Un site de l'Agence pour le Non-Marchand
Informations, conseils et services pour le secteur associatif

"La crise sociale ? Pour les politiques, ce n’est pas urgent !"

15/06/20

Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des Services Sociaux, est l’unique représentante du secteur non-marchand dans le GEES. Au sein de ce groupe de travail en charge du déconfinement, elle a donc la lourde tâche de faire entendre la voix du social. Une tâche ardue, tant le monde politique ne semble pas prendre la mesure des dommages sociaux colossaux causés par la crise sanitaire. Céline Nieuwenhuys revient pour le Guide Social sur cette mission sensible. Interview.

Guide Social : Comment vous êtes-vous retrouvée dans le groupe d’experts pour la stratégie de déconfinement, constitué par la Première ministre Sophie Wilmès ?

Celine Nieuwenhuys : Au tout début de la propagation du virus, j’ai reçu un appel du virologue Emmanuel André. Il m’a fait part des expériences antérieures. Ainsi, on sait que les crises sanitaires de grande ampleur ont un impact conséquent sur la situation sociale de la population. Les épidémies qui ont touché dans le passé certains pays ont eu des effets considérables sur les publics précaires. En gros, ce sont toujours les premiers à trinquer. Emmanuel André m’a donc demandé de lui fournir des propositions afin de faciliter l’accès aux services sociaux des personnes vulnérables. Quelques semaines plus tard, lors de la constitution du groupe d’experts pour le déconfinement, mon nom a circulé. Pour endosser cette mission de représentation du secteur social, il fallait en effet être une femme (le quota d’hommes était atteint), ne pas être étiquetée politiquement et ne pas être « une militante de la première heure ». C’était un peu le jeu du qui est-ce ! Et donc, un jour, j’ai reçu un coup de téléphone me proposant d’intégrer le groupe de travail.

Guide Social : Un appel de Sophie Wilmès en personne…

Celine Nieuwenhuys : Exactement. Je ne m’y attendais vraiment pas. Honnêtement, pour moi, il n’y avait aucune chance que Sophie Wilmès retienne mon nom. Il y a beaucoup de gens d’expérience dans le domaine. Et puis, la FdSS est un peu militante tout de même. Certes, je n’ai pas de carte de parti mais je ne suis pas neutre politiquement. Quand j’ai reçu ce coup de fil pour me proposer de participer à ce groupe, j’avoue ne pas avoir entièrement mesuré la teneur de l’appel et encore moins l’ampleur de la tâche. Je pensais que c’était seulement un énième nouveau groupe de travail. C’est tout. Je n’avais pas mesuré que j’allais devoir travailler jour et nuit et ce durant des semaines.

"Quand on parle de pauvreté, ce sujet semble bien plus politique que quand on évoque l’économie…"

Guide Social : N’aviez-vous pas peur d’être uniquement là pour faire de la figuration face à des acteurs principalement issus des mondes économique et scientifique ?

Céline Nieuwenhuys : Est-ce que j’ai eu peur de ne pas être écoutée, d’être en quelque sorte un OVNI ? Evidemment. Mais, assez rapidement, je me suis rendu compte que dans le groupe d’experts, ma sensibilité aux questions sociales et humaines était partagée. Je n’étais pas la seule à me préoccuper de la population de manière globale et plus spécifiquement des publics fragilisés. La Première ministre n’avait pas anticipé la place que pourrait prendre les sensibilités politiques de chaque expert... Or, la neutralité n’existe pas. Quand on voit l’ensemble des expositions médiatiques des différents experts du GEES, on constate que chacun et chacune ont des avis sur les mesures à prendre ou prises par le gouvernement. Honnêtement, je ne me suis pas sentie seule face à ces thématiques, même si nous sommes issus de disciplines et de secteurs variés. Dans les rapports du groupe, qui viennent d’être diffusés sur internet, on constate des propositions assez fortes sur les questions sociales.

Guide Social : Vous êtes-vous sentie entendue ou au moins écoutée par les mandataires politiques ? Les questions sociales soulevées par les membres du GEES sont-elles prises au sérieux par le gouvernement ?

Céline Nieuwenhuys : Les questions relatives au social mais aussi à la santé mentale ne se sont jamais retrouvées à l’ordre du jour des Comités de concertation, composé de ministres du gouvernement fédéral et des gouvernements des Communautés et Régions. Ces thématiques, le gouvernement n’y a pas fait place pendant les premières semaines de travail. Probablement que les sorties médiatiques de nombreux acteurs sur ces sujets ont participé à leur mise à l’agenda politique. La plus grande difficulté ? Quand on parle de pauvreté, ce sujet semble bien plus politique que quand on évoque l’économie… Les questions liées au B2B ou B2C apparaissent d’une neutralité implacable. C’est simple : c’est fermé et on rouvre. Par contre, quand on plaide pour la mise en place d’aides pour soutenir les gens qui vivent des minima sociaux, qui rencontrent des difficultés énormes suite au Covid, là, c’est accueilli comme une proposition éminemment politique. Le gouvernement part du postulat que la pauvreté existait avant, qu’elle n’est pas un dommage collatéral de la crise sanitaire. La crise sociale ? Pour les politiques, ça commence par la relance de l’économie, effectivement nécessaire mais qu’en est-il de ceux qui en étaient déjà exclus avant.

"L’automatisation de l’accès aux droits est primordiale"

Guide Social : On ressent chez certains élus une déconnexion par rapport à certaines réalités vécue par la population lors du confinement…

Céline Nieuwenhuys : C’est problématique de ne pas considérer la situation d’une partie de la population. Un exemple ? Deux millions de personnes mis en télétravail et aucune solution concrète n’a été mise en place pour leurs enfants. C’est inimaginable... Et pourtant, cette question ne paraissait pas être une urgence pour les politiques. Pour eux, ces travailleurs n’ont qu’à prendre le congé parental. Ils n’ont probablement pas idée de ce que c’est que de vivre avec 900 euros par mois. Une bonne partie des experts vivent normalement et ont conscience des difficultés rencontrées par la population. C’est l’agenda imposé par le politique qui a rendu difficile les discussions sur les questions humaines. Pour lui, ces points ne sont pas prioritaires, ni urgents dans la stratégie de déconfinement. J’ai été étonnée de ce faible intérêt. Ces questions n’ont d’ailleurs jamais été abordées en conférence de presse du gouvernement.

Guide Social : Quelles sont, selon vous, les mesures prioritaires à mettre en place pour soutenir la population ? Que réclamez-vous ?

Céline Nieuwenhuys : La FdSS ainsi qu’une série d’acteurs de la lutte contre la pauvreté ont participé à deux groupes de travail dédiés à l’impact social de la pandémie ainsi qu’à la santé mentale. Cette consultation du terrain a mis en exergue une série de recommandations. Il y a notamment l’importance de transformer une partie de l’aide alimentaire en chèques alimentaires. Une proposition qui a très vite été mise sur la table du GEES. Elle est essentielle pour lutter contre les files immenses de bénéficiaires. Cette situation empêche le respect de la distanciation sociale. Nous plaidons aussi pour offrir un soutien financier aux personnes qui ont accusé une perte de revenus importante ou qui connaissent actuellement de gros soucis financiers. Nous pointons aussi l’importance d’accorder une couverture santé correcte à l’ensemble des personnes qui se trouvent sur le territoire.

L’automatisation de l’accès aux droits est également primordiale. Il faut supprimer les vérifications permettant de pouvoir bénéficier par exemple des colis alimentaires ou des aides du CPAS. Quand on voit les mesures prises récemment comme le chèque consommation de 300 euros, on se dit qu’on est encore loin du but... Le gouvernement n’exprime pas de réelles inquiétudes pour les vrais précaires, pour ceux qui ne peuvent plus rien consommer.

Guide Social : Vous avez encore du pain sur la planche !

Celine Nieuwenhuys : Si le mandat du GEES va probablement prendre fin, le travail de la FdSS (et des autres acteurs de lutte contre la pauvreté et associations de terrain) n’est pas près de se terminer, ça, c’est clair. En fait, il ne fait que commencer.

Propos recueillis par E.V.



Ajouter un commentaire à l'article





« Retour