Santé mentale des Wallons, entre intentions politiques et réalités de terrain des psychologues : la DPR décryptée par Quentin Vassart
“Volontarisme assumé”, allègement de la charge administrative, soutien au secteur et possible pérennisation des emplois créés au travers du plan de relance wallon, la DPR du gouvernement wallon publiée cet été par le MR - Les Engagés fait la part belle au secteur de la santé mentale. Qu’en pensent les professionnels de terrain, et quels seront les défis concrets de cette prochaine législature ? Quentin Vassart, président de l’Union Professionnelle des Psychologues Cliniciens Francophones & Germanophones (UPPCF) et psychologue clinicien en pratique libérale à Huy a répondu à nos questions.
Le Guide Social : Que pensez-vous de cette déclaration de politique régionale et de cette attention portée à la santé mentale des Wallons ?
Quentin Vassart : On peut saluer cette prise de positions, notamment vis-à-vis de l’accessibilité des soins de première ligne. Il ne faut cependant pas oublier la seconde ligne, ainsi que les traitements spécialisés. Depuis plusieurs années, les milieux hospitaliers sont peu ou pas financés, et les mesures temporaires qui sont mises en place dans les situations de crise que nous avons pu vivre ne résolvent pas les problèmes structurels, tout en témoignant d’une vision court-termiste.
C’est le cas du plan Get Up Wallonia et de son volet dédié à la santé mentale qui a été mis en place suite à la crise Covid. Le gouvernement précédent ne s’est pas avancé pour pérenniser ces emplois, et actuellement ces travailleurs sont toujours dépendants des subsides sans garantie de continuité. Et cela crée une incertitude autant pour les professionnels que pour les patients.
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« Cela risque de créer une psychologie à deux vitesses »
Le Guide Social : L’accessibilité, un des grands défis de cette législature ?
Quentin Vassart : Je ne connais pas un service de santé mentale en Wallonie qui ne soit pas saturé, avec des délais d’attente de 6 à 9 mois par endroits. Et cette saturation des services conduit à un renvoi vers les psychologues de première ligne, qui sont eux subsidiés par le fédéral, et eux-mêmes sont saturés également. Il y a des choses qui ont été mises en place, c’est indéniable, mais il faut maintenant intégrer ces différents niveaux et garantir cette accessibilité.
À l’heure actuelle, il y a un déséquilibre énorme entre l’offre et la demande, avec en plus un gap qui se creuse au sein de la profession entre les psychologues conventionnés et ceux non-conventionnés. Mais pour ces derniers, ce n’est pas un choix, c’est simplement une faute de moyens et n’a d’ailleurs rien à voir avec la qualité du suivi proposé. À terme, cela risque de créer une psychologie à deux vitesses, avec d’une part un système de tiers-payant avec des tarifs abordables, et de l’autre un tarif plein sans remboursement.
Le Guide Social : Avez-vous été en contact avec les nouveaux cabinets ministériels sur ces problématiques ?
Quentin Vassart : Les débuts sont prometteurs. Notre organisation faîtière a déjà été consultée par le cabinet Degryse, en lien avec le volet enseignement et trajets professionnels, et nous avons eu l’occasion cette semaine d’entrer en contact avec le cabinet du ministre Coppieters, dans le cadre du projet d’aide psychologique PFAS en cours de développement. Un ministère qui n’était pas forcément accessible et réactif par rapport aux problématiques que j’évoquais plus tôt, c’est donc très encourageant et qui devrait pouvoir se poursuivre.
Cette prise de contact est également primordiale pour un autre volet, celui de la santé environnementale, qui est un défi majeur pour les générations actuelles et futures. Avoir un ministre régional qui combine ces deux compétences est pour moi un signe positif, et nous espérons que cela pourra faciliter la prise en charge de cette santé qui pose aussi de nombreuses questions en termes de territorialité et de prise en charge.
« Notre demande ? Un dépassement du court-termisme ! »
Le Guide Social : Par rapport à la prise en charge, la DPR mentionne également une volonté d’alléger le volet administratif de celle-ci.
Quentin Vassart : Ce qui me semble important, c’est en tout cas une meilleure intégration dans les différents niveaux de pouvoir. Le nouveau report du stage de pratique professionnelle supervisée pour les psychologues cliniciens démontre de la difficulté d’avoir une vision intégrée de la problématique, et des agréments professionnels. Le fédéral n’a rien prévu en la matière, et renvoie la responsabilité au terrain de créer la richesse nécessaire pour ouvrir les postes. Ce qui est totalement infaisable pour des institutions déjà exsangues.
Au-delà de cet aspect du problème, le morcellement des niveaux de pouvoir n’aide pas à la compréhension ni des patients, ni des psychologues eux-mêmes qui se perdent parfois dans des dédales administratifs. Ce qui nuit autant à la lisibilité de l’offre qu’à son accessibilité. À la première lecture, cette DPR va dans le bon sens, en prônant plus de transversalité et une meilleure intégration dans le monde du travail et dans les luttes contre la précarité ou contre les violences faites aux femmes.
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Le Guide Social : Vous êtes donc optimiste vis-à-vis de cette politique gouvernementale ?
Quentin Vassart : Jusqu’à présent. Il faudra voir si ces intentions se concrétisent dans de vrais actes politiques. Cet été, nous avons été sollicités pour un projet bien spécifique par le fédéral autour de la santé mentale liée à l’entrée en maison de repos/maison de soins pour personnes âgées. Une problématique qui touche autant les patients que les soignants, et qui représente un coût énorme pour la sécurité sociale. Après plusieurs semaines de travail, on nous a finalement expliqué que sous prétexte d’économies en 2025, le projet n’avait même pas été présenté. Si l’on sollicite le terrain dans une approche bottom-up, ce que nous préconisons, ce n’est pas pour placer de faux espoirs dans la profession.
Pour résumer, c’est ce dépassement du court-termisme que nous sollicitons pour le secteur.
Propos recueillis par Kévin Giraud
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