Un site de l'Agence pour le Non-Marchand
Informations, conseils et services pour le secteur associatif

Inédit à Bruxelles : Epicentre, un centre de soins pour une santé inclusive

19/06/23
Inédit à Bruxelles: Epicentre, un centre de soins pour une santé inclusive

Un nouvel acteur de la santé bruxelloise a ouvert ses portes en janvier 2023. Situé rue du Fort, le centre de santé inclusive Epicentre accueille 25 professionnel.les aux profils variés. Leur point commun ? Une pratique en dehors des injonctions normatives, centrée sur le bien-être psychique et physique des bénéficiaires. Reportage au cœur de ce centre unique et essentiel.

Depuis janvier 2023, un nouveau lieu a rejoint le paysage des structures de santé bruxelloises : Epicentre. Unique en son genre, l’espace propose un ensemble de pratiques psycho-corporelles pensé de manière inclusive. Les art-thérapeutes, sexologues, sophrologues, psychologues et autres professionnel.les s’inscrivent dans une pratique inclusive. Ils et elles prennent le contre-pied d’un milieu de la santé et du bien-être trop influencé par des normes de corps, de cultures, d’identités ou d’orientations sexuelles. C’est bien les spécificités des minorités que l’équipe d’Epicentre pense, réfléchit et prend en compte afin que chacun et chacune soit considéré.es dans son entierté tout au long du processus de soins.

Nous sommes accueillis par Noah Gottlob, également co-fondateur de l’ASBL Transkids, qui apporte soutien et informations aux enfants transgenres ainsi qu’à leurs parents. Il coordonne le centre de soins aux côtés d’Anissa, anthropologue et chargée du projet « Expert.e de ma santé » (avec le soutien equal.brussels), de Lina, assistante en psychologie qui assure la logistique et Laurianne, support à la coordination et chargée de projets.

Au-delà de la coordination générale, Noah Gottlob travaille à la création d’un guide des pratiques de soins inclusives, soutenu par le Service Egalité de chances. Il exerce également en tant que psychologue au sein du centre : « Les formations différentes de cette équipe apportent de multiples éclairages essentiels à une vision élargie de l’inclusivité ».

 Lire aussi : Cindy, puéricultrice : l’inclusion dès la crèche

« Des postures professionnelles conscientes des injonctions normatives »

En effet, le maître mot de l’espace de soins est l’inclusivité. Quand on lui demande ce qu’il entend par ce terme, Noah Gottlob précise : « La santé inclusive est une santé qui permet de voir l’autre dans ce qu’il.elle est, peu importe son propre cadre normatif (NDLR : cadre qui définit nos références et ainsi ce que nous considérons comme normal). La question est de se demander ce que l’on fait au-delà de ce cadre. Nous partons de l’idée qu’il faut l’élargir, pousser les murs ou construire des ouvertures pour fournir un accompagnement qui respecte les demandes et les besoins de la personne. »

Toute l’attention est portée sur l’adoption d’une posture professionnelle consciente des injonctions normatives (orientations sexuelles, identités de genre, diversité des corps, invalidité, parcours de vie particuliers et cultures d’origine) considérées comme « saines ». Noah Gottlob ajoute : « Notre vision de la santé inclusive est très large. Ainsi, appartenir à une certaine minorité n’est pas une condition pour avoir accès aux soins d’Epicentre. Notre centre est ouvert à toutes personnes désireuses d’avoir un suivi de santé avec la considération de certains éléments inconsidérés ou jugés dans d’autres structures. Nous recevons des patient.es qui sont incrit.es dans la norme hétéro-cis mais qui expriment le besoin d’un espace thérapeutique pouvant la dépasser. »

L’inclusivité à laquelle s’identifie Epicentre englobe donc la proposition de pratiques professionnel.les pensées dans une prise en compte globale des vécus et identités mais aussi à travers une implémentation géographique facilitante (proche de la gare du Midi) et un accès financier pour tous.tes : « Nous avons instauré le principe du ’Robin des bois consenti’, c’est-à-dire que les personnes paient en fonction de leurs ressources en fonction d’un prix de base. »

Cependant, il précise : « Nous sommes comme un plan B. Le plan A serait que toutes les structures de soins deviennent inclusives, mais comme ce n’est pas le cas, nous créons Epicentre. » D’où son nom : « L’épicentre du séisme génère des ondes autour de lui, il se propage, comme nous l’espérons pour la thématique des pratiques de soins inclusives. »

« Si on ne parle pas de certaines pratiques, le diagnostic est biaisé et inadapté »

« Globalement, deux tiers des populations concernées par les thématiques LGBTQIA+ ont déserté les systèmes de soins ou se taisent sur certaines pratiques connotées négativement par la société. Malheureusement, si on ne parle pas de certaines pratiques, le diagnostic est biaisé et inadapté, avec les conséquences que l’on peut imaginer », regrette le coordinateur. Les populations LGBTQIA+ ne sont pas les seules concernées par cette réalité discriminante : « Plus de 60% de femmes en surpoids ayant consulté un généraliste pour avoir la pilule du lendemain, se sont vues octroyer une dose calibrée en fonction des poids normatifs. Elles n’ont alors pas pu bénéficier des effets du traitement car le médecin, dans un réflexe normatif, soigne la norme. » C’est à cette réalité alarmante que Noah Gottlob a souhaité répondre à travers la création d’Epicentre.

Une autre réalité a inspiré le coordinateur : la difficulté pour certain.es professionnel.les de proposer des pratiques inclusives au sein de leur structure : « Au vue des nombreuses sollicitations de professionnel.les et patient.es à la création de Transkids, j’ai pris conscience du besoin criant d’une clinique non-normative. J’ai donc eu envie de faire équipe, au sens large. J’en ai parlé autour de moi et j’ai rencontré la directrice d’O’Yes. Quand l’association a trouvé le bâtiment rue du Fort, elle m’a contacté m’indiquant qu’il y avait la place pour faire le centre dont je rêvais. C’était le début de l’aventure. »

« Nous sommes très attentifs à l’impact de nos pratiques »

Le centre compte aujourd’hui 25 professionnel.les en interne qui proposent 14 pratiques différentes : shiatsu, yoga, groupes de paroles, art-thérapie, sexologie, sophrologie, thérapie relationnelle, Gestallt-thérapie mais aussi visites médicales. « Beaucoup de praticien.nes débutent leur pratique ici. Cela traduit notre volonté de mettre en place une politique d’accessibilité pour les jeunes praticien.nes, grâce à la proposition d’un loyer à bas prix. Nous sommes très attentif.ves à l’impact de nos pratiques sur nos bénéficiaires et mettons un point d’honneur à poser un regard critique sur celles-ci. Cela nous permet ainsi d’identifier les nouvelles connaissances à acquérir. »

Pour cela, bien qu’indépendant.es dans leurs pratiques, les professionnel.les du centre s’engagent à suivre des formations mais aussi à s’investir dans la vie institutionnelle du centre et à participer aux réunions et supervisions. « Nous sommes autant animés par l’objectif de donner accès à un cadre de soins que de pouvoir maintenir le mouvement de remise en question perpétuel. »

Ce point de vigilance est renforcé à travers la mise en place d’une fiche indiquant les domaines dans lesquels les praticien.nes se considèrent compétent.es pour intervenir : « Accueillir les problématiques de genre ou d’orientations sexuelles, peut dans certain cas, demander certaines connaissances. Ainsi, les bénéficiaires ont la possibilité de vérifier, sur le site, dans quelles pratiques les praticien.nes se sentent capables d’intervenir. »

Les bénéficiaires jouent également un rôle central dans le fonctionnement de la structure. Ils.elles sont invité.es à partager de ressources inclusives inspirantes, des évènements collectifs, des bonnes adresses ou encore à nourrir une bibliothèque partagée. La patientèle est également considérée comme experte de son vécu, donc ressource privilégiée dans la réduction et prévention d’attitudes et comportements néfastes. Pour ce faire, le centre encourage les patient.es à envoyer leurs retours à l’issue des consultations.

La formation des professionnel.les

Afin que le « plan A » puisse voir le jour, la formation des professionnel.les et étudiant.es est centrale. Tournée vers l’extérieur, l’équipe de coordination propose des modules de formation à l’accueil et l’accompagnement inclusifs : « Comme j’ai pu le vivre, il peut être difficile pour certain.es professionnel.les d’introduire ces pratiques au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Certain.es se retrouvent isolé.es voir stigmatisé.es. Nous proposons donc des formations en externe auprès d’institutions comme les hôpitaux, les maisons médicales, les centres de planning familial ou encore les CPMS mais aussi les futur.es praticien.nes au sein des Hautes-Ecoles. » Et les demandes sont nombreuses, émanant aussi d’assistant.es sociaux.ales ou d’éducateur.rices peu outillé.es face à des situations qu’ils demandent à maîtriser, notamment, les notions de genre.

Le soin esthétique : « Une porte d’entrée à d’autres soins »

Ce mois de juin, une médecin généraliste avec une expérience en gynécologie a rejoint le centre. Mais d’autres projets sont en cours, notamment, la proposition de soins esthétiques. Pour Noah Gottlob : « Le nail’art propose un rapport au corps très thérapeutique. Il permet la réappropriation du corps et la visibilisation de quelque chose de soi dans l’espace public. Face à la désertification que nous avons mentionnée, le seul soin qui reste en relation avec soi, peut-être le soin esthétique. En cela, il représente une possible porte d’entrée à d’autres soins. »

Le projet CECSI

Epicentre s’inscrit dans un projet de plus grande ampleur à travers le Centre Evras Collaboratif de Santé Inclusive (CECSI) en partenariat avec O’Yes. L’idée est de développer des liens plus étendus avec le tissu associatif belge afin de mutualiser les expertises, les points de vue et de co-créer des supports de formations.

Ainsi, le bâtiment qui accueille l’ASBL O’Yes et Epicentre met à disposition des espaces à des associations qui souhaitent mettre en place des conférences ou des projets ponctuels. Noah Gottlib souligne : « Ce genre d’offre est essentiel pour un secteur saturé de demandes. Au plus on peut créer de ponts avec des structures et donc avec leurs domaines de pratiques et leurs expertises, au plus notre projet a de sens. »

« Une ressource clé pour les thématiques de soins, d’inclusivité et queer »

Alors que nous quittons le bureau de Noah, nous rencontrons Ariane Poisson, praticienne somatique au sein du centre depuis son ouverture. Cette pratique lie le récit d’une personne à la pratique du touché qui, à travers des tremblements ou des muscles qui se contractent, permet de prendre conscience de l’expression du corps.

Alors qu’elle exerce déjà dans un autre centre à Schaerbeek, elle nous explique qu’elle recherchait un nouveau lieu, où il lui est possible de lier soins et politique : « Dans la pratique de la somatique, il y a un lien fort entre le soin et le politique. Les systèmes oppressifs jouent sur les corps, sur les postures et dans l’expression de nos émotions. En agissant sur les postures, la pratique somatique agit sur la manière de vivre le monde. » Elle apprécie particulièrement le développement possible de partenariats avec d’autres associations et notamment avec O’Yes qui offre un espace où il est facile et « safe » d’aborder la sexualité. Quand on lui demande ce qu’elle souhaite pour le futur d’Epicentre, elle arbore un grand sourire : « Un maximum de bonnes choses ! Beaucoup de collaborations et de formations externes. Je souhaite qu’Epicentre soit reconnu comme ressource clé pour les thématiques de soins, d’inclusivité et queer. »

A.Teyssandier



Ajouter un commentaire à l'article





« Retour