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Planning familial : "Le score du Vlaams Belang n'augure rien de bon"

28/05/19
Planning familial:

En cette période électorale, la Fédération Laͯque de Centres de Planning Familial fait entendre sa voix. Dans son mémorandum, elle tire la sonnette d’alarme et prend position dans des dossiers cruciaux pour le secteur. Au menu ? Protection de l’IVG, prise en charge en matière de santé sexuelle et reproductive de la communauté LGBTQI+ et des personnes en situation de handicap, pénurie croissante de médecins généralistes et gynécologues qui pratiquent l’avortement ou encore intégration de la question de la santé sexuelle dans l’ensemble des politiques. Karim Majoros, directeur de la FLCPF, a abordé toutes ces thématiques avec le Guide Social. Interview.

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Guide Social : Au lendemain des élections, comment analysez-vous les résultats ?

Karim Majoros : Je suis évidemment inquiet de voir se développer une politique très à droite. Nous sommes face à deux scénarios. Soir les partis démocratiques flamands se disent qu’il est essentiel de développer leurs propres politiques, celles attendues par leurs électeurs. Et là, on pourra peut-être voir apparaître des avancées au niveau de l’IVG, notamment. Soit les partis vont essayer de récupérer les électeurs du Vlaams Belang et dans ce cas nous allons assister malheureusement à un durcissement du discours et donc des politiques mises en place. En tout cas, je suis pessimiste. Le score du Vlaams Belang n’augure rien de bon... Je ne m’attends pas à de grandes avancées concernant l’IVG ces prochaines années. Sauf si un contre-pied est pris…

"Honnêtement, au niveau fédéral, la situation a été catastrophique ces cinq dernières années"

G.S. : Quel bilan tirez-vous de la mandature qui vient de s’achever ?

K.M. : La question de l’IVG a été présentée comme une avancée. Or, objectivement il n’en est rien. En effet, on a sorti l’IVG du code pénal, certes mais le même texte a juste été transféré dans un autre cadre réglementaire. Ça revient donc au même. Durant cette mandature, nous avons aussi constaté, sur le terrain, de grosses difficultés vécues par les personnes sans-papiers. Pour elles, il est très compliqué d’accéder à des droits. Obtenir une carte médicale auprès d’un CPAS est très compliqué, surtout en Flandre. Or, ce document est essentiel pour obtenir par exemple un IVG. Sans ce précieux sésame, pas d’accès aux soins. Je retiens aussi les réductions effectuées sur le budget de la santé. Face à cette situation, nous observons de plus en plus de citoyens qui ne se font plus soigner ou qui postposent des soins. Honnêtement, au niveau fédéral, la situation a été catastrophique.

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G.S. : Et aux niveaux communautaire et régional ?

K.M. : Je retiens la volonté de généraliser l’EVRAS, soit l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Dans ce dossier, nous avons été dans la bonne direction, via notamment des moyens supplémentaires débloqués par la Cocof, à Bruxelles. Mais tout n’est pas rose pour autant… Les animations EVRAS ne sont pas suffisamment décrites dans les textes de loi. Face à cette notion trop vague, certaines écoles ont seulement apposé une affiche dans le couloir. On constate aussi que les moyens débloqués pour ces initiatives sont trop faibles pour couvrir l’ensemble du réseau des écoles mais aussi pour toucher la totalité du public comme les personnes handicapées, par exemple. Nous avons été secoué par plusieurs menaces aussi. Nous sommes concernés par la réforme APE que n’offre aucune garantie aux plannings familiaux de conserver leurs moyens. Cette instabilité décourage les personnes susceptibles de travailler dans notre secteur et plus globalement dans le secteur psycho-médico-social. Nous sommes confrontés à une précarisation inquiétante.

G.S. : Quand on vous écoute, on se dit que plus que jamais votre mémorandum était essentiel à diffuser aux différentes formations politiques. On ressent une urgence à faire entendre votre voix…

K.M. : Pour nous, il est essentiel d’intégrer la question de la santé sexuelle dans l’ensemble des politiques, de l’ensemble des gouvernements. En plus du mémorandum, nous avons soumis un questionnaire aux partis démocratiques, les obligeant à se positionner sur l’ensemble de nos revendications. Le but est de bouger les lignes et de faire émerger une série de compromis qui pourront être intégrés dans les notes de politique générale.

"Il faut sensibiliser et former les professionnels des centres à l’accueil des populations les plus vulnérables"

G.S. : En tant qu’actrice de terrain et de première ligne, votre Fédération est-elle régulièrement consultée dans l’élaboration de futures réformes ?

K.M. : Nous sommes la plus importante Fédération de centres de planning familial de la Communauté française. Nous sommes donc souvent amenés à nous positionner sur des projets de loi. Après, nous n’attendons pas d’être consultés pour donner notre avis. Il est essentiel de partager notre expertise en matière d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle mais aussi en matière d’harcèlement, de violences conjugales ou encore de vaccination. Nous sommes présents dans une série d’organes consultatifs et nous menons régulièrement des discussions avec des parlementaires de tout bord. Notre revendication est en tout cas de faire progresser le droit à la vie affective et sexuelle et de réaliser, concernant nos centres, différentes réformes qui collent à la réalité de notre terrain.

G.S. : Dans votre mémorandum, vous pointez trois publics frappés de plein fouet par des inégalités sociales de santé sexuelle et reproductive : la communauté LGBTQI+, les personnes en situation de handicap et les femmes en séjour irrégulier.

K.M. : Il y a une dizaine d’années, la santé sexuelle était encore centrée sur les couples hétérosexuels qui résidaient en Belgique depuis plusieurs générations. C’est logique car les plannings familiaux se sont développés dans les années 70. Ces dix dernières années, nous avons observé une volonté importante d’inclure l’ensemble de la société dans ces questions de santé sexuelle. À ce moment-là, est né par exemple le centre de ressources pour les personnes handicapées.

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G.S. : Il reste beaucoup de boulot pour développer une approche inclusive notamment des personnes homosexuelles ou transgenres.

K.M. : Effectivement. Le combat a mené est que ces personnes se sentent correctement accueillies et accompagnées dans l’ensemble des plannings familiaux et pas seulement dans certains d’entre eux. Il est important dans ce contexte de sensibiliser et de former les professionnels de tous les centres à ces questions. Notre mission est que tout le monde, peu importe son orientation sexuelle, son genre ou encore son handicap, se sente correctement écouté dans n’importe quel endroit. Nous travaillons sur ce point. Chacun est invité à se réinterroger sur l’ensemble de sa pratique.

"On doit sans cesse se battre pour décrocher des subsides... pour pouvoir notamment garder nos équipes"

G.S. : Quelle est la situation traversée par les personnes en situation irrégulière ?

K.M. : Certaines personnes ont besoin d’un IVG. Dans ce cas, la femme est tenue de contacter tel ou tel CPAS, en fonction de la ville où elle se trouve. Ces centres ne fournissent pas les mêmes réponses aux personnes demandeuses. Certains ferment totalement la porte, d’autres sont super actifs. Certains présidents de CPAS proposent de directement signer le papier qui leur permettra de bénéficier de soins rapidement. D’autres traînent à fournir le document ce qui engendre du découragement chez les demandeurs. On ne peut pas accueillir correctement ce public sans aller à sa rencontre sur le terrain, au lieu d’attendre qu’il pousse la porte d’un planning familial. Voilà pourquoi nous plaidons pour collaborer avec l’ensemble du secteur associatif.

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G.S. : Il y a donc une nécessité de travailler sur les spécificités de tous les publics…

K.M. : Oui, il faut former correctement le personnel. Mais, encore faut-il avoir le moyen de le faire… Nous avons le nez dans le guidon. Nous devons sans cesse nous battre pour décrocher des subsides pour pouvoir notamment garder nos équipes. Ce temps consacré à cette recherche financière fait que nous sommes moins disponibles pour travailler sur l’inclusion.

G.S. : Comment sont financés vos centres de planning familial ?

K.M. : Nous bénéficions de subsides à différents niveaux de pouvoir. Nous recevons de l’argent via l’AViQ en région Wallonne et la Cocof à Bruxelles. Un de nos centres est pour sa part financé par la Cocom. Sinon, un quart voire la moitié des postes, en fonction de nos différents centres, sont financés par des APE ou des ACS. D’autres postes sont Maribel. Parfois les communes nous mettent à disposition des locaux, ce qui permet d’alléger nos frais de fonctionnement. Notons aussi que les centres qui pratiquent l’IVG reçoivent des subsides à l’acte. Ce qui est un grand paradoxe ! Moins on fait d’IVG moins d’argent rentre. Et donc toute la prévention n’est pas prise en compte. Bref, les plannings sont précaires. Pour garder la tête hors de l’eau, nous devons multiplier les subsides. Et, nos moyens sont insuffisants pour relever correctement tous les défis en matière d’éducation à la santé sexuelle et affective. Nos centres couvrent donc une toute petite partie de la population. Or ces questions doivent être traitées de la maternelle jusqu’à la maison de repos.

"Nous plaidons pour sensibiliser les étudiants et les jeunes professionnels à la nécessité de pratiquer l’avortement"

G.S. : Vous devez également faire face à la pénurie croissante de médecins généralistes et gynécologues formés à la pratique de l’avortement…

K.M. : Il y a dix ans, la Belgique comptait un large groupe de médecins militants de la première heure qui s’était battu pour la dépénalisation de l’IVG. Ces praticiens sont partis à la retraite et n’ont pas été nécessairement remplacés par des jeunes médecins conscientisés à cette question de santé publique. Peu sont aujourd’hui formés à ces questions. Elles ne sont pas taboues, non. Elles ne sont juste pas intégrées dans les cursus des médecins. Voilà pourquoi nous plaidons pour sensibiliser les étudiants et les jeunes professionnels à la nécessité de pratiquer l’avortement.

E.V.

Découvrez la totalité du mémorandum de la FLCPF.



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