Caritas Belgique : portrait d'une ASBL au service des migrants
"Là où il y a un besoin, il y a une Caritas." Plus qu’un simple slogan, cette devise de Caritas s’applique dans le quotidien des 160 employés de l’association. Une équipe qui, par son travail d’accueil, de soutien et d’intégration des personnes migrantes, œuvre chaque jour à venir en aide aux personnes physiquement et psychologiquement fragiles, ainsi qu’aux mineurs non-accompagnés.
Une mission large mais abordée au travers de projets ciblés
"Nous travaillons principalement sur l’accueil de première ligne", confie Anne Dussart (photo en médaillon), responsable Asile et Migration pour Caritas International Belgique, "mais aussi de manière générale sur tout ce qui est lié à la précarité des migrants en situation irrégulière, où on n’a pas de structures adaptées mais où on fait surtout de la réorientation et de l’accompagnement socio-juridique."
En parallèle, Caritas mène également trois projets plus spécifiques en Belgique :
- La tutelle des mineurs non-accompagnés, avec le soutien du SPF Justice
- Le retour volontaire, en partenariat avec l’OIM, afin de proposer un vrai parcours de réintégration lors du retour au pays d’origine.
- Les premiers pas vers l’intégration en Belgique
"Nous nous sommes rendus compte qu’après l’obtention d’un statut de réfugié, nombre sont celles et ceux qui ont du mal à s’intégrer dans le tissu social belge. Et c’est là que nous intervenons pour leur prêter assistance, notamment dans la recherche d’un logement, auprès de la commune, dans l’inscription à une mutuelle, etc."
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Plaider pour sauver, un combat quotidien
Avocate de formation, Anne Dussart est arrivée chez Caritas il y a de cela vingt ans, avec l’envie d’aller au-delà de la réponse juridique à l’immigration. "Lorsque j’exerçais au Barreau de Bruxelles, c’est le droit qui dictait notre conduite, sans forcément prendre en considération ce qui entourait ces situations. Et même dans le cas de dénouements positifs, la personne accompagnée restait tout autant démunie. Passer dans l’associatif a donc été un pas assez logique."
Le droit n’est cependant jamais loin, car l’activité de Caritas met à l’œuvre de nombreux juristes, en appui des collaborateurs de terrain actifs dans les différents projets évoqués ci-dessus.
"Notre activité implique beaucoup de défense et de plaidoyers, il faut se battre pour que ces personnes soient vues en tant que personne, pour sortir d’une vision négative de la migration. Transformer les réalités de terrain en dynamiques de sensibilisation à travers une communication adaptée, tout ceci fait partie de notre quotidien."
Et ce, autour de deux axes de plaidoyer principaux : d’une part, au niveau du droit, et des technicités de l’intégration ; de l’autre, au niveau des mentalités, tant celles de l’opinion publique que du politique. Mais toujours en partant des besoins du terrain.
L’accompagnement des équipes : la clé d’une stabilité
Caritas, pour accomplir ses missions, repose sur une équipe constituée de nombreux profils différents, mais également sur des volontaires, tout aussi investis et qui permettent de "changer le narratif sur la migration", ajoute Anne Dussart.
"Dans cet engrenage, les assistants sociaux et les éducateurs sont cruciaux. C’est un métier de la personne, souvent en one-to-one, difficile, et en pénurie. Il n’est pas facile de recruter dans ce domaine, qui plus est à Bruxelles, ville complexe où l’agressivité de la réalité est vécue au quotidien. Cela demande un vrai accompagnement, et c’est ce que nous nous efforçons de mettre en place."
Concrètement, cette volonté se traduit par une politique de "Soft HR", avec un travail de formation régulier et un accompagnement des acteurs de terrain au travers d’un middle management composé de coordinateurs eux aussi issus du terrain. Ceci afin que le feedback puisse être entendu, compris et assimilé dans la stratégie globale de Caritas.
"Nous travaillons actuellement sur une stratégie décennale pour pérenniser nos projets et porter nos équipes, avec l’appui renforcé de nos volontaires même si ceux-ci n’ont pas de responsabilités finales. Après la période de crises consécutives que nous venons de vivre, il est indispensable de pouvoir nous recentrer sur des missions bien définies et des projets clairs pour que nos équipes puissent envisager un avenir serein. Même si bien sûr, nous ne sommes pas à l’abri de coupures budgétaires ou d’un revirement de la part du politique."
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"Aujourd’hui, l’associatif et le politique ne font plus bon ménage"
Lorsqu’Anne Dussart a commencé sa carrière au sein de Caritas, associatif et politique échangeaient encore régulièrement. Mais à l’heure où la sécurité est devenue le mot fourre-tout en réponse aux politiques d’asile et d’immigration, les portes ne s’ouvrent plus aussi facilement.
"Ma frustration vient surtout du fait qu’aujourd’hui, j’ai l’impression que le monde associatif est perçu de manière très négative par le politique, et qu’on a plutôt tendance à nous écarter de la discussion. Nous restons donc vigilants, tout en étant par exemple dans le flou vis-à-vis du futur accord gouvernemental, sans réellement être consultés. Ce que l’on essaie de faire, c’est de s’allier avec d’autres associations pour se répartir le travail de lobbying, et donner de la voix."
À ce manque de réactivité s’ajoute aussi la difficulté de trouver des fonds, majoritairement publics même si Caritas peut également compter sur des fonds privés. Avec toute l’instrumentalisation qui peut en découler. "Nos budgets sont liés à des éléments très concrets. Si demain, on réduit nos financements, c’est le nombre de personnes que nous pourrons accompagner qui va diminuer. Et si récolter des fonds pour ces projets concrets est parfois plus facile, paradoxalement financer structurellement nos collaborateurs est plus abstrait. Cela crée un stress constant et un grand turn-over, car même si on essaie de garder les travailleurs en dehors de tout ça, ils ne sont pas naïfs. C’est pour cela aussi que l’on essaie de recentrer nos activités tout en offrant plus de constance à nos collaborateurs. Cela demande un certain pragmatisme, mais je pense que toute association en a besoin pour survivre aujourd’hui."
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Naviguer de concert dans un futur incertain
"J’ai peur pour le futur", nous confie Anne Dussart. "En Europe et en Belgique, on sent que l’on se dirige vers une politique migratoire moins humaine, dans laquelle notre travail est moins soutenu, plus difficile à faire entendre au monde politique. Mais notre réflexion stratégique se tient aussi dans ce sens, afin d’offrir de la clarté à nos équipes dans ce contexte géopolitique complexe et anxiogène. Nous devons aider nos collègues à être fiers de leur travail, à se sentir valorisés dans leur quotidien et dans leurs actions. En renforçant la cohésion et la connaissance des défis de chacun au travers d’échanges, afin que tout le monde puisse comprendre le quotidien des uns et des autres sur les différents projets. Et des premiers retours que nous avons eu, cette stratégie semble bien accueillie en interne."
Kévin Giraud
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