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Accord du Gouvernement « Arizona » : impacts directs et indirects sur les CPAS

12/02/25
Accord du Gouvernement « Arizona » : impacts directs et indirects sur les CPAS

Le gouvernement annonce une réforme ambitieuse de l’aide sociale, censée simplifier les démarches tout en boostant le retour à l’emploi. Mais derrière ces bonnes intentions, les CPAS risquent de se retrouver sous une pression accrue. Un afflux de nouveaux bénéficiaires, des ajustements dans l’attribution des aides et des réformes dans l’accompagnement social pourraient bien déstabiliser les structures déjà fragilisées. Face à cette complexité croissante, la Fédération des CPAS Wallons lance un appel urgent à une concertation plus large, afin d’assurer une solidarité qui respecte véritablement les besoins du terrain, sans aggraver les inégalités.

1. Une évolution socio-politique qui serait dictée par les réalités économiques, mais pas que

Les principales mesures constituent en fait une forte amplification d’une double tendance constatée depuis quelques décennies déjà, dans un contexte de crise financière structurelle des dispositifs de protection sociale :

  • La conditionnalité accrue de l’accès aux droits assortie d’une responsabilisation individuelle, spécifiquement depuis l’avènement de l’Etat social actif. La solidarité n’est plus un dû, elle doit se mériter, l’individu doit s’activer pour trouver du travail et soulager ainsi les finances de l’Etat, avec moins de dépenses d’indemnisation et plus de recettes liées à l’insertion ;
  • La perméabilité croissante entre le système assurantiel (chômage) et le système assistanciel (CPAS), avec un rejet massif de personnes vers le dernier filet de protection sociale. L’octroi de l’aide y est strictement subordonné à des conditions de revenus, ce qui, à notre estime, fragilise davantage les ménages. Partant, le CPAS, conçu originellement comme une caisse subsidiaire et résiduaire ne l’est absolument plus puisqu’à l’avenir il y aura davantage de bénéficiaires du revenu d’intégration que de chômeurs.

Ces changements de paradigme sont le reflet d’un changement disruptif au sein de l’opinion publique. Elle est parfois qualifiée de « lassitude de la solidarité » (Duvoux, 2009, Vrancken 2019). Selon Vrancken, pour les classes moyennes, autrefois favorables à la solidarité, les pauvres n’apparaissent plus comme des vulnérables qu’il faut secourir mais comme des charges pour lesquelles il faut payer l’impôt. Les personnes « intégrées » ont le sentiment que leur travail est « sous-payé » par rapport au montant des aides perçues par ceux qui « se complaisent dans l’assistanat » ; elles ne veulent plus d’un système de protection sociale trop complaisant à leurs yeux. Et partant, elles ne veulent plus payer pour financer des services d’aide qui n’obtiendraient pas les résultats escomptés. Ce manque de reconnaissance serait une des sources du désenchantement des travailleurs sociaux.

Lire aussi : Ce que le nouvel accord du gouvernement fédéral change (ou pas) pour les soignants

2. Aperçu non exhaustif des mesures figurant dans l’accord de gouvernement

Les lignes directrices sont celles-ci. Il convient de réformer et de simplifier notre régime d’aide sociale afin :

  • De garantir à toute personne dans le besoin un revenu minimum suffisant, lui permettant de vivre dignement ;
  • De simplifier drastiquement la complexité des réglementations existantes
  • De favoriser le retour à l’emploi en activant davantage les personnes qui peuvent l’être
  • De réduire les pièges à l’emploi et encourager les personnes inactives en mesure de travailler à retrouver du travail
  • De rendre le travail à nouveau rémunérateur.

La mesure la plus médiatisée est sans conteste la limitation dans le temps des allocations de chômage avec un impact assuré sur les CPAS.

  • Le droit au chômage sera limité à 2 ans, mais cela ne s’applique pas aux personnes qui n’ont pas travaillé 5 ans auparavant. Pour ceux qui ont travaillé 1 an, le droit s’arrête après 1 an.
  • L’exception pour les plus de 55 ans est acquise pour autant que les personnes aient travaillé au moins trente ans. (ce qui ne concerne que 8,63 % de l’ensemble !)
  • Autre mesure du même ordre : le droit aux allocations d’insertion pour les jeunes est ramené de 3 ans à 1 an.

Il faut néanmoins savoir, et c’est très important, que le « compteur » commencera effectivement à tourner début 2025 et que les effets concrets ne se feront sentir qu’à partir de 2026 pour certains et à partir de 2027 pour les autres (en fonction des durées précitées).

Les questions rituelles qui s’ensuivent portent alors sur le nombre de personnes qui se tourneront vers les CPAS et le coût que cela représentera. Sur les 130.000 personnes concernées à l’échelle du pays, 60.000 habitent en Wallonie. A l’automne, sur base des informations qui fuitaient, la Fédération des CPAS de Wallonie avait estimé que la fourchette pourrait se situer entre un tiers et deux tiers de ces personnes. Le coût se situerait entre 120 millions et 240 millions, comprenant les dépenses liées à la quote-part RIS due par le CPAS et les frais de personnel supplémentaire pour traiter les dossiers. A l’exception de l’étude faite par la FGTB, d’autres sources universitaires tablaient sur le recours au CPAS de la part d’1/3 des publics concernés, voire moins. Considérant, comme nous, que les personnes cohabitantes perdraient pour la plupart tout droit et qu’une part des aînés précités seraient exemptés, ces experts misent sur le retour au travail d’un certain nombre et sur un transfert d’autres vers la maladie-invalidité (principe des vases communicants qui veut que lorsqu’on durcit les règles dans une branche, les gens mutent vers une autre). Pour l’heure, nous sommes donc dans l’incertitude.

Un système de « bonus-malus » pour les CPAS

Relevons en outre l’introduction d’un système de « bonus-malus » pour les CPAS en fonction du taux de PIIS conclus et du nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration qui trouvent un emploi « durable ». Jusqu’à présent les CPAS avaient une obligation de moyens et l’introduction d’une obligation de résultats nous interpelle. Les modalités ne sont pas connues mais nous ne pouvons cacher notre inquiétude. Si nous remettons plusieurs milliers de personnes à l’emploi chaque année, nous connaissons les difficultés d’une frange de nos publics actuels. Et le FOREM lui-même a déclaré que quelque 50 % des personnes concernées par les fins de droit étaient « éloignées de l’emploi », avec pour la plupart des problèmes multiples. En conséquence, comment les CPAS pourraient-ils de façon magique obtenir un taux de remise à l’emploi plus important que l’opérateur régional ? Pour répondre à cette question, le gouvernement plaide pour une « coopération plus étroite entre les CPAS et les services régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle ».

Pourtant, le Gouvernement semble lui-même conscient de l’état d’une partie de nos bénéficiaires actuels et potentiels lorsqu’il cite « les personnes qui ne peuvent pas travailler » et « qui ont besoin d’une aide et d’un soutien ciblés et sur mesure ». Cette prise en considération des situations de vulnérabilité répond aux réalités vécues sur le terrain, notamment lorsque nos travailleurs sociaux évoquent l’explosion des problèmes de santé mentale, d’assuétudes ou de sans-abrisme. Des dispenses de PIIS pour des raisons de santé ou d’équité existent mais, dans de tels cas, le CPAS ne perçoit pas le subside PIIS afférent au dossier.

L’alternative serait-elle de conclure des PIIS « santé » ou « logement » comme cela se pratique déjà ci et là ? A ce sujet, nous lisons : « Pour les personnes surendettées (bénéficiaires du DIS), « l’accompagnement budgétaire, voire la gestion du budget, deviennent un élément obligatoire du PIIS ». Concernant les personnes connaissant des problèmes d’assuétudes, l’accord prône « qu’elles soient examinées par un médecin. Et, si son avis « montre qu’une cure de désintoxication serait bénéfique à leur intégration sociale, et que la personne ne suit pas déjà volontairement une cure de désintoxication, celle-ci fera partie du PIIS ». Les sphères médicales ont déjà réagi en considérant que cela ne se pouvait, en dénonçant le principe et le caractère contre-productif de soins sous contrainte.

Vers la fin des ILA ?

Le chapitre asile et migration comporte des nouveautés par rapport à la situation actuelle. Nous apprenons d’abord que les primo-arrivants ne pourront plus bénéficier de l’aide financière qu’après avoir séjourné 5 ans en Belgique, ce qui amène des questionnements sur l’aide alternative qu’ils recevront. Par ailleurs, dans la foulée de la limitation des places d’accueil, un processus de phasing-out sera entrepris et « l’accueil des demandeurs d’asile à l’hôtel disparaît en priorité et ensuite progressivement l’accueil des demandeurs d’asile dans des maisons et appartements individuels via les CPAS (ILA) ».

Un autre paragraphe a retenu notre attention. « Afin que l’aide parvienne à ceux qui en ont réellement besoin et soit utilisée aux fins effectivement destinées, nous transformons une partie de l’aide financière en aide matérielle. Pour définir quand cela est opportun, nous rédigeons des directives qui tiennent compte du contexte spécifique et d’un revenu digne. Il est important de sensibiliser les gens à la gestion de leur budget. Le CPAS peut utiliser le revenu d’intégration (équivalent) pour payer directement certaines dépenses ».

Une mesure phare concerne la volonté de plafonner l’ensemble de l’aide et des prestations sociales. « Toutes les aides sociales et autres prestations seront répertoriées dans un registre central de sorte qu’il pourra en être tenu compte dans le calcul de l’ensemble de l’aide et des prestations sociales ». Le leitmotiv profond est probablement lié à la volonté d’augmenter le delta entre les revenus des travailleurs et ceux des inactifs (pièges à l’emploi). Pour notre part, nous avons plaidé pour que les aides soient octroyées sur base des revenus et non plus des statuts, ce qui éviterait de tels débats. La suspension de l’indexation des allocations sociales s’inscrivait dans la même volonté de creuser l’écart entre les salaires et les allocations, mais cette mesure n’a finalement pas été adoptée, l’enveloppe bien-être étant toutefois fortement comprimée.

La grande disparité entre les aides accordées par les différents CPAS a souvent été pointée. Une réponse y est apportée, qui devra être précisée. « En concertation avec les administrations locales, des règles uniformes d’attribution de l’aide financière complémentaire seront appliquées. Dans le respect de l’autonomie locale, ces règles doivent permettre d’évaluer de manière équivalente entre tous les CPAS les besoins des familles en situation de pauvreté. Nous évitons ainsi l’arbitraire dans le domaine de l’aide et nous garantissons un soutien similaire pour des demandes d’assistance similaires. Les conditions d’octroi et le niveau des montants complémentaires doivent rester équitables et ciblés et doivent toujours encourager un retour vers le marché du travail. Nous utilisons mais évaluons à cette fin l’outil REDI, tant en ce qui concerne les critères, les montants de référence que son application ».

Lutte contre la fraude sociale

Sans surprise, la lutte contre la fraude sociale figure parmi les points prioritaires. « Les CPAS pourront avoir un accès direct à toutes les informations nécessaires, aux comptes bancaires et aux propriétés, au besoin au moyen de recherches menées en collaboration avec des partenaires publics et privés ». La lutte contre le non-recours aux droits, particulièrement élevé, est également mentionnée sans que les modalités en soient particulièrement développées. D’autres points traitent de la lutte contre le sans-abrisme, notamment via le dispositif « housing first », ou encore de la santé mentale, en plébiscitant l’intégration de services de santé mentale (psychologues de première ligne) dans les CPAS.

Un focus sur les travailleurs sociaux

Les conditions d’exercice du métier des travailleurs sociaux ont été dénoncées à plusieurs reprises ces derniers temps. En conséquence, le gouvernement veut y consacrer toute son attention. « Les travailleurs sociaux sont le cœur et le moteur d’un CPAS qui fonctionne bien. Nous étudions les moyens de réduire la charge administrative et la charge de travail, dans le but de rendre la fonction plus attractive et de pouvoir consacrer davantage d’efforts à des conseils sur mesure, à une plus grande autonomie et à l’activation des clients du CPAS. Nous organisons une concertation avec les entités fédérées en ce qui concerne un élargissement des conditions relatives au diplôme pour les assistants sociaux ».

Je relèverai enfin la volonté du gouvernement fédéral de soutenir les Régions pour intégrer complètement les CPAS dans les administrations communales sur base volontaire. Toute notre opposition à un tel projet qui n’apporterait aucune plus-value a déjà été développée. Les CPAS sont plus que jamais une branche essentielle de la protection sociale, avec une expertise démontrée. Ce n’est pas le moment de venir ajouter des problèmes de « tuyauterie » aux autres problèmes beaucoup plus fondamentaux.

Lire aussi : Quand la droite de la droite est au pouvoir, le social a-t-il encore une place ?

3. Comment les CPAS envisagent-ils les prochaines années en fonction de ces nouvelles politiques ?

Les CPAS sont déjà actuellement sous grande tension, entre pression et dépression avons-nous écrit il y a quelques mois. Pour répondre à cette question qui concerne le futur, il faut d’abord en poser une autre. Quelles seront les compensations accordées aux CPAS pour faire face à ces nombreux défis ?

Nous rappellerons que nous avons plaidé pour une augmentation du taux de remboursement du RIS à 95 %, considérant que les transferts de charge de la sécurité sociale vers les pouvoirs locaux devenaient insupportables financièrement (les taux de remboursement actuels s’échelonnant de 55 à 70 % en fonction du nombre de dossiers dans le CPAS).

A ce stade, il est indiqué : « L’impact de la limitation des allocations de chômage dans le temps sur un afflux supplémentaire de bénéficiaires du revenu d’intégration sera compensé pour les CPAS par une augmentation du financement du revenu d’intégration par l’autorité fédérale » et certaines sources évoquent aussi un soutien destiné à l’accompagnement, sachant que les Régions pourraient apporter une contribution dans ce cadre. Un montant de 400 millions (par année ou pour l’ensemble de la législature ?) est évoqué mais il est difficile de dire si cela sera suffisant, d’autant plus que l’impact se produira donc à partir de 2026 et 2027 (cf. supra). Beaucoup de responsables de CPAS ont cependant déjà réagi en déclarant qu’il faudrait augmenter les dotations communales ou supprimer des services à la population. Il est un fait que le paiement du RIS et des aides sociales fait partie des missions obligatoires, au contraire d’actions volontaristes dites « facultatives ». Il faudra donc attendre pour y voir plus clair.

Néanmoins, la question qui se pose de manière transversale est de savoir comment les CPAS vont pouvoir mener plus de gens à l’emploi, soutenir plus de personnes en situation de précarité et contrôler davantage les fraudeurs potentiels si les moyens ne sont pas à la hauteur des missions. Apporter des réponses à cette double-contrainte au quotidien sera notre tâche. La médiatisation des lacunes observées suite au reportage de la VRT à Anderlecht a démontré comment la surcharge de travail assortie à l’obligation souvent impossible de remettre une décision dans les délais pouvait à la fois nuire aux personnes et empêcher le travail bien fait. Comme mentionné supra, le gouvernement veut s’emparer du problème. Il y a du boulot…

Lire aussi : Non Madame la RTBF, les fraudes sociales ne sont pas le problème majeur dans les CPAS

La vigilance est donc de mise mais les CPAS peuvent-ils se positionner dans pareil débat ?

Quoi qu’il en soit, nous accomplirons les missions qui nous sont assignées par la loi. Cependant, ma conviction personnelle est que plus les inégalités sont grandes, plus les normes d’accès aux droits sont dures, plus les personnes vulnérables risquent de connaître des problèmes de santé mentale, d’adopter des conduites de fuite et de rejet et de plonger vers une désaffiliation/disqualification sociale chronique (Castel, 1991, Paugam 2009). Le Professeur Olivier De Schutter avait déjà expliqué comment le durcissement des normes et des contrôles constituait une source de non-recours aux droits, parlant de maltraitances institutionnelles. Il vient à présent d’établir un rapport sur le cercle vicieux précarité-santé mentale en stigmatisant également les effets de la pauvrophobie sur la santé mentale (De Schutter, 2024). C’est ainsi que s’épanouit un espace de souffrance psychosociale articulé sur la disqualification sociale, qui ne correspond pas nécessairement à des psychopathologies mais qui s’apparente à un « nouveau malaise dans la civilisation ». (Soulet 2005)

La vigilance est donc de mise mais les CPAS peuvent-ils se positionner dans pareil débat ? En fait, ils risquent de l’être malgré eux, par exemple dans le cadre des difficultés que cela peut occasionner pour le travail en réseau. Elles fleurissent lorsque le partenaire se rend compte que la prescription du CPAS orienteur ne correspond pas à ce que veut la personne orientée, ce qui est souvent le cas, par exemple dans les services de santé mentale ou dans les centres d’insertion socioprofessionnelle. Il s’ensuit généralement des conflits politico-éthiques douloureux.

La crise vocationnelle qui existe chez les travailleurs sociaux

Dans les conditions édictées par l’accord de gouvernement, il conviendra de traquer l’inactivité illégitime. Mais, jusqu’à présent, on n’a jamais pu s’accorder sur la frontière à tracer entre ce qu’est une activité légitime et ce qu’est une activité illégitime, tout simplement parce que c’est impossible. Les responsables et les travailleurs sociaux resteront face à leur conscience et à leur subjectivité pour apprécier, tout en sachant désormais qu’ils pourront eux-mêmes être sanctionnés financièrement s’ils n’atteignent pas les résultats souhaités. Et dans cette pièce, les travailleurs sociaux resteront les tampons entre les attentes institutionnelles et les demandes des gens.

C’est pourquoi nous devons ajouter que l’octroi de moyens ne solutionnera pas tout, considérant notamment la crise vocationnelle qui existe chez les travailleurs sociaux, dans les métiers du « care » en général mais plus précisément dans les CPAS. La pénurie avérée est d’abord due aux difficultés de recrutement. Les jeunes A.S. souhaitent de moins en moins travailler en CPAS, parfois parce que les écoles sociales le déconseillent en fonction des écarts entre les principes enseignés (empathie, nécessité d’adhésion des personnes, …) et les pratiques professionnelles. Elle vient aussi du nombre de démissions et d’incapacités de travail, ce qui accroît encore la surcharge de ce qui restent en place. Toutefois, nous avons donc bien noté que le gouvernement veut rendre la fonction plus attractive et c’est bien nécessaire.

Lire aussi : Réhumaniser le travail social par la force de la mobilisation collective

Ainsi certains parlent-ils de travail social empêché et d’autres pratiquent-ils un travail social caché lorsqu’ils développent des luttes pour la reconnaissance (Honneth,1994) en sortant du mandat pour aider les gens malgré tout. Nous savons que c’est une réalité, mais d’autres pistes existent pour rendre du sens.

Evoquons dès lors les pratiques discrétionnaires ou le pouvoir discrétionnaire des agents d’exécution. Morgane Giladi exprime « l’idée selon laquelle une politique publique ne se réduit pas au contenu défini par les organes politiques de décision, mais s’apparente plutôt à une construction collective impliquant toute une série d’acteurs, parmi lesquels les agents de terrain jouent un rôle prépondérant ». Les politiques existent concrètement au travers des agents de terrain qui ne font pas que les appliquer fidèlement ; ils sont partie prenante de manière centrale de la fabrication de l’action publique, ils jouent le rôle d’« interface entre le gouvernement, les politiques qu’il définit et leurs bénéficiaires », et doivent, « par leur travail quotidien, traduire ces politiques, formalisées dans des textes légaux, en action concrète ». (Giladi, 2021) II s’agit en quelque sorte d’une référence aux théories actionnalistes qui postulent que la société se construit de bas en haut.

Ces pratiques tentent de penser autrement l’intervention sociale et ces paris deviennent une prudence partagée par les délibérations entre pairs.

Pour surmonter les épreuves de professionnalité qui traversent nos métiers sous tension, nous pourrions également faire référence aux solidarités prudentielles. Pour ne pas rester isolés et sans soutien institutionnel, les travailleurs adoptent des pratiques prudentielles fondées sur l’existence d’instances de réflexion collective. Lorsque le mandat institutionnel ne leur suffit plus, ils sont conduits à affronter l’épreuve de l’auto-mandat, c’est un vecteur de renouvellement des pratiques. (Ravon, Vidal-Naquet 2018) Ces pratiques tentent de penser autrement l’intervention sociale et ces paris deviennent une prudence partagée par les délibérations entre pairs. Ils sont risqués « mais ils sont pourtant importants car l’activité n’est pas déterminée en dehors de ses conditions pratiques d’exercice et n’existe pas en dehors des professionnels ». (Vrancken 2019) Dans le sillage des politiques de protection sociale, l’intervention sociale est un cercle dont le centre n’est nulle part et la circonférence partout.

Ces dynamiques peuvent percoler à tous les étages et je prône donc une concertation plus large :

  • Entre les travailleurs sociaux et les personnes sollicitant leurs droits ;
  • Entre les travailleurs sociaux, en jetant des ponts avec le secteur associatif ;
  • Entre les travailleurs sociaux et leur hiérarchie institutionnelle (il y a une grande demande) ;
  • Entre les CPAS, la fédération des CPAS et les différents gouvernements et administrations.

Pour établir les contours de nouvelles solidarités, il s’agira en outre de mieux informer la population, qui a trop souvent une image négative de notre travail et de ceux qui nous sollicitent (cf. supra).

J’en appelle à une volonté commune de trouver ensemble les voies et moyens propres à réenchanter le social, en portant haut les valeurs de la dignité humaine. En dernière analyse, c’est notre mission principale sur laquelle toutes les mesures doivent se décliner. Nous ne pourrons poursuivre ce chantier que si nous y croyons.

Luc Vandormael
Président de la Fédération des CPAS Wallons



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