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"Travailler pour Fedasil demande une flexibilité permanente"

26/02/20

Avant de devenir député fédéral en 2019, Hervé Rigot a travaillé durant près de vingt années pour Fedasil. Le socialiste a ainsi dirigé le centre d’accueil de Vielsalm avant de devenir directeur régional, en charge de la gestion des places d’accueil. Une expérience professionnelle riche qui résonne particulièrement aujourd’hui dans sa nouvelle fonction au sein de la Chambre des représentants.

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Guide Social : Vous avez travaillé durant de longues années pour Fedasil. Que retenez-vous de cette expérience dans l’accueil des demandeurs de protection internationale ?

Hervé Rigot : Ce fut une vraie richesse. C’est un travail hyper enrichissant. J’en retire de magnifiques moments, beaucoup de passion aussi. J’y suis resté 20 ans. Je suis donc toujours attentivement l’actualité de ce secteur et je ne manque donc pas d’interpeller la ministre Maggie De Block, sur les questions de migration. Je suis avant tout spécialisé dans le volet accueil. Le côté procédure d’asile, je connais beaucoup moins. Une chose est par contre certaine : je viens du terrain, j’aime le terrain, je sais que le terrain, c’est là où tout se met en œuvre, c’est là où on doit aller chercher l’info. Ce sont les différents acteurs qui doivent nous dire comment faire évoluer les choses pour que demain se fasse mieux.

"Les travailleurs sont confrontés à une instabilité au niveau de l’emploi… C’est particulièrement précaire"

Guide Social : La situation est compliquée dans les centres Fedasil. Les travailleurs doivent composer au quotidien avec une série de difficultés, de limites…

Hervé Rigot : Je vois de vraies similitudes entre les travailleurs de Fedasil et ceux qui œuvrent dans le milieu hospitalier : leur métier est une vocation et ce sont des passionnés. Oui, le personnel de Fedasil subit aussi des conditions de travail qui ne sont pas toujours évidentes. Non pas que l’agence en charge ne lui donne pas des moyens, elle les donne. Par contre, ce n’est pas le travail le plus populaire. Certainement pas. Les professionnels du secteur doivent faire face notamment à une flexibilité permanente car les flux de migrants évoluent tout le temps. Les travailleurs sont ainsi confrontés à une instabilité au niveau de l’emploi… On ouvre des places d’accueil, on ferme des places d’accueil avec des conséquences sur l’emploi. C’est particulièrement précaire. Et puis ils doivent également faire face de plus en plus souvent à la critique extérieure, au repli sur soi, à la stigmatisation ou encore à l’opposition de la pauvreté interne et finalement de cette pauvreté externe.

Guide Social : A chaque ministre de l’Asile et de la Migration, une politique différente… Le milieu doit donc faire preuve d’une adaptation constante, face aux visions parfois différentes imposées par les mandataires successifs. N’est-ce pas un peu schizophrénique ?

Hervé Rigot : Je pense que toutes les compétences le sont. Ce qu’il y a, c’est que la migration, depuis plusieurs années, depuis Theo Francken pour être précis, est devenue un enjeu politique pour certains. Cela mène à des orientations, des choix qui peuvent être dangereux. Theo Francken a vraiment surfé sur la question de la migration. Son attitude a renforcé la stigmatisation, le durcissement de la politique mais également le regard du citoyen sur la politique de migration. Tout cela ne nous a pas aidé en tant qu’agents, quand j’étais chez Fedasil. Ce fut particulièrement compliqué à gérer. Nous devions à cette époque mener une politique d’accueil fixée par un cadre légal alors qu’on avait un ministre qui nous desservait à chaque instant par sa communication. Aujourd’hui, avec la ministre Maggie De Block, ce qu’on peut lui reconnaître, c’est qu’elle est dans les lignes sur la procédure d’accueil… Elle est de droite mais elle est toujours dans les lignes. Le cadre légal est donc maintenu. Elle a hérité d’une situation provoquée par son prédécesseur qui a fermé les moyens en 2016, qui a fermé des places d’accueil, qui a réduit les effectifs.

"Les migrants ont droit à des conditions décentes d’accueil, un traitement humain, juste, légal"

Guide Social : La transmigration est également un enjeu fondamental…

Hervé Rigot : Fedasil est compétent pour l’accueil des demandeurs de protection internationale. Le rôle de l’Etat belge est d’accueillir ces personnes sur base de la convention de Genève. La question de la transmigration n’est pas résolue aujourd’hui. Tout le monde se renvoie la balle mais il ne faut pas nier les choses : tout cela est évidemment lié aux accords de Dublin qui définit quel état est compétent pour prendre en charge les demandeurs de protection internationale. Concrètement, le transmigrant n’introduit pas une demande chez nous et souhaite aller vers l’Angleterre. Dans ce contexte, la Belgique dit ce n’est pas à moi de gérer cette personne. De l’autre côté, l’Angleterre estime qu’elle n’a pas à s’occuper d’elle car cette dernière n’est pas sur son territoire. Ça démontre en tout cas une évidence : il est temps de réformer Dublin, pas de le supprimer mais de le revoir. C’est quand même incroyable de se dire, qu’en Belgique, il y a des transmigrants qui ne sont pas aidés au niveau humanitaire, qui ne sont pas pris en charge et qui sont dans des situations terribles. Au final, ce sont les citoyens qui prennent le relais, ce qui ne doit jamais être le cas dans une société.

Guide Social : Que préconisez-vous ?

Hervé Rigot : On doit avoir une politique européenne de solidarité entre tous les pays d’Europe et une politique européenne de solidarité à l’égard de celles et ceux qui sont dans les conditions d’introduire une demande de protection internationale. C’est essentiel à mon sens. Attention, le parti socialiste ne dit pas il faut l’ouverture des portes dans toutes les conditions, non. Il y a un cadre clair : la convention de Genève. Elle doit être appliquée et donc pendant ce processus de convention de Genève, de mise en œuvre, les demandeurs d’asile, les migrants ont droit à des conditions décentes d’accueil, un traitement humain, juste, légal. Et, au terme de la décision, si elle est positive, ils obtiennent le droit de séjourner. Si elle est négative, nous assistons à la fin d’un droit et donc à une obligation de retourner au pays ou en tout cas de dire ici votre parcours se termine. Effectivement, on doit aussi pouvoir le dire mais à ce niveau-là, encore, il y a une façon de mener une politique de retour.

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Propos recueillis par E.V.



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