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Portrait de Sotieta Ngo : « L’aide aux exilés ? Une mission qui me tient inlassablement à cœur »

06/12/24
Portrait de Sotieta Ngo : « L'aide aux exilés ? Une mission qui me tient inlassablement à coeur »

Sotieta Ngo, 47ans, est directrice du Ciré, un organisme qui œuvre pour les droits des personnes exilées, avec ou sans titre de séjour. Elle évoque le parcours qui l’a amenée à suivre cette voie et l’engagement humain qu’il suscite, face à des situations souvent complexes. Portrait.

« Mon engagement dans le droit des étrangers est né d’une révélation personnelle »

Le Guide Social : Comment vous êtes-vous engagée dans ce domaine ?

Sotieta Ngo : Je suis juriste de formation, j’ai suivi des études de droit -terminées en 2000- sans me destiner au départ aux enjeux liés à la migration. Juste après mes études, j’ai voyagé pour me donner le temps de la réflexion quant à la suite de mon parcours. Cette pause d’un an m’a permis de prendre une décision et de commencer le barreau. C’est au fur et à mesure que j’ai été amenée à me spécialiser dans le droit des étrangers, suite à plusieurs formations liées à ce domaine. Au plus j’ai pu prendre connaissance de récits personnels, mais aussi de la lourdeur des procédures et des dysfonctionnements politiques, au plus mon envie de continuer à y oeuvrer a été alimentée.

Le Guide Social : Avec un écho surprenant lié à votre vie personnelle ?

Sotieta Ngo : C’est apparu comme une révélation à rebours : je suis d’origine étrangère, née en Belgique et de nationalité belge, mais ayant appris tardivement que je ne suis pas née Belge et que j’avais été naturalisée par un père reconnu comme réfugié ! Depuis cette orientation au début des années 2000, je suis restée dans cette matière, le sort de ces personnes me touchant particulièrement. Toutefois, me sentant impuissante en tant qu’avocate, je me suis vite rendu compte qu’un travail collectif était indispensable. J’ai donc quitté le barreau pour venir au Ciré. Je suis passée ensuite par le secteur politique et le domaine académique, avant de revenir au Ciré comme directrice.

« Les motifs de migrations, les personnes qui migrent, les procédures..., tout est d’une complexité hors normes »

Le Guide Social : La politique est souvent un sujet épineux quand on parle de réfugiés, vous-même êtes souvent en butte avec le monde politique.

Sotieta Ngo : On vit une période où la politique comme les acteurs politiques rencontrent des difficultés de tous ordres, d’accessibilité, de simplification, de réponse aux enjeux et ce, quelle que soit la matière. Mais tout particulièrement sur le sujet de la migration, les enjeux sont d’une complexité telle que ça rajoute une couche de défis qui dépassent les territoires des compétences qui s’y exercent. Les motifs de migrations, les personnes qui migrent, les procédures..., tout est d’une complexité hors normes, même pour des juristes très aguerris. Lire les choses de manière adéquate et penser des solutions sont deux aspects très complexes.

Et pourtant, c’est un enjeu dont la plupart des citoyens s’emparent en ayant un avis sur le sujet. Mais cet avis fait fi de cette complexité et c’est normal : le citoyen, qui n’est pas actif dans cette matière, n’a pas à être expert pour avoir un avis, mais ça complique encore un peu plus la tâche pour les travailleurs du secteur de la migration.

« C’est souvent chargé émotionnellement et psychologiquement »

Le Guide Social : Vous êtes directrice d’un organisme important qui regroupe une trentaine d’organisations. Comment parvenez-vous au quotidien à rester suffisamment en contact avec les réalités du terrain ?

Sotieta Ngo : Je ne peux pas détacher ma fonction du reste de ma carrière. J’ai beaucoup côtoyé les réalités très individuelles rencontrées par les personnes dont je parle. Aujourd’hui, j’en ai moins l’occasion dans un rapport direct et journalier, mais je me nourris du travail que l’ensemble de l’équipe du Ciré accomplit au quotidien. Par exemple, nous organisons des permanences socio-juridiques, une école de français, un service d’équivalence de diplômes..., autant de champs et de lieux où les travailleurs du Ciré sont en contact direct avec les personnes et les difficultés qu’elles rencontrent dans leurs démarches.

J’essaie donc d’être en contact quasi journalier avec mes équipes, pour que tous les constats puissent remonter. Le fonctionnement du Ciré est d’ailleurs bien spécifique, ni horizontal ni vertical : l’équipe est très experte et perçoit ce qui doit me remonter directement. Ils savent très bien qu’on s’alimente du terrain pour porter une parole politique et que cette parole politique n’a de valeur que si elle est en lien avec ce qui se passe sur le terrain. Nos membres et nos partenaires nous tiennent bien au courant des changements et nouveautés et nous veillons aussi à consulter pour être sûr que ce qu’on dit correspond toujours à la réalité.

Le Guide Social : Une fois votre journée de travail terminée, parvenez-vous suffisamment à vous déconnecter de votre travail ?

Sotieta Ngo : Ce n’est pas toujours facile, et ça l’était encore moins lorsque j’étais une jeune travailleuse. Certaines matières telles que la migration sont souvent chargées émotionnellement et psychologiquement. Les personnes qui fréquentent nos services connaissent souvent des grandes difficultés et une réelle précarité. Au sein de nos services, les jeunes travailleurs sont plus à risque de burn out et d’épuisement, surtout quand ils ont des idéaux et qu’ils se disent que les changements dépendent de leur charge de travail et de l’énergie qu’ils vont y mettre. J’ai moi aussi frôlé le burn out avant mes 30 ans. J’ai réussi à en sortir et ce qui facilite les choses, c’est que j’ai une vie de famille, ce qui permet de prendre conscience qu’il n’y a pas que mon activité professionnelle. Ce qui n’empêche pas mes enfants de trouver que je travaille encore trop, ce à quoi je leurs réponds que travailler, c’est le sort de la plupart des gens et que, surtout, je travaille dans un domaine qui me passionne. Et ça, ça n’a pas de prix.

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« Même si ce travail est une passion pour beaucoup, elle peut être dévorante »

Le Guide Social : Quel conseil donneriez-vous aux étudiants qui se destinent à ce secteur ?

Sotieta Ngo : C’est de mettre d’entrée de jeu des limites : cette matière ne dépend pas d’une seule personne et il faut se protéger. Pendant mon temps libre, je ne lis pas d’articles traitant de la migration, je ne regarde pas des films qui y sont consacrés, ni ne vais à des spectacles sur ce sujet.

Le Guide Social : Vous accompagnez beaucoup de gens en difficulté. Vous et votre équipe bénéficiez-vous aussi d’un accompagnement ?

Sotieta Ngo : Bien entendu. Pas un travailleur du Ciré ne peut dire sereinement que son travail n’impacte pas son état émotionnel. Tout le monde est concerné, même les collègues qui travaillent au service administratif. Des dispositifs sont mis en place : des supervisions, des formations qui peuvent être individuelles (un coaching pour gérer son stress par exemple), une mise au vert annuelle avec l’équipe... Nous sommes aussi très attentifs à ce qu’un travailleur ne dépasse pas ses heures de manière répétée : même si ce travail est une passion pour beaucoup, elle peut être dévorante.

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« L’immigration et les personnes en migration font l’objet de nombreux discours nauséabonds »

Le Guide Social : Le Ciré fête ses 70 ans et -pour le dire ironiquement- son succès ne s’est jamais démenti. Avez-vous malgré tout des raisons d’être optimiste ?

Sotieta Ngo : Je suis optimiste de nature, mais objectivement, la situation n’est pas bonne en matière de perception des enjeux migratoires, des personnes en migration et exilées. Les perspectives politiques sont délétères, en Belgique comme à l’échelle européenne ou mondiale. L’immigration et les personnes en migration font l’objet de nombreux discours nauséabonds.

Toutefois, je pense qu’il reste une lueur, car la migration fait partie de l’humanité et de la généalogie de très nombreux individus vivant en Belgique. On a beau entendre des discours de rejet, d’exclusion et de simplisme, mais c’est un leurre : les personnes migrantes sont déterminées et vont continuer à faire partie de notre quotidien. Il faudra bien faire avec. Et de manière très objective, les enjeux démographiques, économiques et sociaux placent les personnes étrangères exilées au coeur de nos préoccupations et des solutions qu’il faudra que les autorités acceptent d’envisager.

O.C.



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