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"Le coronavirus dévoile la gestion défaillante des hôpitaux"

14/04/20

Les directions des hôpitaux se retrouvent face à un double problème, le manque de moyens engendré par de nombreuses restrictions économiques ainsi que l’urgence sanitaire. Et comme souvent, les travailleurs du secteur prennent sur eux pour pallier ces errements. Mais en même temps, le personnel soignant alarme et espère que les erreurs, l’incompétence, la vacuité des procédures ainsi que l’ambiguͯté des prises de décisions managériales ne seront pas oubliées à la fin de la crise sanitaire.

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Depuis des années, les travailleurs du secteur de la santé en Belgique comme dans de nombreux pays européens descendent dans les rues pour alerter sur leurs conditions de travail, sur le manque de moyens criant et sur la dangerosité à continuer dans ce schéma politico-économique. Lier aspect financier et problématique de santé ne pouvait qu’engendrer une crise sanitaire de cette hauteur comme le prévenaient les différents acteurs du monde de la santé. La propagation du Covid-19 a montré au grand jour les limites du modèle financier alloué aux soins de santé mais également les carences des différentes sphères décisionnelles du secteur.

« Ce combat et cette crise se superposent à un terreau du système de santé qui est complètement en crise. La concertation sociale qui était déjà endommagée avant l’arrivée du virus se retrouve totalement mise à mal, le dialogue n’existe plus et les fractures se creusent de plus en plus. Les travailleurs n’en peuvent plus mais ce n’est pas ça le problème, ils font et feront leur devoir, le problème c’est le manque de respect et de reconnaissance. Là, ils sont sous le feu des projecteurs, mais demain, qui se souciera encore d’eux ? », demande Evelyne Magerat, secrétaire permanente à la CNE.

« Incompétence, non-respect des mesures de protection »

« La direction doit assumer la protection du personnel chose qu’elle ne fait pas, elle n’est pas au rendez-vous. À ce niveau-là ce n’est pas normal, c’est de l’incompétence. On a interdit au personnel de porter des masques pour différentes raisons. Exemple, un brancardier se voit refuser le port de matériel de protection car il n’est pas médecin ou infirmier. Il n’était donc pas, pour la direction, en contact direct avec les personnes à risques. Et pourtant, nous avons ici un brancardier conditionné aux transports de patients covid , il transporte sans gants et sans masques », indique Evelyne Magerat.

Selon le personnel, les institutions n’ont pas respecté, pour certaines, les mesures du gouvernement en laissant ouvert les visites pendant quelques jours après les annonces gouvernementales. Alors que les mesures de protection doivent être strictement appliquées pour éviter d’amplifier la contamination. « Les mesures n’ont pas été et ne sont pas toujours respectées. Dans cette crise, la contamination est multiple mais les mesures de base sont loin d’être suivies, à des degrés divers selon les institutions », indique une infirmière en réanimation.

« Les radiologues continuent à consulter. On fait des infiltrations chez des gens qui marchent comme vous et moi. Je suis dégoûtée de la façon dont on est traité tous et toutes. On adapte la manière de travailler au stock disponible au détriment de la protection des travailleurs et des patients. C’est honteux, on devrait montrer l’exemple et c’est tout l’inverse. J’ai honte de notre institution et la manière dont cela est géré », témoigne une autre infirmière.

L’aspect économique semble encore prévaloir sur le reste

La crise sanitaire et l’urgence de la situation se retrouvent également être prétexte pour passer outre la sécurité et le respect du travailleur comme l’indique Evelyne Magerat : « Les employeurs se croient tout permis et font passer le temps de travail de 8h à 12h jouant même avec les règles de sécurité. Ils réfléchissent ainsi : une journée plus longue permet d’utiliser le moins possible de masques, mais cela joue sur l’état physique et mental d’un personnel déjà en crise. De plus, la question du chômage temporaire est un point de crispation et une situation injuste pour les travailleurs qui donnent littéralement leur vie pour nous sauver. »

Ce sentiment se trouve exacerbé par l’envie de certaines directions de faire passer les travailleurs malades en chômage temporaire. Cela aurait comme effet de ne pas payer le salaire garanti du travailleur malade qui se verrait rémunéré seulement à hauteur de 60% de son salaire. Le personnel qui prend la majorité des risques, se verrait ainsi traité comme le déclare la syndicaliste.

Elle poursuit : « Le travailleur est pénalisé à plusieurs reprises. D’abord, il prend des risques pour sa santé et sa sécurité en venant travailler. Ensuite il attrape cette maladie souvent par insuffisance de protection, une maladie qui, comme vous le savez est particulièrement grave. Mais en plus de cela, il se verrait pénalisé et ne pourrait bénéficier de l’entièreté de son salaire. C’est inadmissible ! Là où il y a une présence syndicale forte, les employeurs rechignent à mettre cette mesure en place. On a déjà réussi à deux endroits à les faire reculer. »

La classe politique, elle aussi, face à ses responsabilités

En tant que syndicat, Evelyne Magerat a demandé un rendez-vous avec Maggie de Block pour discuter d’un déblocage du fonds blouses blanches promis et s’assurer de la garantie à la fois des moyens alloués mais aussi des salaires des travailleurs pendant et après la crise. Cependant, la ministre a refusé et a répondu que ce n’était pas le moment d’en parler. Le personnel de santé a le même sentiment à l’égard de la classe politique qu’envers les directions des hôpitaux, à savoir une profonde sensation de traîtrise.

« La classe politique ? Qu’elle arrête de se moquer de nous. On descend les soins de santé depuis un beau bout de temps en disant qu’il y a trop d’hôpitaux, trop de services « spécialisés », trop de personnel. Résultat, on nous diminue nos salaires en prétextant l’inverse avec le système « IFIC », on regroupe les hôpitaux en « réseau » pour faire des économies. Pardon pas pour faire des économies mais pour « rationaliser le système de santé ». On ne s’est jamais sentis écoutés malgré nos demandes et maintenant on entend les histoires de masques qui coûtent trop cher », interpelle un urgentiste.

Il lance : « Honnêtement, on est de la chair à canon, on se dit qu’on ne vaut rien. On a détruit des stocks de masques sans jamais les remplacer. On nous donne des excuses en disant que c’est la faute de l’armée qui les a mal stockés, la faute à la chute du gouvernement, la faute des élections….Sauf que nous on ne pourra pas donner des excuses au virus en lui disant : on n’est pas bien protégés. Il s’en fiche lui, il nous infecte quel que soit la raison. Et c’est ça le pire, se dire que la santé coûte trop cher, que nous coûtons trop cher et donc on préfère nous sacrifier et nous applaudir en nous appelant héros pour faire passer la pilule. »

B.T.



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