taille d’une petite tasse de café, ce qui explique pourquoi ils expriment leurs émotions dans l’instant et l’intensité. Les adultes, en revanche, ont une coupe plus grande et sont donc capables de recevoir plus d’émotions. Le problème, c’est que la majorité des gens ne savent pas quoi faire avec le contenu de cette coupe. Les émotions sont là, elles s’entassent, jusqu’à déborder."
Anne-Catherine Coomans compare les émotions à de petits personnages qui viennent frapper à la porte et qu’il est important d’écouter, alors qu’ils sont souvent ignorés. S’ils sont ignorés trop longtemps, ces personnages prennent de l’ampleur et finissent par enfoncer la porte… C’est alors que l’émotion est exprimée, rarement de façon constructive et souvent de façon explosive ou épuisante, jusqu’à avoir un impact sur notre bien-être et nos relations sociales.
Infirmier.e, travailleur social, sage-femme, éducateur,… Autant de métiers dans le cadre desquels il est fréquent de se retrouver, au quotidien, au cœur de situations "chargées" émotionnellement.
Autant de situations dont l’accumulation est susceptible de faire "déborder la coupe".
Épuisement émotionnel ou burn out ?
Si l’épuisement émotionnel peut faire penser au burn out (une maladie historiquement théorisée) dans un premier temps, auprès d’un public de professionnels du social, Anne-Catherine Coomans tient à faire la distinction entre les deux concepts.
"Je ne suis pas spécialiste du sujet mais je dirai que le burn out", synthétise-t-elle, "touche à la fois le champ émotionnel, mais également le corps physique et les capacités cognitives. Il est aussi dû à un manque d’alignement entre nos valeurs et ce qu’on fait. Quand on arrive au burnout, il est important d’aller consulter un médecin afin d’être accompagné de manière adéquate et globale."
Lorsqu’un déséquilibre se crée au sein de ces 4 piliers, on peut parler de burn out, une maladie qui fait l’objet d’un accompagnement psychomédical.
"L’épuisement émotionnel, lui, est plutôt une saturation qui se situe uniquement au niveau des émotions", précise encore la coach.
L’épuisement émotionnel est une forme de fatigue qui peut être le signe annonciateur d’un burn out professionnel. Pouvant trouver sa source à la fois dans la sphère sociale, familiale, professionnelle, il est souvent dû à une accumulation de stress, d’émotions fortes, qui s’accumulent dans le temps sans repos émotionnel suffisant.
Reconnaître les signes de l’épuisement émotionnel
L’épuisement émotionnel se manifeste chez chacun de différentes manières, comme le précise Anne-Catherine Coomans.
"C’est très individuel, chacun vit ce phénomène différemment. Je constate souvent la présence de ruminations mentales, associées à des émotions à fleur de peau, ainsi qu’une grande fatigue ou une hyper excitation. Mais il y a bien d’autres signes."
Globalement, la fatigue émotionnelle peut se traduire par :
- Des changements d’humeur plus fréquents et intenses : pleurs, colère, manque de patience …
- Des ruminations mentales.
- Des troubles du sommeil (hypersomnie ou insomnie).
- Un surinvestissement dans le travail ou au contraire, un désinvestissement.
- Un sentiment de vide, on "ne ressent plus rien".
- Des trous de mémoire, de la difficulté à se concentrer.
- L’impression de ne plus arriver à gérer le quotidien.
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Prévenir l’épuisement émotionnel : accueillir "la vague" pour éviter le tsunami
Si l’épuisement émotionnel est une réalité, il est également possible de le prévenir en adoptant quelques réflexes. La première chose à faire, selon Anne-Catherine Coomans, est de se donner le temps d’accueillir ses émotions.
"Cela peut prendre 30 secondes, le temps d’une pause café, d’un break entre deux patients ou deux sessions de cours", énonce-t-elle. "Il s’agit principalement de se poser 2 questions : Comment je me sens ? De quoi ai-je besoin ?"
Quand une émotion toque à la porte…
Pour Anne-Catherine Coomans, 5 étapes simples permettent de comprendre et d’accueillir son état émotionnel.
- Reconnaître qu’il se passe quelque chose en nous et prendre une pause.
- Se donner le droit de ressentir une émotion, même désagréable.
- Reconnaître la présence de l’émotion.
- Observer ses manifestations physiques (Comment se manifeste-t-elle dans mon corps ?).
- Se demander ce dont on a besoin pour aller mieux et se l’accorder.
Se donner l’espace nécessaire à l’accueil des émotions, apprendre à les identifier, à les accepter… Voilà une démarche à adopter comme d’autres adoptent la pause café ou la pause cigarette, selon la coach.
"Pour moi, c’est une pratique à adopter régulièrement et dans l’idéal au moins 5 fois par jour, surtout dans les moments de transition. J’insiste sur le fait que ça ne prend pas longtemps. Il suffit simplement de se donner l’espace nécessaire à l’examen bref de son état émotionnel dans l’instant."
Se retrouver lors d’activités ressourçantes
Si l’accueil et l’identification des émotions que l’on expérimente au cours d’une journée est une première étape, il reste également à leur trouver une réponse adaptée. Encore une fois, il s’agit, pour Anne-Catherine Coomans, de réponses individuelles. Tandis que certains auront besoin de "décharger" auprès d’un membre de l’équipe ou d’un proche, d’autres auront envie d’une balade en nature ou d’un peu de solitude.
"Certains crient dans les toilettes, d’autres vont chercher un câlin, d’autres préfèrent sentir un parfum familier et réconfortant, ou faire de la cohérence cardiaque… Pour certains, il s’agira de se faire une bonne tasse de thé ou de café, ou simplement de prendre l’air. Ce sont de petites choses, tout comme les contrariétés, les petits stress émotionnels quotidiens, sont de petites choses. Mais accumulées, elles aident à restaurer un certain équilibre."
S’autoriser à prendre du plaisir à nouveau
Comment prendre soin des autres si l’on ne peut pas prendre soin de soi ? À force de mettre le bien-être des bénéficiaires ou des patients en priorité, il est possible de s’épuiser émotionnellement, particulièrement quand le soin à l’autre est au cœur de notre métier.
Il devient alors essentiel de se remettre au premier plan. Anne-Catherine Coomans explique :
"L’une des premières choses que je recommande aux personnes qui viennent me voir, est de réapprendre à se faire plaisir, juste à soi. Renouer avec les petits moments de qualité que l’on passe avec soi-même. Je parle de plaisirs de 5 minutes parfois, comme faire un sudoku, méditer, goûter un chocolat en pleine conscience,… Se poser la tête. Il peut être intéressant de faire la liste de ses petits plaisirs et de se les autoriser, afin de renouer avec ses propres besoins et émotions,… De ne pas toujours être là pour l’autre, mais être là pour soi aussi."
Reconnecter avec soi et ses émotions, c’est aussi renouer avec ses valeurs, une notion essentielle pour éviter la perte de sens, selon Anne-Catherine Coomans.
De précieuses habitudes à prendre pour accompagner sans s’épuiser.
Suis-je dans un contexte professionnel qui favorise l’épuisement émotionnel ?
Si vous travaillez dans un domaine où la relation d’aide, les contacts humains et la charge émotionnelle liée à la profession peut être importante, Anne-Catherine Coomans recommande d’être attentif à certains facteurs pouvant mener à la surcharge.
"Quand la charge de travail est plus importante que les heures de travail, on est déjà face à un problème. C’est quelque chose qu’on peut repérer très vite, parfois même pendant la période d’essai, en voyant aussi que les nouveaux collègues empilent les heures supplémentaires et que cela est normalisé. Si l’on tombe sur une offre d’emploi qui nous demande une liste de compétences sans fin, comme être disponible, flexible, savoir gérer une équipe, mais aussi être autonome, avoir une bonne gestion du stress … Cela peut aussi mettre la puce à l’oreille : on n’est pas des superman ou des wonderwoman."
Anne-Catherine Coomans recommande également d’être attentif à l’environnement de travail : lumière naturelle, possibilité d’être au calme, présence de fenêtres…
Êtes-vous dans un lieu où il est agréable de travailler au quotidien ?
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Éviter l’épuisement émotionnel : prendre soin de soi pour prendre soin des autres !
Beaucoup de professionnels du social et de la santé s’engagent dans des métiers "passion" qui correspondent à leurs valeurs liées à l’entraide, à la solidarité et au soin.
Mais à prendre soin des autres, n’oubliez pas qu’une personne requiert, elle-aussi, votre capacité d’empathie et votre bienveillance : vous-même !
"Il faut savoir faire preuve d’auto-compassion", recommande Catherine Coomans. "Nous avons appris à prendre soin des autres… Mais il faut aussi prendre soin de soi et cela s’apprend."
Faire une pause, s’autoriser à vivre ses émotions et à les écouter, font partie de rituels quotidiens qui vous permettront de vivre votre métier de façon plus épanouissante sur le long terme et d’être plus serein dans votre vie quotidienne.
Mathilde Majois
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