Covid-19 : le bilan amer du personnel des maisons de repos...

Alors que le déconfinement se poursuit, le pire semble être passé lorsqu’on pense à la première vague de la crise sanitaire engendrée par le nouveau coronavirus. Forcément, l’heure est au bilan et, parmi les structures les plus durement touchées par le virus, on compte les maisons de repos en pole position. Avec plus de 4.400 morts recensés, ces centres d’hébergement ont payé un lourd tribut et fustigent la gestion de la crise pilotée par les autorités politiques.
Depuis le début de la crise, les maisons de repos ont à plusieurs reprises attiré l’attention des autorités sur leurs difficultés. L’absence d’équipements corrects a provoqué la contamination de nombreux résidents, mais également du personnel, rendant encore plus difficile la dispensation de soins corrects. De la même manière, l’absence de tests en nombre suffisants et assez tôt a empêché la régulation de la maladie, et largement compliqué la tâche des acteurs de terrain, qui ne pouvaient pas dépister leurs résidents. Aujourd’hui la situation s’améliore progressivement, avec notamment la reprise des visites de proches pour les personnes âgées. Mais les travailleurs n’oublient pas les manquements des autorités, loin de là.
La sensation qui domine le secteur, c’est celle d’avoir été dépassée. D’avoir été pris par l’ampleur de l’épidémie, sans avoir les moyens nécessaires pour élaborer une réponse efficace. Le premier mois, du 15 mars au 15 avril, aura été un calvaire pour beaucoup d’aide soignants, d’infirmiers, de médecins généralistes intervenant dans les maisons de repos.
Lorsque l’on contacte des maisons de repos durement touchées par l’épidémie, on observe une réticence à évoquer cette gestion de crise. Entre droit de réserve et refus de témoigner, les signes sont clairs : les stigmates de la crise sont très présents. Dans les rares témoignages qui sortent, les mots sont durs et lourds de sens. Une volontaire ayant prêté main forte à un CPAS bruxellois confie à la RTBF : « J’avais vraiment l’impression d’être un kamikaze. Dès que je touchais une vieille personne pour faire les soins, j’avais l’impression que je la tuais indirectement ».
« Les autorités nous ont laissé nous débrouiller »
Une chaîne de cause et de conséquences semble se dégager des témoignages recueillis par la RTBF. Le manque de matériel a impacté la présence du personnel, certains préférant se retirer pour se protéger et protéger leurs proches. Ce manque de personnel a fait drastiquement chuter la qualité des soins. Et ce manque de soins basiques, c’est-à-dire par exemple pour la sustentation ou l’hydratation des résidents, a parfois précipité leur mort. Une infirmière, travaillant dans une aile occupée par des personnes démentes, témoigne : « Je m’interroge de savoir est-ce que ces gens sont morts du COVID ou d’un manque de soins ? Dans ’manque de soins’, j’entends aussi qu’il n’y a pas assez de personnel pour les nourrir. On a vu les gens maigrir ».
Concernant le manque de matériel, beaucoup blâment les autorités. C’est le cas de Philippe Delsupehe, médecin généraliste qui travaille pour plusieurs maisons de repos à Uccle. Il regrette, au micro de la RTBF : « Les autorités nous ont laissé nous débrouiller ». Il parle même « d’euthanasie passive » en évoquant la décision des autorités de ne pas envoyer les malades des maisons de repos vers les hôpitaux.
Certains résidents se sont donc sentis abandonnés par les autorités : « On sait depuis janvier qu’une pandémie va se propager et on ne décide d’agir qu’en mars. Moi j’appelle ça de l’assassinat », témoigne une résidente de la maison de repos « Christalain » à la RTBF.
Le mea culpa d’Alain Maron
Autre point de tensions, le testing. L’absence de tests a prolongé l’isolement des personnes en maisons de repos. Avec des conséquences dramatiques. La RTBF raconte : « A la résidence Christalain, une résidente s’est suicidée. « Elle a mis fin à ses jours toute seule, et ça, ce n’est pas le Covid c’est la solitude », déplore le directeur. »
Si l’on sort du spectre du particulier pour s’intéresser au général, cette crise donne une voix aux personnes remettant en cause les politiques menées au détriment du secteur de la santé ces dernières années. Il faut dire que la diversité des détenteurs de compétences n’a pas arrangé les choses : au fédéral les stocks de matériel et de testing, et aux régions la gestion des maisons de repos.
Ce à quoi répond Alain Maron, le ministre bruxellois de la Santé. « On doit avoir l’honnêteté de dire que nous avons abordé la crise tout nus. Il n’y avait pas de plan d’urgence dans les maisons de repos. Nous avons dû le créer de toutes pièces. Cela a engendré un effet de retard dramatique. Il n’y avait pas non plus de stock stratégique au niveau de l’Etat fédéral. Nous sommes donc arrivés tout nus sans procédures et sans matériel. Et ça oui, c’est une erreur ». Faut avouée à moitié pardonnée ?
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