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Burn-out des sages-femmes : "Sortir de l’image de la super-héroïne !"

10/12/21
Burn-out des sages-femmes :

Le burn-out occupe malheureusement une place importante dans les titres de nos articles. Entre les risques chez les étudiant.e.s et les burn-out du personnel soignant, les sages-femmes n’y échappent pas. Aline Schoentjes, sage-femme chez Amala Espace de naissance, a abordé ce sujet lors d’une chronique sur la Première, le 10 novembre 2021. Elle nous a fait le plaisir de répondre à nos questions, mêlant connaissances du terrain et études scientifiques. Un échange passionnant qui montre l’urgence d’agir pour des naissances sereines et en toute conscience.

Lors de sa chronique, la sage-femme Aline Schoentjes a mis en avant les difficultés que rencontrent ses collègues à trouver un accord entre aspirations, attentes et possibilités qu’offrent le monde des soins toujours plus monétisé. Un message de bienveillance à l’adresse de ses collègues en particulier et à l’ensemble des travailleur.se.s du soin, en général. Elle a co-fondé l’association Amala Espace de naissance en 2010, association de sages-femmes indépendantes. A l’occasion de notre entretien, Aline Schoentjes dépeint le paysage d’un métier en souffrance dont les répercussions sur les patientes et leur progéniture peuvent être très graves.

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“On se shoote à la reconnaissance des gens !”

Le Guide Social : Le 10 novembre dernier, vous avez réalisé une chronique sur les ondes de la RTBF dédié au burn-out des sages-femmes. Pourquoi avez-vous choisi d’aborder cette thématique ? Quel a été son élément déclencheur ?

Aline Schoentjes : En 2018, une collègue est partie en burn-out. On était plusieurs sur le fil et suite à son départ on a recréé une équipe.

Ce burn-out en 2018 a été un fait marquant pour nous. On a réfléchi au niveau de l’organisation, de nos représentations : quelles sont nos croyances, comment on explose les limites de l’accompagnement au nom de.. , comment définit-on notre cadre émotionnel ?

Dans le cadre de cette réorganisation, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas beaucoup d’études autour des sages-femmes, encore moins concernant les indépendantes. De leur solitude.

Je voulais dresser le tableau de la situation actuelle et comprendre la part de l’individu dans le burn-out. L’OMS considère que c’est “ un syndrome résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès”. C’est un peu fort de faire porter l’échec de la gestion du stress sur l’individu, sans même questionner l’environnement professionnel et sociétal.

Quand on regarde le background historique du métier de sage-femme, l’ensemble des comportements et attitudes gravitent autour d’une mission : servir l’hôpital. Le.la soignant.e se sacrifie car il.elle s’identifie à cela. Cela relève d’une personnalité particulière, commune à l’ensemble du personnel soignant. Ainsi, si on lui enlève cela, qui est-il ? Je me suis posé la question de savoir, si l’identité de soignant.e est un refuge à d’autres identités qui peuvent être plus inconfortables.

Le Guide Social : Quels types d’identités ?

Aline Schoentjes : Par exemple, on peut voir des sages-femmes héroïques et exemplaires mais qui de fait, sont indisponibles en tant que mère. Mais le fait de recevoir les louanges ou une très grande reconnaissance des patientes est tellement valorisant, voir grisant que cette identité-là passe au-dessus. On se shoote à la reconnaissance des gens !

La croyance populaire du sacrifice de la part des soignants accentue ce fait. Et même entre nous, il y a cette croyance que nous devons tout porter pour pas grand-chose. Pas grand-chose dans le sens où nos tarifs doivent être accessibles à tout le monde. On ne veut pas s’avouer être au bout du rouleau.

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Besoin d’une médecine personnalisée

Le Guide Social : Vous parlez de traits de personnalité sacrificiels dans le “portrait” des sages-femmes qui mènent au burn-out. Quels sont-ils ?

Aline Schoentjes : Selon Lynch dans étude de 2002, les personnes travaillant dans le soin aux autres confrontées au burn-out sont passionnées et idéalistes. Stebnicki in Young et ses collaborateurs insistent, en 2015, sur le fait que c’est la forte présence d’empathie et de compassion qui mène à l’épuisement et la déconnexion de soi-même. Enfin, selon l’échelle de personnalité NEO - FFI, être agréable et aimable sont des facteurs prédisposant au burn-out.

Ces différents traits sont primordiaux dans l’exercice des soins de santé mais confrontés à un système médico-industriel où la performance et la disponibilité en tout temps sont de mises, ils mènent à des situations de burn-out.

Bien sûr, il faut être performant en tant que soignant mais cela demande du temps et des moyens. Or, dans les soins de santé, c’est l’industrie. On ne traite pas les malades en fonction de ce qu’ils.elles sont mais en fonction des protocoles. On veut appliquer la même chose à tout le monde alors que tout le monde est différent. C’est le contraire d’une médecine personnalisée qui prend en compte les antécédents et le fonctionnement du métabolisme par exemple. Si on n’affine pas la manière de traiter et d’accompagner les gens cela risque d’être compliqué en particulier pour les femmes qui accouchent.

Le Guide Social : C’est-à-dire ?

Aline Schoentjes : Il existe des situations où il y a une sage-femme pour trois ou quatre femmes en travail. Comment est-il possible de donner les soins adéquats ? C’est frustrant.

De plus, la naissance d’un individu fonde la vie du bébé. On ne veut pas mettre d’argent dans ses débuts de vie alors qu’on sait qu’il y aura des conséquences dans le futur. Des études montrent que les césariennes sont corrélées à un risque de diabète et d’obésité. Mais la césarienne est présentée comme normale. On ne prend pas le temps de donner toutes les informations concernant les risques et les bénéfices de telle ou telle pratique. Et malheureusement, toujours à cause du temps manquant, on propose rapidement la césarienne.

La course contre la montre concerne également l’accompagnement des femmes et augmente la frustration des sages-femmes. On ne peut pas faire notre travail correctement en agissant sur tout un ensemble de paramètres tels que la dimension psychique et le stress qui amènent des complications sur la grossesse, l’allaitement, la prématurité... Ces manquements entraînent des coûts sociétaux et psychiques.

Par exemple, des études montrent qu’en comparaison des femmes blanches, les femmes noires sont plus à risques de complications car elles font malheureusement face à des conditions de vie plus précaires. La solution proposée alors est le déclenchement. On voit bien qu’il n’y a pas de considération globale de la personne et de son environnement. Mais avec des consultations gynécologiques de 15 minutes et 20 minutes avec les sages-femmes, il n’y a pas de place pour l’émotionnel.

L’industrialisation du soin c’est la pire chose. Ça demande du temps de faire confiance et on n’a pas ce temps-là.

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“Répondre aux valeurs de la maman”

Le Guide Social : Qu’en est-il de la collaboration entre les gynécologues et les sages-femmes ?

Aline Schoentjes : Le métier de gynécologue répond à une tradition du pouvoir patriarcal : il sait, il faut donc se soumettre à l’autorité. Ceci amène souvent à ce qu’ils ne cherchent pas à savoir qui sont les gens. Le corps est perçu à travers des protocoles sécuritaires.

Cependant, les sages-femmes accèdent aux connaissances intimes des femmes. Il est donc primordial de créer un partenariat où chacun est à l’écoute pour faire les choix, les bons choix. C’est une question d’équilibre.

Le Guide Social : Le portrait que vous tirez dépeint une industrialisation de la santé.

Aline Schoentjes : Malheureusement oui. Alors qu’on ne peut pas réfléchir la santé en termes de rentabilité. Si on pense aux prématuré.e.s : cela coute cher à la naissance puis aussi quand ils.elles sont adultes car plus fragiles.

De plus, ce système amène des soignant.e.s à être maltraitant. Quand on est dedans, on ne se rend pas compte de ce qu’on fait et on devient maltraitant alors que l’une des missions principales de la sage-femme est de répondre aux valeurs de la maman.

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“Repenser le monde des soins autour des naissances”

Le Guide Social : Qu’envisagez-vous comme solutions concrètes afin d’améliorer cette triste réalité ?

Aline Schoentjes : Une meilleure formation des sages-femmes, plus longue et axée sur les dimensions psycho-sociales afin d’acquérir une conscience plus aigüe de son travail et une revalorisation financière.

Concernant les sages-femmes indépendantes, du point de vue individuel, il me semble qu’il faut travailler sur les croyances et redonner son importance au travail en équipe pour sortir de l’image de la sage-femme super-héroïne.

Au sein des hôpitaux, en priorité bien sûr, c’est d’avoir plus de personnel et repenser le système de soins de santé autour des naissances. En Angleterre, il existe des centres de naissances gérés par les sages-femmes qui développent une vraie collaboration avec les gynécologues.

Au Canada, ils ont élaboré la notion de patient-partenaire [collaboration entre les patient.e.s et professionnel.le.s de la santé pour apprendre l’un de l’autre et améliorer ensemble le système de santé]. C’est un concept qui permet la création d’une intelligence au lieu de subir un système.

Le Guide Social : Comment cela se traduit-il au sein de votre association ?

Aline Schoentjes : On se pose des vraies limites et on laisse une vraie place aux gynécologues au centre de ses compétences. Il y a un vrai échange mutuel qui se fait. Tout le monde y gagne.

Je prends souvent l’exemple de la fable indienne des aveugles et l’éléphant. Chacun des aveugles se situe à une partie différente de l’animal et le décrit en fonction de ce qu’il touche. Ainsi, pour l’un, l’éléphant s’identifie par une trompe, pour l’autre à son flanc, il est tel un mur, pour un autre encore au niveau des défenses, un éléphant est rond, lisse et pointu. La réalité de chacun est vraie et l’ensemble permet de considérer l’éléphant dans son entièreté. Les réalités de la maman, du gynécologue et des sages-femmes sont complémentaires et permettent une prise en charge optimale.

Propos recueillis par A. Teyssandier

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