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"L'éducateur de rue est un médiateur entre les SDF et la police"

31/10/19

Denis Uvier, éducateur de rue, témoigne de la complexité de son métier. Créer du lien et accompagner les gens isolés dans la rue sont ses principales missions. Il lui faut donc travailler main dans la main avec les forces policières pour à la fois venir en aide et protéger les personnes sans-abris.

Éducateur de rue depuis près de 20 ans à Charleroi, Denis Uvier, est devenu une véritable institution. La publication de son livre « J’appartiens à la rue » en septembre dernier ne l’a pas empêché de continuer à exercer son métier avec passion. Son parcours atypique et riche, l’éducateur de rue nous le relate avec énergie : « Je ne m’attendais clairement pas à être un éducateur de rue, je le suis devenu par les forces de la vie. J’ai passé 6 ans dans la rue à vagabonder et cette expérience m’a permis de comprendre ces personnes déstructurées. Ma priorité est dès lors devenue de défendre ces gens. »

 [A lire] : "J’appartiens à la rue" : le livre d’un ancien SDF devenu éducateur

Créer du lien d’humain à humain

Selon Denis Uvier, pour qu’un lien d’intimité se forme avec les sans-abris il est nécessaire de discuter avec eux d’égal à égal : « Je ne vais pas aller trouver les personnes en situation de sans-abrisme comme un contrôleur ou une personne en position d’autorité. Quand on croise la route de quelqu’un, il ne faut surtout pas mettre en avant le fait que l’on est éducateur de rue. Si la personne est accroupie, je m’accroupis. Si elle est assise par terre, je m’assoie par terre. »

Pour que la confiance s’installe, il ne faut donc pas être dans le jugement mais prendre le temps de connaître la personnalité de chacun, ainsi qu’identifier les différents besoins. Animé par un souci de l’autre, Denis Uvier n’hésite pas aller à contre-courant de certains refus : « Que la personne l’accepte ou non, je vais donner aux gens qui en ont besoin des couvertures. On ne sait jamais quand ils pourront l’utiliser. Parfois, lors de désaccord, il m’est arrivé de m’engueuler avec certaines connaissances que j’essaye d’aider. Cependant, avec le temps, j’ai appris à pardonner celles qui se sont mis en colère notamment quand cet énervement puise son origine dans un mal-être profond. »

L’éducateur soutient qu’il faut aller à l’encontre de certaines personnes, notamment lorsqu’elle refuse de se mettre à l’abri : « Un hiver, un gars que je connaissais dormait sur un boulevard dans un état comateux. Après l’avoir nourri dans l’espoir qu’il soit coopératif et qu’il veuille bien aller dans un endroit plus sec, il ne voulait pas bouger. J’ai d’abord appelé l’urgence sociale (qui n’a aucun pouvoir coercitif) puis le commissariat de police. A la vue de la camionnette des forces de l’ordre, le bonhomme s’est résolu à aller au chaud. » Ainsi, une certaine collaboration avec les forces policières est parfois nécessaire pour protéger les personnes dans la rue.

 [A lire] : Ancien SDF, l’éducateur de rue écrit un livre pour les futurs travailleurs sociaux

Savoir composer avec les forces policières

Questionné sur les dérapages policiers, Denier Uvier constate que « bien entendu des abus de pouvoir ont lieu de la part des policiers mais comme dans n’importe quel secteur. Cependant, à cause de l’interdiction de filmer les forces de l’ordre, il n’est malheureusement pas possible pour les témoins d’avoir des preuves. »

De plus, le rôle de l’éducateur semble limité lors d’une intervention policière : « L’éducateur de rue ne peut pas faire d’ingérence vis-à-vis de la police car sinon il risque de se retrouver aussi au poste. Que l’on soit éducateur ou sans abris, il faut faire preuve d’une certaine résilience face aux pouvoirs policiers », analyse Denis avant de préciser qu’il est toujours possible de s’interposer mais cela nécessite beaucoup de diplomatie : « Une fois je suis venu en aide à un SDF que je connaissais bien. C’était un gars qui ne pouvait pas parler. Face à son silence les policiers se sont énervés et, lui ont braqué dessus leur pistolet. Face à cette escalade de tension, j’ai dû intervenir pour leur expliquer que la personne ne cherchait pas à les provoquer mais qu’elle était muette et restait là car s’était vu refuser son droit d’accès au CPAS. »

L’éducateur joue donc un rôle nécessaire de contre-pouvoir, constamment en contact avec les forces policières. « Avec la pratique, je commence à connaître le commissariat de police local. Je laisse donc la police faire son boulot mais s’il y un problème au cours de l’intervention, je prends contact avec le commissariat pour éclaircir les circonstances d’une altercation », explique le travailleur social.

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Négociation et entraide

Ce dernier met l’accent sur la nécessité de savoir travailler avec la police notamment pour leur faire comprendre la réalité du terrain mais aussi s’y rendre en cas de besoin. Par exemple, il peut lui être demandé de se rendre à certains endroits (dont il a meilleur connaissance) pour faire un premier état des lieux : « La dernière fois, des particuliers ont signalé à la police un grand incendie montant jusqu’au ciel. J’ai donc été appelé pour aller sur le terrain et observer ce qu’il s’y passait. Il y avait en réalité trois bonhommes autour de quelques morceaux de bois qui brûlaient, rien de grave nécessitant une intervention policière. Mon constat en amont a donc permis d’éviter à la police de se déplacer inutilement », relate Denis Uvier.

Ainsi, l’éducateur de rue est donc à la fois un accompagnateur et un médiateur entre les sans-abris et la police. Un rôle aux multiples facettes nécessitant un sens accru de la négociation et de l’entraide.

A.T.



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