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Cpas et crise sanitaire, le soutien aux étudiants questionné

18/01/21
Cpas et crise sanitaire, le soutien aux étudiants questionné

La crise sanitaire est dure pour les étudiants. Particulièrement dure pour celles et ceux qui entreprennent des études en étant soutenus par les Cpas. D’autant plus encore, quand les décisions de cette institution publique sont inconséquentes et qu’elles tiennent si peu compte de la crise sanitaire et de ses conséquences, indépendantes de la volonté de ces étudiants et étudiantes.

Selemani a obtenu un titre de séjour comme étudiant non européen. Il arrive en Belgique et s’inscrit à l’Université pour suivre un master en économie. Pour survivre, il dépend du Cpas qui lui octroie le revenu d’intégration sociale, à la condition qu’il réussisse ses études. Selemani est motivé, mais plus âgé que les autres étudiants, il rencontre des difficultés à se faire beaucoup d’amis. Mais pour les études, cela se passe bien. Selemani réussit les années les unes après les autres. 2019-2020, c’est l’année de son dernier master. L’année du mémoire aussi.

Et puis 2020. Et la covid. Et le confinement. Et tous les à-côtés qui en découlent. L’Université décide que c’est la première lettre du nom des étudiants qui envoie certains en présentiel, d’autres en distantiel. Pas de chance pour Selemani. Ce sera en distantiel.

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Selemani se retrouve seul chez lui et suit les cours sur son ordinateur. Ses faibles moyens ne lui permettent pas d’avoir une connexion particulièrement performante. Il lui arrive même trop souvent de se retrouver sans connexion. Son insistance auprès de l’Université pour pouvoir suivre les cours en présentiel ne rencontre pas de succès. Et le confinement ne permet pas à un technicien de venir réparer le wifi récalcitrant. Son faible réseau social ne lui est donc pas d’un grand secours. Quant à son mémoire, il lui est impossible de réaliser les interviews prévues et nécessaires. Pour la première fois de sa carrière étudiante, alors qu’il touche au but, Selemani est en échec.

Lors de l’évaluation, le conseil de l’action sociale du Cpas estime alors que le Bac réussit par l’étudiant est suffisant (c’est un bac universitaire, non professionnalisant !). Il décide que Selemani ne peut poursuivre ses études, exige qu’il se désinscrive de l’Université et qu’il s’inscrive comme demandeur d’emploi. Or, son titre de séjour dépend de sa situation étudiante. Selemani passe donc du statut d’étudiant en passe d’être diplômé d’un master en économie à un autre statut, celui de demandeur d’asile. Et tout cela en un peu plus de 6 mois de crise pandémique et d’une responsabilité individuelle quasi nulle.

Tant pis pour le projet...

Mélanie obtient le RIS pour poursuivre des études. Titulaire d’un Bac, elle vise un master en sexologie que le Cpas lui permet d’entamer. Mais pour y arriver, elle doit passer par un premier master en « familles et couples » qui se conclura par un mémoire. Intéressée par les questions de genre, elle souhaite réaliser une étude sur la place des femmes dans les sports considérés comme masculins. Son travail s’organise. Elle est dans les temps quand débarque la covid et le confinement. Impossible de poursuivre son mémoire dont l’écriture passait notamment par des interviews de sportifs de haut-niveau qu’elle avait prévu de contacter dans les salles et lors d’événements, de matches ou de concours. Mais, tout ça est annulé.

L’université consciente du problème, autorise une dérogation pour permettre la défense du mémoire en novembre. Mais pas pour une inscription en sexo à cette date. Les limites d’inscription à l‘unif, c’est fin octobre. Mélanie peut donc présenter son mémoire, mais pas poursuivre son projet. L’assistante sociale du Cpas avait accepté le financement des études pour autant qu’il y ait inscription en sexologie. Or, ce n’est pas le cas. Décision est dès lors prise de supprimer cette aide et de dire à la jeune fille de s’inscrire comme demandeuse d’emploi. Tant pis pour le projet.

Parce que l’institution Cpas exige des comptes

Il aurait aussi été possible de parler de Sarah, qui avait décidé de faire des études sans dépendre d’une institution à laquelle elle ne pouvait se résoudre à rendre des comptes. Parce que l’institution Cpas exige des comptes. C’est comme ça qu’elle est bien souvent caractérisée par ses bénéficiaires. Ces bénéficiaires qui comprennent que des comptes soient rendus. Dans une certaine limite. Les limites de la dignité et du droit à un minimum d’intimité par exemple. Sarah, consciente que ces limites ne sont pas toujours tenues par l’institution, avec fait le choix d’enchainer les jobs étudiants, déclarés ou moins déclarés, pour avoir assez pour vivre, suivre les cours et étudier. Et puis, elle aussi a été confrontée à 2020. Et aux jobs qui, petit à petit, ont disparu. Et à l’impossibilité pour elle de survivre… et de continuer à étudier. Sarah a bien dû se résoudre à sonner à la porte du Cpas. À prendre le pli de rendre des comptes, tous les comptes demandés, fussent-ils intrusifs. Et avec la conviction de plus en plus prégnante qu’il lui serait difficile de desserrer le grappin.

Dans trop de décisions prises par (les conseils de l’action sociale) des Cpas, les travailleurs sociaux remarquent un manque flagrant de compréhension des situations et une ligne de conduite stricte, parfois particulièrement stricte : Pas de droit à l’erreur, pas de droit à l’échec. S’il est vrai qu’une saine gestion budgétaire de cette institution est nécessaire puisqu’il s’agit d’argent public, il serait utile aux membres de ces conseils de faire l’effort de comprendre les situations individuelles, qui d’ailleurs, bien souvent, peuvent aussi, pour partie, se comprendre par des réalités davantage collectives. Des bénéficiaires et des professionnels constatent cette déconnection de la réalité de conseillers, une déconnection vécue en période habituelle, mais accentuée aujourd’hui par la crise Covid. Or, l’impact de cette crise est important, parfois fondamental et indépassable pour une série de bénéficiaires. Particulièrement, mais pas seulement, pour les étudiants.

Une vie stressante et sans pause plus paisible

Les étudiants et étudiantes qui dépendent d’un Cpas expriment bien souvent la pression importante qui pèse sur leurs épaules. Le programme annuel étudiant (PAE) semble trop souvent s’imposer comme la norme absolue à laquelle il n’est pas possible de déroger. Et, s’il devenait possible d’y déroger, ce serait avec la demande d’une quantité de justificatifs destinés à faire comprendre voire admettre le moindre accroc. Des justificatifs qu’il est, par ailleurs, parfois légalement difficile de fournir pour le bénéficiaire ou illégalement possible de demander pour le professionnel. Or la réalité de la vie d’un jeune, c’est justement une certaine mouvance bien légitime, qui amène un projet individuel à évoluer, parfois en dehors de normes administratives enfermantes et déconnectées.

Cette pression qui, associée à la complexité des études, à l’exigence relativement habituelle de devoir compléter le RIS par un job étudiant, rend leur vie particulièrement stressante et sans pause plus paisible. Bien des travailleurs sociaux qui rencontrent quotidiennement ce public, reconnaissent la présence de cette pression et comprennent la difficulté qu’il y a à l’assumer.

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Or, cette année 2020 est tellement particulière. La crise sanitaire impacte tous et partout. Mais particulièrement celles et ceux qui vivent des difficultés et qui rament à contre-courant pour développer des compétences, grandir et arriver, malgré les pièges à la réalisation de projets. Un projet d’études par exemple. Un minimum de compréhension et de reconnaissance de l’impact du virus et des mesures qui sont mises en place pour éviter sa propagation sont nécessaires pour éviter que des Cpas eux-mêmes ne produisent des drames humains. D’autant plus que des moyens financiers complémentaires sont arrivés pour soutenir les politiques sociales liées à la pandémie. Il revient aux travailleurs sociaux d’expliquer et de réexpliquer des conséquences, peut-être peu visibles ou mal comprises. Il revient aux conseillers de l’action sociale de prendre en compte cette réalité, de la comprendre et d’en tenir compte dans leurs décisions.

Aberration comptable de certaines suppressions d’aide aux bénéficiaires

Il ne s’agit donc pas ici de nier l’importance des Cpas, de contester la qualité de travail dont ils sont capables avec leurs travailleurs de terrain, de reconnaître la difficulté d’une gestion budgétaire liée à une population aux besoins de plus en plus criants, mais de pointer des agissements parfois tellement normatifs qu’ils éloignent ces institutions de leurs missions premières.

Il s’agit aussi de pointer l’aberration comptable de certaines suppressions d’aide aux bénéficiaires. Reprenons l’exemple de Selemani qui a étudié pendant 5 ans. Rappelons-nous le coût pour la collectivité d’une année d’études. Rappelons-nous le soutien que le Cpas a offert à ce jeune homme. La somme est conséquente. Extrêmement conséquente. Un accident de parcours, la covid, qui ne lui est en rien imputable, et tout s’écroule. Une réflexion intelligente sur un soutien supplémentaire d’une année ne pourrait amener qu’un bilan comptable tout à fait positif. Ceci évidemment sans tenir compte des bénéfices humains qui restent essentiels.

Marc Chambeau, Enseignant en Haute-Ecole (Cardijn-Helha) a été la plume de travailleurs sociaux de Cpas pour rédiger cette carte blanche.



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