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Une thèse sur l’estime de soi des étudiants infirmiers : « Plus elle est élevée, moins ils abandonnent ! »

14/03/23
Une thèse sur l'estime de soi des étudiants infirmiers : « Plus elle est élevée, moins ils abandonnent ! »

Les études peuvent parfois être une véritable source de stress et d’angoisse. Ces sentiments peuvent impacter lourdement l’estime de soi de l’étudiant, surtout lorsque cette dernière est déjà faible. Les études d’infirmiers n’y font pas exception. D’après Jacinthe Dancot, l’estime de soi reste stable, en moyenne, chez les étudiants qui réussissent. Cette maître de conférence à l’université de Liège, coordinatrice de la section soins infirmiers à la Haute Ecole Robert Schuman, a été récompensée du prix Philippe Maystadt pour sa thèse dédiée au lien entre l’estime de soi de l’étudiant et le développement de la compétence clinique. Le Guide Social est allé à sa rencontre.

Les stages et plus généralement les études suscitent régulièrement un mal-être chez certains étudiants infirmiers. Remarques négatives, absence de feedback positif ou de marque de gratitude à l’issue d’une journée de travail ne pas appeler l’étudiant par son prénom... Des « petites choses » qui, bien que insignifiantes aux yeux des professionnels, peuvent avoir de lourdes répercussions. Or, si l’estime de soi de l’étudiant diminue, son apprentissage risque fortement d’en pâtir. Jacinthe Dancot, professeure d’université et coordinatrice de la section soins infirmiers à HERS a mené des recherches pour identifier le lien entre estime de soi et développement des compétences cliniques des étudiants infirmiers. Une thèse sur la « Contribution à l’exploration de l’estime de soi des étudiants infirmiers et de son lien avec le développement de la compétence clinique » , récompensée du prix Philippe Maystadt, qu’elle a réalisée en un peu moins de sept ans.

« Une fois qu’ils arrivent sur le terrain, les jeunes rencontrent des infirmiers qui n’ont plus envie d’exercer cette profession et qui le font sentir »

Le Guide Social : Dans le cadre de vos recherches, vous avez interrogé des étudiants. Comment avez-vous procédé ?

Jacinthe Dancot : A chaque début d’année académique, j’ai relevé l’estime de soi des étudiants ainsi que d’autres facteurs qui pourraient être en lien avec elle. suivi 813 étudiants infirmiers la première année, puis 400 environ les années suivantes. Je leur ai aussi fait passer des entretiens. J’ai interrogé 39 étudiants la première année, puis une vingtaine chaque année suivante.

Lors de ces entretiens, j’ai essayé de comprendre ce qui influence le plus l’estime de soi et son impact sur la manière d’apprendre. J’ai regardé cela via les comportements que les étudiants adoptaient pendant l’apprentissage et notamment en stage.

 Lire aussi : Réussir son premier stage en soins infirmiers : voici 10 conseils

Le Guide Social : Dans votre thèse, vous analysez le lien entre l’estime de soi des étudiants et la compétence clinique. Quels en sont les résultats ?

Jacinthe Dancot : A l’entrée en formation, le résultat concernant l’estime de soi des étudiants infirmiers est inférieur à ce que l’on pourrait attendre pour la population en général. Elle reste ensuite à peu près stable, en moyenne, durant toute la formation. C’est extrêmement interpellant : ayant suivi les mêmes étudiants sur plusieurs années, je n’ai gardé dans la cohorte que les étudiants en situation de réussite. Normalement, au fur et à mesure qu’ils progressent dans leurs études, leur estime d’eux-mêmes devrait augmenter. Là, elle n’augmente pas, ce qui veut dire qu’il y a peut-être des choses difficiles qui se vivent. Si l’on regarde la situation étudiant par étudiant, et non en moyenne, l’estime de soi fait vraiment du yoyo au cours du temps. Il y a des situations très variables d’un étudiant à l’autre.

J’ai également remarqué que l’estime de soi à l’entrée en formation influence négativement la décision d’abandonner à la fin de la première année. Il y a quelque chose qui est de l’ordre de s’accrocher ou lâcher prise en lien avec l’estime de soi.

Même sans abandonner, et même s’il réussit au final, un étudiant qui a une estime de soi moins élevée risque de moins développer ses compétences, à cause d’une influence sur ses comportements d’apprentissage.

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Le Guide Social : Par quoi l’estime de soi des étudiants infirmiers est-elle influencée ?

Jacinthe Dancot : Le fait que les soins infirmiers ne constituent pas un premier choix peut expliquer, en partie, l’estime de soi modérée constatée à l’arrivée dans les études. Dans notre échantillon, 40% des étudiants étaient issus d’une réorientation. Les événements qui influencent le plus l’estime de soi des étudiants infirmiers sont, d’une part, les relations avec les infirmiers en stage et d’autre part la réception de résultats de stages ou d’examens. On constate qu’il y a un certain nombre d’expériences liées à ces deux contextes qui sont plus susceptibles d’influencer l’estime de soi à la hausse ou à la baisse (si l’étudiant est intégré dans l’équipe, s’il reçoit soit des résultats positifs ou un feedback constructif…).

Enfin, l’image de la profession dans la société, qui n’est pas valorisée, a aussi une influence. Une fois qu’ils arrivent sur le terrain, les jeunes rencontrent des infirmiers qui n’ont plus envie d’exercer cette profession et qui le font sentir. Or, ils ont besoin de rencontrer des personnes positives et d’entendre des messages positifs sur la profession. Et il y en a, mais les expériences négatives ont une influence plus importante et plus durable que les expériences positives, même si ces dernières sont plus nombreuses.

Les étudiants vont interpréter les événements, et leur estime de soi exerce une influence sur ce processus. Si au départ, elle est déjà élevée, ils auront tendance à interpréter les événements de manière plutôt positive et à en tirer la conclusion de sentiments de sécurité, de plaisir, d’intérêt, ils se sentent utiles. Cela les amène à adopter des comportements favorables à leur apprentissage. Par exemple, ils osent poser des questions, réaliser des techniques qu’ils ne maîtrisent pas bien, ou dire qu’ils ne sont pas d’accord avec quelque chose.

C’est un cercle vertueux : avec une estime de soi plus élevée, les étudiants considèrent plus souvent les expériences vécues comme positives ou utiles à leur apprentissage, et les comportements qui en découlent les amènent à vivre plus souvent des événements plutôt positifs.

L’inverse est vrai également. Quand l’étudiant a une estime de lui-même plus fragile, il aura tendance à interpréter ce qu’il s’est passé de manière plutôt négative, à se sentir inutile et en insécurité. Il va alors adopter des comportements auto protecteurs. L’étudiant se met plus en retrait, n’ose pas poser des questions, appréhende les événements mais sans s’y préparer... Dans cette situation, c’est un cercle vicieux qui peut se mettre en place.

« Il y a énormément de vécus positifs, la plupart le sont. Le problème, c’est que les vécus négatifs impactent plus fort et plus durablement l’estime de soi »

Le Guide Social : La faible estime de soi chez les étudiants infirmiers, voire leur mal-être, vous les remarquez souvent ?

Jacinthe Dancot : C’est quelque chose que je remarque en tant que coordinatrice, c’est pour cela que je me suis intéressée à ce sujet. Les infirmiers de terrain le remarquent aussi mais ils le disent autrement : ils disent « moi, j’accompagne les étudiants s’ils sont motivés ». Mais un étudiant qui ne pose pas de questions, qui n’ose pas s’investir n’est pas nécessairement un étudiant qui n’est pas motivé. C’est peut-être un étudiant qui a des difficultés à gérer. Or, lors des stages, les professionnels ont parfois tendance à moins assister les étudiants qui, par leur comportement, découragent de les accompagner alors que ce sont ceux qui en auraient le plus besoin.

Dans un contexte de pénurie infirmière, il est désastreux de laisser au bord du chemin ces étudiants qui pourraient être accompagnés vers le développement des compétences et la réussite.

Le Guide Social : Les étudiants vous font-ils régulièrement part de leurs ressentis ?

Jacinthe Dancot : Il y a énormément de vécus positifs, la plupart le sont. Le problème, c’est que les vécus négatifs impactent plus fort et plus durablement l’estime de soi, ce qui amène les étudiants à développer des comportements moins favorables à leur apprentissage.

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Le Guide Social : Vous avez notamment remarqué que l’estime de soi de certains étudiants baisse au cours des stages.

Jacinthe Dancot : Faire une remarque désagréable ou sèche à l’étudiant, ne pas l’appeler par son prénom parce qu’on n’a pas le temps de retenir tous les noms de tous ceux qui défilent… Ces « petites choses », relativement insignifiantes pour les soignants qui les font, peuvent prendre très vite des proportions auxquelles ils n’ont pas pensé parce qu’ils étaient juste dans leur réalité du moment… Surtout si ces événements se répètent. Le problème, c’est que l’étudiant n’interprète pas ces faits en se disant : « l’équipe est débordée, ce n’est pas de ma faute. Ce n’est pas grave d’avoir eu un commentaire un petit peu sec, je vais essayer d’en retirer ce qu’il y a à apprendre ». L’étudiant, lui, se dit « j’ai fait quelque chose de mal, je ne suis pas quelqu’un de valeur ».

« Il y a régulièrement des étudiants qui envisagent d’abandonner, soit à cause de leurs conditions de travail lors des stages, soit en raison de celles qu’ils voient chez les infirmiers »

Le Guide Social : Vous avez écrit plusieurs articles. Pourquoi ? Y a-t-il un élément déclencheur à vos recherches ?

Jacinthe Dancot : Je suis coordinatrice de la section soins infirmiers et je me suis rendu compte que j’avais beaucoup d’étudiants qui expriment être en souffrance ou alors montrent un comportement défensif (agressivité, mise à distance) que je pense pouvoir traduire comme une souffrance potentielle. Je voulais savoir si quelque chose liait ce mal-être et d’autres difficultés constatées lors des études d’infirmier.

Je me suis alors demandé : « Ce manque de compétences est-il lié à un état affectif défavorable, qui entraverait l’apprentissage de l’étudiant ? » C’est de là qu’est partie la thèse.

Le Guide Social : La difficulté rencontrée lors des stages est-elle, selon vous, un facteur d’abandon des études ?

Jacinthe Dancot : Oui, je le pense. Il y a des difficultés en termes de réussite, mais aussi la constatation de l’écart entre l’image qu’on se faisait de la profession et la réalité. Il y a régulièrement des étudiants qui envisagent d’abandonner, soit à cause de leurs conditions de travail lors des stages, soit en raison de celles qu’ils voient chez les infirmiers.
L’estime de soi est également liée : plus elle est élevée, moins les étudiants abandonnent.

« Si le professionnel ne se sent pas bien dans sa profession, il ressentira moins l’envie d’accompagner l’étudiant »

Le Guide Social : Lors des stages, comment le professionnel infirmier peut-il mieux encadrer l’étudiant ?

Jacinthe Dancot : Je conseille principalement deux choses aux formateurs en contact direct avec l’étudiant. Tout d’abord, il faut faire attention à lui faire vivre une expérience positive. Retenir son prénom, lui dire merci en fin de journée pour le travail qui a été réalisé, lui proposer un feedback bienveillant et critérié pour qu’il puisse évoluer, laisser à l’étudiant la possibilité de faire quelque chose de nouveau afin qu’il puisse apprendre, même si, à d’autres moments, on n’a pas le temps de l’accompagner.

Il faut que les infirmiers veillent à accompagner les étudiants dans son vécu, surtout ceux dont on a l’impression qu’ils sont démotivés, un peu en retrait et sur la défensive. Ce sont ceux-là qui ont vraiment besoin qu’on comprenne comment ils vont, qu’on leur fasse une place et qu’on leur montre qu’ils peuvent progresser.

Pour cela, les formateurs doivent poursuivre le développement de leurs compétences pédagogiques et prendre soin d’eux afin d’avoir cette disponibilité pour les étudiants. La charge de travail qui pèse sur les étudiants est très lourde et ils ont beaucoup de stages en milieu hospitalier, milieu d’ailleurs où l’on entend régulièrement : « il y a trop d’étudiants, on n’arrive pas bien à les accompagner ».

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Le Guide Social : Vous parlez de « disponibilité » des infirmiers pour les étudiants. Quelles solutions proposez-vous pour veiller à leur accompagnement ?

Jacinthe Dancot : Il est nécessaire de retravailler le cursus des étudiants infirmiers, qui est fortement réglementé au niveau européen. Je pense qu’il y a aussi des choses à faire au niveau politique en Belgique : les heures d’accompagnement des étudiants ne sont pas reconnues ni valorisées au niveau des institutions. Il faut aussi revaloriser toute la profession et améliorer ses conditions de travail, car il y a une sorte d’effet miroir. Si professionnel ne se sent pas bien dans sa profession, il ressentira moins l’envie d’accompagner l’étudiant.

« Il faut soutenir les étudiants dans ce projet en tant que futurs collègues et faire attention à ne pas les "casser" »

Le Guide Social : Comment les étudiants peuvent-ils mieux se sentir dans les études de santé ?

Jacinthe Dancot : La première chose que je leur dirais, c’est d’être prudents avec les interprétations. Quand on est en situation de stress, on a souvent tendance à se dire que ce qu’on a observé est lié à soi, même si ce n’est pas le cas du tout. Par exemple, si quelqu’un a été désagréable, l’étudiant peut avoir tendance à se dire que c’est lui qui a fait quelque chose qu’il ne fallait pas, alors qu’en fait la personne est énervée pour d’autres raisons. Il faut aussi se faire accompagner lors des moments qui sont mal vécus, bien qu’ils aient l’air anodins, pour apprendre à les traverser sans nuire à l’estime de soi et à l’apprentissage.

La deuxième chose, c’est qu’il est important de se donner le droit à l’erreur. C’est normal : si tout le monde savait faire les choses du premier coup, il n’y aurait pas besoin de faire quatre ans d’études. L’erreur est un outil très puissant pour apprendre. Il faut se demander : « qu’est-ce qui m’a amené à commettre cette erreur et comment puis-je progresser à l’avenir ? ».

La troisième chose : il faut former une équipe. Je constate que les jeunes sont parfois isolés, forment des clans… Alors que former une équipe, c’est avoir derrière soi beaucoup de supporters qui peuvent nous aider en cas de difficulté.
Enfin, je dirais aussi aux étudiants de travailler, se préparer, ne pas se laisser abattre parce que c’est aussi à travers l’effort d’apprentissage que les choses peuvent s’améliorer.

Le Guide Social : Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souhaitent se lancer dans les études d’infirmiers ?

Jacinthe Dancot : De se lancer. Ce sont de belles études. Ne pas baisser les bras, se faire confiance, accorder à ces études leur vraie valeur, ce sont des études intellectuellement et humainement exigeantes. De sentir qu’ils intègrent quelque chose qui est un joli défi humain qui vaut la peine d’être relevé.
De ne jamais abandonner leurs rêves parce que la réalité les déconcerterait, mais de relever leurs manches pour améliorer la réalité et pouvoir vivre leur rêve et leur passion.

Propos recueillis par Mélissa Le Floch



Commentaires - 1 message
  • 2 réflexions :
    - trop d'institutions utilisent les stagiaires infirmiers comme "bouche trous" et leur font faire systématiquement la partie pénible du travail (toilettes en série etc..). Et ils utilisent l'épée de Damoclès de l'évaluation pour maintenir la pression...
    En clair, sans les stagiaires, il y a des institutions qui devraient fermer... Attention avoir le privilège de prester, quand on est apte, exactement les mêmes actes qu'un professionnel fait partie de la formation. Ce que je dénonce est le glissement parfois systématique vers la répétition des actes "non qualifiés", ou des horaires inconfortables sans tenir compte que le lendemain, par exemple, il faut être en forme aux cours le matin !
    2- on nous apprends en économie la loi de l'offre et de la demande, où les prix augmentent quand un produit est en pénurie... Edifiant : j'aimerais qu'on explique pourquoi, malgré la pénurie flagrante d'infirmiers, leurs salaires n'augmentent pas ???
    Un salaire plus attractif motiverait plus de candidats...

    Frankp vendredi 17 mars 2023 09:03

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