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Après la rue : vivre en logement, un parcours de combattant.e

11/02/20
Après la rue: vivre en logement, un parcours de combattant.e

L’accès au logement est un droit fondamental pour toutes et tous. Ça c’est la théorie. Inscrite dans nos législations. Donc sensée être mise en œuvre par divers moyens par les autorités publiques. Avec l’aggravation de la crise immobilière et l’explosion vertigineuse des loyers, cette question devient une préoccupation centrale pour l’ensemble des acteurs de la lutte contre le sans-abrisme et des autres secteurs du social, créant de fait une « concurrence entre pauvres ». De nombreuses initiatives sont mises en place pour proposer des logements aux personnes en situation de précarité et en particulier pour les publics sans abri. A Bruxelles, L’Ilot ASBL a mis sur pied la cellule bruxelloise Capteur et Créateur de Logements, au service de tout un secteur.

La sortie du sans-abrisme via des solutions de logement est un objectif très quantifiable, qui parle et a priori devrait rassurer : si on trouve ou crée des logements pour les 4.187 personnes sans abri dénombrées en novembre 2018, on éradique le sans-abrisme à Bruxelles. Pour autant que le chiffre n’ait pas augmenté entretemps… Et après ? L’entrée en logement n’est en fait qu’une étape dans le long parcours de reconstruction des personnes ayant vécu une situation de sans-abrisme.

Les difficultés inhérentes aux parcours d’errance et les multiples freins auxquels sont confrontés les personnes sans abri pour accéder au logement sont souvent dénoncés par les travailleurs·euses du secteur. Mais que se passe-t-il quand le logement est trouvé, ce moment que les personnes vivant en rue attendent et n’osent parfois pas espérer. Obtenir les clés de son nouveau « chez soi » : une nouvelle vie qui commence ? La sortie d’un cauchemar ? Tout n’est malheureusement pas si simple.

Apprendre qu’une personne - suivie depuis plusieurs mois, parfois plusieurs années de survie en rue ou d’hébergement temporaire en maison d’accueil -, a trouvé un logement est d’abord vécu comme une petite victoire par nos équipes sociales.

Mais la réalité est souvent moins enchantée… et le travail d’accompagnement loin d’être terminé.

 [A lire]  : Des femmes et familles sauvées de l’enfer de la rue grâce à cet îlot

« Obligées » d’accepter des logements en mauvais état

D’abord parce qu’il est rare d’obtenir un logement de qualité, dans ses moyens financiers et qui réponde à ses envies. Combien de personnes ne sont-elles pas « obligées » d’accepter des logements en mauvais état, dont le loyer dépasse très largement le tiers des revenus ? Obligées car leur séjour en maison d’accueil prend fin, car la rue devient trop dangereuse ou épuisante, ou encore parce que l’équipe sociale qui aide à chercher un logement désespère de trouver une solution plus adaptée. Combien de familles nombreuses ne doivent-elles pas se contenter de logements minuscules, voire insalubres, ou en arrivent à mentir sur leur composition de ménage pour obtenir un accord du ou de la propriétaire ?

Alors oui, on accepte le logement, on fait les démarches au CPAS ou au Fonds du Logement pour obtenir une garantie locative, on se débrouille comme on peut pour trouver des meubles pas trop chers, parfois juste pour avoir un matelas sur lequel dormir. Sans épargne, l’aménagement sera minimaliste par défaut. Décoration, télévision, radio, divan passent souvent à la trappe.

Après une vie faite de multiples ruptures et portes fermées, pas facile de s’imaginer à long terme dans ce nouveau « chez soi », de croire qu’on y a droit, qu’on peut s’y « poser » en toute sécurité. Si par chance la personne obtient un logement en agence immobilière sociale (AIS), les conventions de transit souvent proposées pour les 18 premiers mois la mettent dans une situation insécurisante, l’empêchant de se projeter à long terme et donc d’investir dans l’aménagement de son nid.

Viennent ensuite les démarches administratives liées à l’emménagement, l’inscription à la commune, le passage de l’agent de quartier pour rendre effectif le changement d’adresse. Il faut prévenir son organisme de paiement de sa nouvelle adresse. Tout cela prend du temps, à cause notamment des délais administratifs de chaque partie prenante ou parce que les étapes ne s’enchaînent pas correctement. Nombre de personnes en situation de précarité voient alors leurs allocations bloquées temporairement, pendant parfois plusieurs semaines.

Les maigres économies éventuellement accumulées étant passées en priorité dans le paiement de la garantie locative et du premier mois de loyer, voilà déjà la personne confrontée au premier mur. Comment annoncer à son ou sa propriétaire qu’il lui est impossible de payer son loyer, mais qu’il·elle doit garder confiance dans sa bonne foi. Quelle humiliation quand on s’est battu·e pour gagner cette confiance ! Un retard de loyer dans les premières semaines d’emménagement, cela n’augure souvent pas de contacts cordiaux avec le·la propriétaire.

Les rapports avec le·la propriétaire peuvent très vite devenir plus tendus encore lorsque les défauts cachés de l’appartement se manifestent (humidité, pas de chauffage, fuites d’eau, etc.). Il n’est pas rare que la personne s’entende dire qu’elle ne doit pas trop se plaindre car c’est toujours mieux que la rue…

Lorsqu’on est enfin domicilié·e, les dettes viennent frapper à la porte. Toutes les créances de l’ancienne vie refont surface, avec leur lot d’angoisse.
Et avec tout ça, il n’y a toujours rien dans le frigo !

 [A lire]  : Pots de l’Ilot : la cuisine bio redonne le goût à d’anciens SDF

Confrontés à un vide vertigineux

Au fil des jours, la solitude devient pesante. Les compagnons ou compagnes d’infortune ont fait place aux soirées en solitaire, dans un appartement où l’on n’a souvent pas encore pu installer la TV ou internet. Personnes seules ou familles monoparentales sont confrontées à ce même vide vertigineux. Sans compter les éventuels et fréquents problèmes de santé mentale survenus avant ou pendant la vie d’errance. Les semaines qui suivent l’entrée en logement sont une période très délicate, susceptibles de provoquer de grosses décompensations et beaucoup d’angoisse. Entre quatre murs et après avoir vécu la rue ou la vie en communauté, la sensation est celle de l’enfermement ou de l’oppression.

Laisser derrière soi certaines relations du passé et retisser un réseau de confiance autour de son logement est une des clés. Mais le chemin pour y parvenir est très long et semé de très nombreuses embûches…
Les quelques exemples nommés dans cet article illustrent la réalité professionnelle des travailleuses sociales de S.Ac.A.Do. (asbl L’Ilot), qui propose un service d’accompagnement à domicile. Notre travail est d’accompagner les personnes dans ces difficultés quotidiennes, de les aider à les surmonter, de les épauler quand c’est trop difficile, trop épuisant. Chaque histoire étant singulière, de multiples autres problématiques viennent allonger la liste des difficultés après l’entrée en logement.

Dans notre société, demander de l’aide est vu comme un aveu de faiblesse. Lorsqu’on ne le fait pas et qu’on ne détient pas les outils socio-psycho-économiques et culturels pour construire son nouveau projet de vie, il est très difficile de savoir vers qui se tourner. C’est en ce sens et particulièrement pour accompagner cette transition en logement que les services de guidance à domicile ont toute leur légitimité.

La lutte contre le sans-abrisme ne peut être appréhendée qu’à partir d’une approche globale et en prenant en considération toutes les dimensions de la vie des personnes. Analysons-la sous un angle plus qualitatif que quantitatif et développons des outils inter et intra-sectoriels adaptés aux réalités des personnes et familles accompagnées.

L’Ilot ASBL



Commentaires - 1 message
  • Quelle abnégation et quel courage des sans abris et des équipes de recherche, d'accueil et d'accompagnement.
    Les sans abris sont européens et nous sommes tous concernés et... solidaires?

    Jean L mardi 11 février 2020 21:31

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