"La confiance des soignants envers le gouvernement est de plus en plus faible"
Carine Rosteleur, permanente syndicale à la CGSP, revient pour le Guide Social sur son expérience d’infirmière dans une unité Covid-19. Elle évoque également l’après. Entre la peur de voir déferler sur le pays une deuxième vague et l’espoir que les politiques entendent enfin les revendications exprimées par les professionnels de la santé.
Après une carrière en réanimation adulte et en pédiatrie, Carine Rosteleur a donné à son engagement professionnel un nouvel élan en devenant permanente syndicale à la CGSP. La crise du Covid-19 a rapidement interpellé l’ancienne infirmière, notamment après les nombreux témoignages de ses collègues lui indiquant qu’ils étaient dépassés par les événements. A la suite d’une prise de contact avec les différents directeurs du réseau hospitalier ainsi qu’une inscription sur une plateforme dédiée au bénévolat, Carine Rosteleur a finalement intégré une unité de réanimation Covid-19.
« Je suis arrivée dans l’unité vers mai, la procédure était vraiment rodée à ce moment-là. Il y avait le personnel nécessaire dans ces fameuses unités centrées sur le virus. Cela n’était pas toujours le cas au début. Là en mai, les réajustements avaient été faits au niveau des équipes », note-t-elle.
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Choix et confiance
Pour elle, prendre en charge un patient atteint du Covid-19 est épuisant du fait de l’équipement et des mesures de protection. Cependant, cela ne diffère que très peu de l’ordinaire, au final. Ce qui diffère et rend l’exercice actuel épuisant, c’est la charge psychosociale et physique qui est alourdie par le caractère imprévisible du virus et le port d’équipements de protections individuelles.
« Les soignants ont fait confiance aux responsables de leurs institutions, aux scientifiques ainsi qu’aux politiques. Mais cette confiance a été ébranlée du fait des mensonges, des cachotteries, du manque de moyens à la fois financier et matériel. En tant que syndicat, nous leur avons dit de faire attention et d’être cohérent dans leur action et leur parole, qu’ils s’adressaient à des professionnels de la santé connaissant leur métier. Vous ne pouvez pas faire de la magie, on est tous d’accord avec cela, cependant, il faut rester humble. Il faut savoir dire la vérité au sujet des masques par exemple et proposer des alternatives », analyse-t-elle.
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La faillibilité comme réalité
Outre le fait de mettre en place une organisation solide et efficace dans l’urgence, le facteur émotionnel et humain peut représenter une charge psychosociale importante en plus de la surcharge de travail. Avec le déconfinement, il peut se passer plusieurs biais cognitifs conduisant à se relâcher ou à ne pas prendre la mesure de la période qui vient de se passer.
« Il faut se rendre compte de ce qu’est réellement le Covid-19 dans sa forme la plus brutale. Des patients sont restés trois ou quatre semaines en soins intensifs, parfois même plusieurs mois. Ils sont maintenant dans des centres de revalidation pour remuscler et rebondir mentalement. Là où cela a été difficile pour le secteur, c’est qu’au début il y a eu beaucoup de décès. Cela interpelle et nous renvoie à la gravité réelle de la situation et non à un fantasme. On est renvoyé à la condition de mourir, au fait qu’on a aucun traitement efficace pour soigner ce nouveau virus. »
La peur d’une deuxième vague
La ministre Maggie De Block souhaite que les hôpitaux, en cas de deuxième vague, soient en mesure d’avoir une capacité de 60% des lits pour les patients Covid-19 en moins d’une semaine. Ce qui veut dire qu’en sept jours, il faudrait faire un choix entre les patients atteints d’autres pathologies pour savoir qui doit rester et qui doit laisser sa place. Outre le fait moral et éthique que cela induit, c’est la volonté politique de la ministre qui pose un véritable problème pour les directeurs des hôpitaux comme pour les différents professionnels. L’impact de ces décisions est évidemment humain mais également financier. Les pertes de budget liées à l’arrêt des activités pour prendre en charge les patients Covid-19 ont déjà plongés les finances des hôpitaux dans le rouge vif. Le gouvernement à l’heure actuelle, compense le surcoût de la prise en charge des patients, mais il ne compense pas le déficit lié à la perte des activités.
« On a peur d’une deuxième vague. On est toujours mobilisé dans les hôpitaux, l’attention ne baisse pas, on se prépare. Le souci, c’est de jongler entre une prise en charge en temps normal des patients, à une prise en charge massive de patients Covid », précise la secrétaire permanente à la CGSP.
Une lueur d’espoir...
Cependant, pour les syndicats, il y a quelques points positifs qui peuvent donner espoir. Cette crise a permis de réveiller les négociations aux niveaux régional et fédéral qui étaient quasiment au point mort depuis quatre ans. « Au niveau fédéral, c’est tout simplement immonde depuis quatre ans. Il n’y a aucune volonté de dialogue social. Les réunions n’avaient pas d’ordre du jour, il n’y avait pas de documents de travail. De plus, les réunions étaient en néerlandais sans traduction simultanée sur des termes techniques. Maintenant, à la suite de la crise, on a le droit à un ordre du jour à chaque réunion, à la traduction en direct. Madame Maggie De Block sait qu’elle est obligée de mettre en place un dialogue social réel en cette période. »
Même si le dialogue social semble rouvert à la suite de cette crise sanitaire, la réelle différence, c’est le regard de l’opinion publique et la mobilisation incessante des travailleurs de la santé. Les politiques, avec la crise, semblent plus aptes à entendre et comprendre les revendications. « Le seul avantage de cette crise, se trouve dans notre capacité actuelle à faire prendre conscience aux gens de la situation du secteur non-marchand depuis des années », conclut Carine Rosteleur.
B.T.
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