Ce que le nouvel accord du gouvernement fédéral change (ou pas) pour les soignants

Le Guide Social a passé au crible les 200 pages de l’accord du nouveau gouvernement fédéral. Nous avons décortiqué le document à la recherche des mesures clés de l’équipe de Bart De Wever pour le secteur de la santé et les travailleurs de première ligne. Budget de la santé, revalorisation de certaines professions, focus sur la santé mentale, mesures pour les indépendants : voici ce qu’il faut retenir des promesses du nouvel exécutif.
On ne va pas tourner autour du pot : pas de choc budgétaire ni de revalorisation ambitieuse pour le secteur de la santé. En revanche, la coalition De Wever mise sur des réformes ciblées. Au programme : simplification administrative, meilleure reconnaissance de certaines professions, amélioration des conditions de travail et mesures de soutien pour les indépendants du secteur. Des avancées, certes, mais loin des attentes d’une refonte en profondeur nourries par les soignants depuis de longues années, et surtout depuis la crise du Covid.
Le Guide Social a analysé en profondeur l’accord de gouvernement pour identifier les mesures phares qui concernent les travailleurs de la santé : voici l’essentiel à retenir.
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Budget de la santé : bonne ou mauvaise nouvelle ?
Le budget de la santé en Belgique s’élève chaque année à près de 40 milliards d’euros. Il peut croître grâce à la « norme de croissance », un pourcentage qui fixe l’augmentation possible des dépenses par rapport à l’année précédente, afin de répondre à des besoins en constante évolution, comme le vieillissement de la population.
Selon la RTBF, « en 2025, cette norme sera de 2,5 %, puis baissera à 2 % pendant deux ans, avant de remonter à 2,6 % en 2028 et 3 % en 2029 ». L’ambition du gouvernement De Wever est que cette enveloppe ne serve pas uniquement de « filet de sécurité » pour les imprévus, mais qu’elle puisse aussi financer des projets prioritaires.
Oui, mais… d’après le Bureau du Plan, les dépenses de santé devraient croître en moyenne de 3,2 % par an lors de la prochaine législature.
Alors, bonne ou mauvaise nouvelle pour le budget de la santé ? En réalité, un peu des deux, selon que l’on voit le verre à moitié vide ou à moitié plein...
Pour certains, c’est plutôt positif : malgré un contexte budgétaire tendu, la croissance des moyens est maintenue, garantissant des ressources supplémentaires chaque année pour faire face aux besoins croissants. Mieux encore, cette marge de manœuvre permettra, si l’on en croit la nouvelle coalition gouvernementale, de financer des réformes importantes et de répondre à des enjeux urgents.
D’autres y verront un signal plus inquiétant : la baisse temporaire à 2 %, alors que la demande continue d’augmenter, risque de créer des tensions dans le secteur. Sans compter que si les dépenses progressent de 3,2 % par an, comme l’anticipe le Bureau du Plan, l’écart avec le budget prévu devra être comblé, soit par des économies, soit par des choix politiques difficiles.
Hôpitaux et nomenclature : deux réformes clés en ligne de mire
Au-delà du budget, deux autres réformes sont sur la table. Le gouvernement entend notamment poursuivre et faire aboutir la réforme de financement des hôpitaux et la réforme de la nomenclature. Concrètement, cela concernera à la fois les remboursements et les rémunérations des prestataires de soins. « Cette mesure sera complètement achevée au cours de cette législature », annonce le gouvernement. Cette réforme vise à garantir une rémunération équitable, à renforcer l’attractivité des professions en pénurie et à mieux valoriser le temps d’écoute et de coordination. « Une mise à jour régulière et systématique de la nomenclature doit devenir une pratique courante dans notre système de soins de santé. »
Soignants : des mesures pour valoriser… mais pas révolutionner la profession
« Les prestataires de soins de santé sont le moteur des soins de santé. Le secteur souffre d’un manque de soignants. Ce gouvernement se concentrera donc sur une politique de rétention, en plus d’augmenter l’attractivité de la profession. Cette politique se concentrera sur les conditions de travail, la valorisation des métiers et leur attractivité », annonce d’emblée la coalition menée par Bart De Wever.
En revanche, la fin de carrière... Le régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC) – l’ancienne « prépension » - disparaîtrait quasi totalement : il ne sera possible qu’en cas de restructuration, de licenciement collectif ou pour raison médicale. Pourtant, prendre leur pension de manière anticipée est courant pour celles et ceux qui ont été occupés dans un travail pénible, comme c’est le cas pour les soignants.
Actuellement, dans la mesure où le métier d’infirmier.ère, par exemple, est considéré comme un métier lourd pour lequel il existe une pénurie significative de main d’œuvre, il est rare que les praticiens exercent jusqu’à l’âge légal de la retraite.
1. Infirmiers : vers un nouveau statut pour les étudiants et des réformes pour renforcer la profession
Un focus particulier est mis sur le personnel infirmier. « Nous étudierons avec les entités fédérées, comment introduire un statut pour les infirmiers en formation, afin que les étudiants en soins infirmiers soient dédommagés lors de leur stage en quatrième année grâce à une indemnisation des frais. » De plus, dans le cadre de la poursuite prévue de la réforme de la profession infirmière, la nouvelle coalition s’engage à « renforcer le rôle de l’infirmier responsable de soins généraux, notamment en lui confiant de nouvelles responsabilités qui lui sont propres ; ce qui permettra d’accentuer la différence par rapport à l’assistant en soins infirmiers, en ne dévalorisant pas les compétences de ce dernier. »
« L’organisation et le financement des soins infirmiers à domicile doivent être réformés pour les rendre plus rationnels et plus efficaces par rapport à la pénurie professionnelle et rendre ainsi la profession plus attrayante et améliorer les soins dispensés au patient. Une concertation devra être organisée avec les entités fédérées pour déterminer comment aligner une telle réforme sur les réformes des soins à domicile », peut-on aussi lire dans la note gouvernementale. Concrètement, l’autorité fédérale s’engage à réviser la nomenclature, à réduire les charges administratives et à renforcer la coopération entre les services ainsi qu’avec d’autres prestataires et établissements de soins.
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2. Psychomotriciens, sages-femmes, sexologues : enfin des avancées ?
Autre dossier important pour notre secteur sur la table de l’exécutif : la reconnaissance de la psychomotricité comme profession paramédicale, avec pour objectif, selon la coalition menée par Bart De Wever, « d’améliorer son accessibilité pour l’ensemble de la population ». Les psychomotriciens se battent depuis des années pour obtenir ce précieux sésame. Pour rappel, en 2016, la ministre de la Santé Maggie De Block avait refusé de reconnaître la psychomotricité en tant que profession paramédicale, une décision qui avait provoqué la colère de l’UPBPF. L’union, soutenue par la Fédération des Étudiant·e·s Francophones (FEF), avait alors entamé une série de démarches, notamment auprès de la justice, sans obtenir gain de cause. Le bout du tunnel, enfin ?
Le gouvernement annonce aussi sa volonté d’agréer de nouvelles professions, comme celle de sexologue clinicien, afin de garantir la qualité des soins et de protéger les patients des charlatans. En effet, à ce jour, le titre de sexologue clinicien n’est pas encore réglementé ni protégé.
Les sages-femmes sont aussi citées dans cet accord de gouvernement : « En collaboration avec les gynécologues et les sage-femmes, nous mettons en place une approche intégrée et interdisciplinaire des soins périnataux. Nous renforçons le rôle des sage-femmes dans le suivi des grossesses à faible risque et veillons à créer un cadre attractif pour les sage-femmes en soins de première ligne. »
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3. Soins de santé : d’autres mesures qui changent le quotidien des soignants
Notons encore, en vrac, ces annonces :
- Tolérance zéro face à la violence : des sanctions renforcées contre les agressions visant les prestataires de soins.
- Allègement administratif : simplification des procédures, numérisation accrue et amélioration du partage des données pour permettre aux soignants de se concentrer sur leur cœur de métier.
- Extension de l’assurance responsabilité professionnelle : obligation de souscrire une assurance à leurs frais pour de nouveaux groupes, notamment les psychologues cliniciens.
- Accès direct aux soins : possibilité pour les patients de consulter un kinésithérapeute pour des troubles légers à modérés sans passer par un médecin généraliste.
- Réforme des stages : réévaluation des exigences pour l’agrément des technologues de laboratoire médical afin de mieux encadrer la formation.
- Incitation au conventionnement : les organisations représentatives des prestataires de soins seront sollicitées pour encourager leurs membres à se conventionner.
- Fin de la règle des 25 % : suppression de cette règle pour les kinésithérapeutes et autres professions, afin d’éviter une double pénalisation financière pour les patients.
- Redéfinition du travail de nuit : il commencera désormais à minuit au lieu de 20 heures, impactant la gestion des horaires atypiques.
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A quelle sauce sera mangé le secteur de la santé mentale ?
« Nous devrons travailler main dans la main avec les Communautés pour parvenir à une politique de soins intégrée que nous mettrons en œuvre en collaboration avec les réseaux de soins de santé mentale », précise en préambule la note.
On y lit également que les réseaux de soins en santé mentale devront clairement informer sur l’offre de soins et son accès. Ils organiseront des soins intégrés en partenariat avec les prestataires, définissant clairement les responsabilités de chacun. Ils s’engageront aussi à favoriser la participation des usagers, la gestion de cas, la coordination des soins et l’intégration sociale.
« Les soins de santé physique et mentale mais aussi les soins liés au bien-être sont indissociables », poursuit l’exécutif, avant de marteler : « Les différents professionnels et institutions doivent davantage collaborer. L’intégration des services de santé mentale dans les foyers pour enfants, les CPAS, les centres de services locaux, les médecins généralistes, etc. devra se poursuivre dans le cadre de la convention SPPL. » Notons aussi que le gouvernement veut renforcer le dépistage des troubles psychiatriques dans les hôpitaux généraux en favorisant la collaboration avec les hôpitaux psychiatriques et les équipes mobiles.
« Le cadre ambulatoire doit être utilisé au maximum pour toute personne dont le problème le permet. De cette manière, les soins résidentiels restent libres au maximum pour ceux qui en ont vraiment besoin et qui ne peuvent être aidés d’aucune autre manière. », lit-on aussi. Autre annonce : l’offre de soins psychologiques de première ligne, financée par la convention INAMI, sera renforcée. Les réseaux de santé mentale déploieront davantage de psychologues cliniciens et d’orthopédagogues pour « mieux répondre aux besoins et faciliter l’orientation vers des soins ambulatoires de seconde ligne, tant au niveau fédéral (psychiatres et hôpitaux) qu’auprès des acteurs des entités fédérées ».
Professions de support : des rôles renforcés dans la santé mentale
En plus des professions de santé déjà reconnues (psychiatres, psychologues cliniciens et orthopédagogues cliniciens), le gouvernement souligne que d’autres professions peuvent aussi jouer un rôle clé dans les soins de santé mentale : « Nous examinerons l’agrément des professions de support en santé mentale, afin d’augmenter le nombre de professionnels dans ce domaine. Dans ce cadre, la réglementation actuelle et l’agrément relative à la psychothérapie et aux infirmiers psychiatriques sera également réexaminée. » Les experts du vécu seront également intégrés à cette réflexion. Leur expérience personnelle pourrait, en effet, servir de soutien en prévention et en soins, en aidant d’autres patients et leurs familles dans leur parcours.
Psychologues en devenir : des stages mieux encadrés
Notons finalement dans ce volet dédié à la santé mentale que l’organisation des stages pour les étudiants en psychologie clinique et en orthopédagogie clinique sera réévaluée, en réponse aux difficultés à trouver des lieux de stage et des maîtres de stage. Des solutions seront mises en place pour garantir un accompagnement adéquat en début de carrière et assurer des soins de qualité aux patients.
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Les mesures de soutien aux indépendants
Le secteur de la santé compte de nombreux soignants exerçant sous statut indépendant, que ce soit à titre principal ou complémentaire. Le gouvernement annonce une série de réformes destinées à simplifier leur quotidien.
« Au cours de cette législature, une réforme du statut des indépendants à titre complémentaire sera mise en œuvre, en concertation avec les partenaires sociaux concernés, afin de mieux valoriser ce statut tout en luttant contre les abus », déclarent Bart De Wever et son équipe. Le gouvernement prévoit de supprimer certaines taxes et de simplifier les démarches administratives pour réduire les coûts.
Autre mesure phare : l’introduction d’une déduction fiscale pour les indépendants, qu’ils soient en activité principale ou complémentaire, permettant de déduire une première tranche des bénéfices et des revenus. Ce montant sera revu à la hausse en 2029.
Enfin, à partir de 2026, l’exonération des cotisations sociales pour les femmes indépendantes après une grossesse sera étendue de un à deux trimestres. « De plus, afin de favoriser la généralisation des pensions complémentaires pour les indépendants et d’améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, cette exonération automatique ne constituera plus un obstacle à la déductibilité fiscale des cotisations versées dans le cadre d’un régime de pension libre complémentaire pour indépendants ».
Emilie Vleminckx
Rédactrice en chef
>>> Bientôt, nous poursuivrons notre analyse avec un focus sur le secteur social : CPAS, lutte contre la pauvreté, immigration… Des mesures controversées s’annoncent : le secteur social est-il prêt à encaisser le choc ? Restez connectés !
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